Plus les femmes travaillent, plus elles ont d'enfants

Publié le 29/08/2009 à 00:00

Plus les femmes travaillent, plus elles ont d'enfants

Publié le 29/08/2009 à 00:00

Lorsque les femmes sont entrées massivement sur le marché de l'emploi, dans les années 1970, le taux de natalité a chuté de façon spectaculaire.

L'image est demeurée et elle a la vie dure. Mais cela n'a plus rien à voir avec la réalité.

" Aujourd'hui, c'est exactement l'inverse ", souligne Hans-Peter Kohler, professeur de sociologie à l'Université de Pennsylvanie et chercheur associé au Population Studies Center, à Philadelphie.

Les statistiques ne laissent plus aucune place au doute : plus les femmes travaillent, et plus elles ont d'enfants.

Le phénomène est observé dans de nombreux pays occidentaux. Mais il est aussi vrai au Québec ! Le taux de natalité de la province a grimpé de façon importante ces dernières années, après avoir chuté continuellement dans les décennies 1980 et 1990. Il atteignait 1,7 enfant par femme l'an dernier ; des statistiques qui font dire à plusieurs observateurs que la province vit un " mini baby-boom ". Mais une autre donnée importante n'a pas fait les manchettes : le taux d'emploi des femmes a suivi la même tendance et s'est établi à 57,3 % en 2008.

Réduire l'écart entre les taux d'emplois des hommes et des femmes est devenu un enjeu crucial pour l'économie mondiale. Selon une étude de Goldman Sachs, cela ferait croître le PIB des États-Unis de 9 %, celui de la zone euro de 13 %, et celui du Japon de 16 %.

Renversement de situation

Au Danemark et en Suède, plus de sept femmes sur dix travaillent et le taux de natalité est de presque deux enfants par femme.

À l'inverse, des sociétés autrefois fertiles, comme l'Italie et l'Espagne, se dirigent vers d'importants problèmes démographiques.

Comment expliquer ces disparités ?

Dans un article publié en août dans la revue Nature et intitulé " Advances in Development Reverse Fertility Declines ", le professeur Hans-Peter Kohler et ses collègues soulignent que l'exclusion du marché du travail de plus de la moitié de la main-d'oeuvre féminine explique les faibles taux de natalité observés dans le Sud de l'Europe. Un phénomène attribuable à un ensemble de facteurs économiques et sociaux qui ont secoué l'Occident.

La plus grande révolution qu'ont connue les familles du 20e siècle n'a pas été l'invention de la machine à laver, comme l'affirmait au printemps le pape Benoît XVI, mais plutôt l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail dans les années 1970. Une fois là, il n'a plus été question pour elles de retourner à la maison. " Le travail salarié des femmes est un fait irréversible ", dit M. Kohler. Mais ces femmes au travail n'ont jamais cessé de vouloir des enfants : les Européennes rêvent d'en avoir 2,36, selon le plus récent Eurobaromètre. Aucun pays n'atteint ce score. C'est donc que certains facteurs découragent les femmes d'avoir autant d'enfants qu'elles le souhaitent.

" Les femmes ont moins d'enfants lorsque le coût économique associé est trop élevé, dit M. Kohler. Les pays qui s'adaptent à ces changements profonds réussissent tant au chapitre de la fertilité que celui du taux d'emploi. "

Un État généreux

Une des façons de répondre aux besoins des femmes est d'instaurer des politiques familiales généreuses, qui vont des services de garde accessibles et peu coûteux aux longs congés de maternité rémunérés et autres mesures fiscales avantageuses. C'est le modèle adopté par les pays du Nord de l'Europe et, depuis une demi-douzaine d'années, par le Québec : l'État compense les lacunes au sein de l'organisation familiale et du travail.

Il y a un lien direct entre l'investissement de l'État et la hausse de la natalité et du taux d'emploi féminin.

Ainsi, la Finlande consacre 13 % de son PIB en mesures d'aide aux familles et affiche un taux de fertilité de 1,84. À l'autre extrémité, l'Espagne n'y consacre que 2 % de son PIB et a un taux de fertilité de 1,38.

Le sociologue Arnstein Aassve vit de plein fouet cette disparité européenne : spécialiste norvégien des questions de fertilité, il est professeur à l'Université de Bocconi, à Milan. C'est en Italie que sa femme et lui élèvent leur famille. En fait de choc culturel, c'est un peu l'équivalent d'une famille pachtoune débarquant en août sur une plage niçoise.

En Norvège - tout comme en Suède - les femmes bénéficient de 54 semaines de congé de maternité durant lesquelles elles reçoivent 80 % de leur salaire; les nouveaux pères ont droit de leur côté à six semaines de congé. À leur retour au travail, elles comptent sur un réseau de garde gratuit et accessible. En Italie, les services de garde sont peu développés. Les femmes ont droit à quatre mois de congé de maternité, la norme de l'Union européenne (UE).

Le taux d'emploi féminin est de 46 %, près de la moitié moins qu'en Norvège.

Lorsque la femme d'Arnstein Aassve est retournée au travail ce printemps, c'est une nounou qui s'est occupée de sa fille et qui a comblé le manque de places en garderies. " C'est un système injuste, dit le sociologue. Si une famille peut compter sur des grands-parents disponibles et en santé, ou encore si elle a assez d'argent pour embaucher quelqu'un, ça va. Sinon, il n'y a guère d'options. "

Elles jonglent avec l'impossible jusqu'à ce que leur petit entre à l'école, et souvent bien après. Dans ces conditions, elles n'auront pas plusieurs bambins.

Dans l'UE, selon une enquête sur la main-d'oeuvre menée par Eurostat en 2006, plus de six millions de femmes affirmaient être contraintes à l'inactivité ou au travail à temps partiel en raison de leurs responsabilités familiales. Pour plus d'un quart d'entre elles, le manque de services de garde d'enfants ou leur coût prohibitif était la principale cause.

Une société ouverte

Tant en Italie qu'en Grèce, deux pays aux prises avec des taux de natalité faméliques et des taux d'emploi féminin faibles, la présence des femmes sur le marché du travail est acceptée... tant qu'elles ne deviennent pas mères.

" Dans plusieurs pays, il y a une culture qui ne soutient pas les mères au travail ", dit Fleur Bothwick, directrice au bureau londonien de Ernst & Young du programme Diversité et inclusion, qu'elle doit appliquer en Europe, au Moyen-Orient, en Inde et en Afrique.

Dans les pays nordiques, tout comme au Canada ou aux États-Unis, la présence des mères au travail est acceptée. " Lors d'une conférence téléphonique, récemment, une Norvégienne nous a dit : Un instant, je vais prendre le bébé ! En Allemagne, pareille remarque aurait provoqué une syncope ", dit Carl Haub, chercheur au Population Reference Bureau, une ONG établie à Washington.

Des horaires souples, la clé de la conciliation travail-famille

Virginia Barhil, responsable du marketing d'une firme de services-conseils à Barcelone, est une femme comblée. Cette brune dans la trentaine, mère de deux fillettes, a réussi à obtenir de son employeur un horaire comprimé, de 9 heures à... 17 heures ! Une petite victoire dans un pays où les heures de travail s'étendent généralement jusqu'à 19 heures, et où il n'est pas possible de faire ses courses sur l'heure du dîner, les magasins étant tous fermés. Pendant ce temps, l'école se termine à 16 heures. " Des horaires horribles ", s'exclame Teresa Torns, professeure de sociologie à l'Université autonome de Barcelone.

À l'instar de plusieurs pays du Sud de l'Europe, la culture du présentéisme est fortement ancrée, ajoute-t-elle : quand on est au bureau, c'est qu'on travaille... " Et quand on est à la maison, l'employeur pense qu'on ne travaille pas ", dit Mme Barhil. Pourtant, les horaires souples et le télétravail sont la clé de la conciliation travail-famille.

Une chose est sûre, dit Fleur Bothwick : " one size doesn't fit all ". Et la souplesse des entreprises est la clé.

30 %

Pourcentage des enfants de moins de trois ans devant être accueillis dans un service de garde pour que les femmes aient un accès raisonnable au marché du travail.

Source : Eurostat

1,3

Taux de fertilité entraînant la réduction de la moitié de la population en 45 ans. C'est ce que les démographes qualifient de minimum absolu. Le taux de renouvellement des générations est de 2,07 enfants par femme.

Emploi

Les hommes plus actifs que les femmes

À l'échelle mondiale, pour 100 hommes économiquement actifs, moins de 70 femmes (66,9) le sont.

Source : Tendances mondiales de l'emploi des femmes 2008, Bureau international du travail.

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