"Quand l'entreprise perd ses valeurs, elle devient un lieu de mercenariat"

Publié le 27/06/2009 à 00:00

"Quand l'entreprise perd ses valeurs, elle devient un lieu de mercenariat"

Publié le 27/06/2009 à 00:00

Le professeur Yvan Allaire ne manque pas d'audace dans les solutions qu'il propose à la crise financière dans son plus récent livre, Black Markets... and Business Blues : appui aux actions à droit de vote multiple, élimination des options, plafonnement de la rémunération des patrons, fin de l'évaluation de l'actif à la juste valeur marchande, etc.

Le titre de l'ouvrage, écrit en collaboration avec Mihaela Firsirotu, professeur de stratégie à l'Université du Québec à Montréal, fait référence au marché obscur des produits dérivés et à la morosité des dirigeants qui doivent composer avec la tyrannie des résultats trimestriels.

M. Allaire, qui est aussi président du conseil de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques, nous explique les grandes lignes de l'ouvrage.

Journal Les Affaires - Qu'est-ce qui vous a amené à écrire ce livre ?

Yvan Allaire - Au départ, le livre était prévu pour l'automne 2008 et devait mentionner qu'une grave crise était imminente.

La crise étant survenue, on s'est senti dans l'obligation d'en expliquer les causes, comme les produits dérivés du crédit, les agences de notation, l'obligation d'évaluer les actifs à leur juste valeur marchande et la structure juridique des entreprises.

JLA - Au sujet de la structure juridique, n'allez-vous pas à contre-courant en défendant les actions à droit de vote multiple ?

Y.A. - On a importé des États-Unis la notion que l'entreprise idéale est celle où une action égale un vote.

Si on suit la trace de la crise et des fiascos qu'on a connus depuis 20 ans, on trouve toujours des entreprises mobilisées autour des résultats à court terme, des dirigeants dont la rémunération est alignée sur le rendement à court terme. De nombreux fonds spéculatifs jouent à toutes sortes de trucs avec l'action de l'entreprise. Cela crée un climat où les dirigeants sont soumis aux impératifs de ces fonds, dont l'objectif est de faire de l'argent rapidement.

Ce modèle fonctionne bien avec l'entreprise idéale selon le modèle américain (une action, un vote). Mais ça fonctionne moins bien en présence d'un actionnaire de contrôle ayant des actions à droit de vote multiple où les fonds savent qu'ils n'ont pas beaucoup d'influence. Ça ne fonctionne pas plus avec des sociétés fermées.

JLA - Que proposez-vous ?

Y.A. - On propose un délai minimal d'un an avant qu'un nouvel actionnaire puisse exercer son droit de vote. Tout nouveau citoyen doit attendre avant de voter dans le pays où il vient d'immigrer; un nouvel actionnaire pourrait donc attendre un an avant de voter. Ça enlève beaucoup de pouvoir aux spéculateurs. L'Institut sur la gouvernance en a d'ailleurs fait une position officielle. Une autre idée serait que le dividende ne soit payable qu'après une détention minimale de deux ans.

JLA - Plusieurs entreprises, dont les grandes banques, ont accepté la tenue d'un vote consultatif sur la rémunération. En quoi la rémunération des dirigeants peut devenir un problème ?

Y.A. -Rendu à un tel niveau d'inégalités entre les gens qui travaillent pour la même entreprise, on détruit lentement des valeurs qui sont essentielles à l'entreprise, notamment le sentiment d'être tous dans le même bateau. Quand ces valeurs étaient très présentes, les dirigeants gagnaient environ 25 fois le salaire moyen des employés de l'entreprise.

Si quelques dirigeants gagnent des sommes mirobolantes par rapport aux autres employés, c'est bien difficile de maintenir ces valeurs d'équité. Quand l'entreprise perd ses valeurs, elle devient un lieu de mercenariat, ce qui, à moyen terme, lui nuit.

Selon nous, il faudrait éliminer toutes les options d'achat sur les titres. Les options, c'est ce qui aligne les intérêts de la direction sur ceux des spéculateurs qui gravitent autour de l'entreprise. Tout deux ont des objectifs à court terme.

JLA - Pourquoi proposez-vous un plafond salarial pour les dirigeants ?

Y.A. - On propose que la rémunération totale du patron s'établisse entre 50 et 100 fois le salaire moyen des employés de l'entreprise. La limite de 100 fois nous semble justifiée. Ça garde un certain esprit d'équité dans l'entreprise.

JLA - Un autre sujet d'actualité, c'est l'évaluation des actifs à leur juste valeur dans les états financiers. Est-ce une cause de la crise actuelle ?

Y.A. - C'est un accélérant. L'obligation d'évaluer les actifs à leur juste valeur marchande - le mark-to-market, en anglais - a aidé le feu à s'étendre. À l'automne 2008, les actifs des institutions financières ont subi une forte dépréciation, tout comme la valeur des produits dérivés. Sans ce mode d'évaluation, les produits dérivés n'auraient pas été dépréciés.

On propose de permettre aux institutions de déclarer des actifs held to maturity. Quand on détient des actifs jusqu'à l'échéance, on peut les évaluer à partir des flux de trésorerie de l'actif. C'est la valeur escomptée qui devient la valeur de l'actif et non pas sa valeur de revente.

andre.dubuc@transcontinental.ca

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