Pétrole: l'Arabie saoudite livre une guerre à l'Iran

Publié le 09/01/2016 à 09:29

Pétrole: l'Arabie saoudite livre une guerre à l'Iran

Publié le 09/01/2016 à 09:29

(Photo: Shutterstock)

ANALYSE DU RISQUE - Le prix du baril de pétrole pourrait rester faible encore longtemps, car l'Arabie saoudite ne cherche pas uniquement à éliminer ses concurrents, elle veut aussi affaiblir son ennemi politique juré, l'Iran. Et pour y arriver, son arme principale est le prix du pétrole.

En maintenant sa production de pétrole élevée (ce qui stimule l'offre mondiale alors que la demande demeure relativement stable), l'Arabie saoudite contribue à faire chuter les cours.

Depuis son sommet de 2014 à 115,06 $US (le 19 juin), le Brent de la mer du Nord (la référence mondiale) a dégringolé de 71% pour s'établir à 33,75 $US à la fermeture des marchés le 7 janvier, selon Bloomberg.

Ce qui a fait fondre les recettes pétrolières de l'Iran et de l'Arabie saoudite.

L'Iran est dépendante du pétrole. Ses recettes pétrolières représentent 25% du budget du gouvernement, selon le journal Le Figaro.

Toutefois, l'Arabie saoudite - deuxième pays producteur de pétrole au monde après les États-Unis - est encore plus dépendante, avec des revenus comptant pour près de 90% de son budget.

Mais contrairement à l'Iran, le royaume saoudien dispose d'une vaste réserve monétaire évaluée à 750 milliards de dollars américains.

Ce qui lui permet de limiter l'impact de la chute du prix du baril de pétrole, même si elle en pâtit (le déficit a atteint 15% du PIB en 2015), montre une analyse de RBC marchés des capitaux.

Bien entendu, l'actuel niveau des prix fait très mal aux concurrents de l'Arabie saoudite, comme le pétrole de schiste, aux États-Unis, et les sables bitumineux, au Canada, dont les coûts de production sont plus élevés.

Selon la firme de recherche Energy Aspects, les coûts de production aux États-Unis et au Canada s'élèvent à plus de 75 $US le baril contre 25 $US seulement en Arabie saoudite.

Mais plus important encore, font remarquer des analystes, les prix actuels permettent aussi à l'Arabie saoudite (la puissance phare sunnite) d'atteindre son principal objectif géopolitique au Moyen-Orient: affaiblir et contenir la montée en puissance de l'Iran (la puissance phare chiite).

Depuis l'accord sur le nucléaire iranien et le rapprochement avec les États-Unis, Téhéran joue un rôle de plus en plus important au Moyen-Orient, et ce, au grand dam des Saoudiens.

Dans la guerre civile en Syrie, par exemple, l'Arabie saoudite souhaite la chute du régime alaouite (une branche du chiisme) de Bachar Al-Assad, tandis que l'Iran le soutient et veut qu'il demeure en place.

La récente exécution d'un leader chiite en Arabie saoudite - les chiites représentent environ 10% de la population saoudienne - a d'ailleurs accentué encore plus les tensions entre les deux puissances rivales.

L'Arabie saoudite veut affaiblir économiquement l'Iran

Comment de faibles prix du pétrole aident-ils les Saoudiens à atteindre leurs objectifs? Ils réduisent la marge de manoeuvre de Téhéran pour financer ses interventions en Syrie ou ailleurs dans la région.

En gardant faibles les prix du pétrole, l'Arabie saoudite nuit aussi à l'Iran sur ses marchés d'exportation.

Dans la foulée de l'accord sur le nucléaire iranien, la République islamique a été autorisée à augmenter graduellement ses exportations de pétrole - le pays tire environ 80% de ses rentrées de devises des exportations d'or noir.

À l'heure actuelle, l'Iran produit 3,1 millions de barils par jour, dont 1,1 million est exporté, selon l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

Plus les prix sont bas, plus l'Iran aura de la difficulté à produire et à exporter son pétrole, compte tenu de l'inefficacité de ses infrastructures de production.

Certains des plus grands puits du pays affichent un taux annuel d'épuisement (ou de déclin) de 15%. En outre, des investissements d'au moins 30 milliards de dollars américains par année seront nécessaires pour stopper la perte de productivité, estime le magazine The Economist.

De plus, rapporte Le Monde, l'Iran doit composer avec la concurrence de l'Arabie saoudite qui vend son pétrole à rabais aux clients naturels des Iraniens, comme la Chine et l'Inde.

On comprend mieux pourquoi la faiblesse des cours pétroliers et la concurrence des Saoudiens sur les marchés d'exportation affaiblissent la République islamique.

Ce qui permet ainsi à Riyad d'atteindre son objectif d'affaiblir et contenir la montée en puissance de l'Iran au Moyen-Orient, du moins pour l’instant.

Voilà pourquoi l'Arabie saoudite à tout intérêt à maintenir encore longtemps bas les prix du baril de pétrole.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand