Un avenir très spécialisé pour les exportations

Publié le 26/05/2012 à 00:00

Un avenir très spécialisé pour les exportations

Publié le 26/05/2012 à 00:00

Alors que certains secteurs traditionnels d'exportation québécois s'essoufflent, des entreprises d'ici misent sur l'innovation et sur la spécialisation pour se tailler une place à l'international. Quand l'hyperspécialisation trace l'avenir des exportations québécoises.

De vives couleurs illuminent l'écran de la tablette informatique d'Éric Roberge. «Cette image, je l'appelle mon Picasso», dit avec fierté le président fondateur de Photonic Knowledge. L'alternance des couleurs qui se dessinent sur l'écran évoque en effet une oeuvre cubiste. Mais on s'en doute, l'image n'a rien à voir avec un tableau du célèbre peintre espagnol. Il s'agit plutôt d'un graphique exposant les résultats d'analyse d'une... carotte de forage !

L'homme d'affaires de 39 ans est fier de son innovation, le Core Mapper. Selon lui, cette technologie pourrait révolutionner le secteur minier d'ici quelques années. «Chacune des couleurs qu'on voit à l'écran représente une composante minérale retrouvée dans l'échantillon», dit-il. La force de cette technologie, la première à s'appuyer sur une imagerie provenant d'une analyse faite à partir de spectres lumineux, réside dans sa rapidité. Quelques heures suffisent pour faire l'examen approfondi d'une carotte de forage, au lieu de quatre semaines !

Éric Roberge ne s'en cache pas : il rêve des marchés étrangers. Après s'être taillé une place au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique, l'entreprise de Rosemère, fondée il y a trois ans, est déjà en pourparlers avec des sociétés minières qui explorent les sols du Chili, de l'Australie, de l'Arabie saoudite et de la Guyane. «Pour nous, les marchés étrangers sont incontournables. J'aime bien dire que les roches n'ont pas de nationalité», dit-il. D'ici quelques années, l'entreprise compte jumeler ses parts de marché à celles de l'industrie minière : 19 % de ses activités au Canada, 5 % au Chili et 4 % au Brésil.

Photonic est une de ces nouvelles entreprises hautement spécialisées qui pourraient bien représenter le futur des exportations québécoises. Comme le fait remarquer Belgacem Rahmani, maître d'enseignement spécialisé en commerce international et développement de marchés à HEC Montréal : l'avenir des exportations québécoises pourrait se trouver dans l'hyperspécialisation.

Déjà, au cours des dix dernières années, le paysage des exportations québécoises s'est transformé. L'industrie forestière et celle des pâtes et papiers se sont effondrées alors que l'industrie minière a pris du galon. Et si l'aérospatiale et l'aéronautique trônent toujours au sommet des exportations, leur importance a diminué. Belgacem Rahmani explique le phénomène ainsi : «Le contexte mondial a évolué. Tout ce qui peut être produit à moindre coût est transféré dans d'autres pays. La valeur ajoutée du Québec réside dans sa force à innover, à sortir des terrains battus avec des produits spécialisés.»

«Les innovations s'inscrivent très souvent dans un secteur déjà existant», poursuit-il. Certes, les innovations dans le secteur minier risquent bien de profiter de la manne actuelle.

Les exemples sont nombreux, note Élaine Lamontagne, MBA, une spécialiste du commerce avec l'Europe, formatrice et coordonnatrice de projets supervisés en entreprise à HEC Montréal. «Ce sont les produits qui se démarquent, ceux qui ont une valeur ajoutée, qui se tailleront une place dans les marchés internationaux», note-t-elle. Elle cite en exemple l'expertise et les technologies dans les arts de la scène que des entreprises québécoises ont su développer lors de spectacles d'envergure, «comme ceux de Céline Dion ou du Cirque du Soleil. Même chose pour des technologies liées à l'industrie minière», dit-elle.

Même son de cloche chez Joëlle Noreau, économiste principale au Mouvement Desjardins. «Ce n'est plus sur le plan du volume que certaines entreprises se démarquent, mais sur celui de la qualité et de la spécialisation de leurs produits», dit-elle. Joëlle Noreau souligne l'émergence d'innovations prometteuses dans les matériaux composites, «un secteur qui a un bel avenir et qui est à surveiller». Ces matériaux, qui résultent de l'assemblage d'au moins deux composants, gagnent en popularité dans plusieurs secteurs industriels. «En transport, il permet de limiter le poids et de permettre des économies d'énergie. Son utilisation se répand en construction et l'industrie automobile pourrait de plus en plus en faire usage.»

Après une longue traversée du désert, l'industrie textile reprend du poil de la bête. «Mais cette fois, l'industrie mise sur la qualité et sur le développement de vêtements hautement spécialisés plutôt que sur la quantité», note Joëlle Noreau, citant en exemple le Groupe CTT, une entreprise de Saint-Hyacinthe spécialisée dans les textiles de protection.

L'efficacité énergétique

L'efficacité énergétique fait également partie des sous- secteurs qui pourraient enregistrer une croissance importante au cours des prochaines années, selon Josée Provençal, pdg d'Aetos Energy, une firme de services-conseils dans les secteurs de l'énergie et de l'environnement. Le potentiel québécois y est réel, explique-t-elle : «Au cours des 30 dernières années, le Québec a développé des compétences en la matière, alors que l'Europe, par exemple, s'intéressait surtout au développement des énergies renouvelables». Un avantage notable sur lequel il faut miser, selon elle. Le secteur est d'autant plus prometteur à l'échelle mondiale que de plus en plus d'États se fixent des objectifs de réductions, souligne-t-elle. L'Europe projette de réduire de 20 % sa consommation d'énergie primaire d'ici 2020. Le Brésil, de 10 % d'ici 2030, et ce, malgré sa forte croissance économique. Pour leur part, les États-Unis comptent avoir réduit leur consommation d'électricité de 20 %, et leur consommation de gaz, de 10 % d'ici 2025. Quant à la Chine, elle prévoit réduire de 16 à 17 % sa consommation énergétique pour 2015. «Mais il faut se lancer à l'international dès maintenant pour ne pas se faire damer le pion», prévient-elle.

C'est justement ce qu'a fait Simsmart. Jusqu'à très récemment, l'entreprise de Brossard fondée en 1986 développait des technologies destinées aux systèmes de ventilation de bâtiments de guerre maritimes. «Le ralentissement économique nous a poussés à adapter notre application pour les systèmes de ventilation des mines profondes», dit Michel Massé, président de Simsmart. Son objectif : réduire la consommation d'énergie liée à la ventilation des souterrains.

Moins d'une décennie plus tard, «plus de 50 % de notre chiffre d'affaires est généré par des systèmes de gestion énergétique liés au secteur minier», dit-il. Surtout présent en Amérique du Nord, Simsmart compte développer d'ici quelques années l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud. «Notre application est une technologie très pointue, qui ne nous permet pas de nous contenter du marché québécois. Notre marché est international», dit-il.

De la bouffe hyperspécialisée

L'hyperspécialisation n'est pas la chasse gardée de l'innovation technologique, souligne Élaine Lamontagne, de HEC Montréal. Elle cite le secteur de l'alimentation, où des entreprises ont su «développer une valeur ajoutée pour gagner des marchés étrangers». Une volonté d'autant plus marquée et nécessaire pour celles qui souhaitent s'emparer des marchés matures, comme celui de l'Europe. «Dans l'alimentaire, les produits raffinés comme le cidre de glace ont un potentiel certain. C'est un bon moyen d'y pénétrer», dit-elle.

Toujours en alimentation, elle souligne que d'autres se spécialisent dans la quête de certifications. C'est le cas de Fruit d'Or, un important producteur et transformateur de canneberges et de petits fruits biologiques de Notre-Dame-de-Lourdes. Plus de 80 % des produits de cette entreprise fondée en 2000 sont désormais exportés. Plus de la moitié de ses exportations de produits biologiques sont dirigées vers l'extérieur de l'Amérique du Nord, une spécialisation qui demande un suivi hors du commun. Par exemple, afin de se faire une place dans le marché japonais, Fruit d'Or a obtenu le Japanese Accreditation System, qui certifie que ses produits sont non seulement biologiques, mais aussi qu'ils proviennent de fermes biologiques.

Technologie de pointe dans le secteur minier, produits de niche dans l'alimentaire, efficacité énergétique. Autant de secteurs qui pourraient s'imposer sur la scène internationale. Mais pour ce faire, les entreprises doivent sortir du «syndrome de la pantoufle», note Josée Provençal, présidente d'Aetos Energy. Un mal qu'elle définit comme la tendance de certaines entreprises à se contenter du marché local. La réussite des entreprises exportatrices est précisément fondée sur leur audace.

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