Les taux ne remonteront pas de sitôt

Publié le 23/02/2013 à 00:00

Les taux ne remonteront pas de sitôt

Publié le 23/02/2013 à 00:00

Yvon Charest : «Les taux d'intérêt à long terme (30 ans), qui sont sur une pente descendante en Amérique du Nord depuis une dizaine d'années, ont connu une chute vertigineuse durant le deuxième semestre de 2011 et demeurent au plancher depuis ce temps. S'agit-il d'une circonstance passagère ou sommes-nous en présence d'un nouveau phénomène où chacun devra revoir ses paradigmes ?»

Pour un propriétaire consultant son relevé hypothécaire ou un entrepreneur planifiant un projet d'expansion, la faiblesse des taux d'intérêt fait sourire. Le plancher actuel a toutefois des conséquences moins réjouissantes pour les régimes de retraite et les compagnies d'assurance vie, qui voient l'écart entre leurs obligations financières et leurs rendements se creuser. Tout comme pour les travailleurs devant gérer eux-mêmes leur cagnotte de retraite, que les faibles rendements ont grugé.

«Les bas taux, ça touche tout le monde», dit Stéfane Marion, économiste et stratège en chef de la Banque Nationale. Plusieurs travailleurs, par exemple, pourraient devoir reporter l'âge de la retraite ou rester à temps partiel sur le marché du travail pour complémenter le rendement de leur portefeuille.

Anormalement bas

Carlos Leitao, stratège et économiste en chef de la Banque Laurentienne, résume bien l'opinion des économistes consultés lorsqu'il dit que «ça n'a aucun bon sens de voir des obligations 30 ans à 2,5 %.»

La situation est en partie attribuable aux banques centrales, qui interviennent massivement, surtout aux États-Unis, pour contenir le coût d'emprunt des gouvernements, stimuler la reprise et éviter un recul du marché immobilier. Leurs actions seules, toutefois, ne sauraient avoir un aussi grand effet.

«Toutes les bonnes raisons mises ensemble n'expliquent pas complètement pourquoi les taux sont aussi bas», juge Eric Lascelles, économiste en chef de RBC Gestion mondiale d'actifs. Il faut selon lui ajouter un «facteur spécial» à l'équation : l'aversion au risque. «Les investisseurs sont prêts à détenir des obligations à très faibles rendements, parfois même négatifs après inflation, parce qu'ils ont peur d'investir dans les marchés boursiers, l'immobilier ou leur propre entreprise», dit M. Lascelles.

Benoît Durocher, vice-président exécutif et chef stratège économique chez Addenda Capital, abonde dans le sens de M. Lascelle et attribue ce facteur à l'incertitude géopolitico-financière. En résumé, les taux monteront lorsque les investisseurs seront convaincus qu'ils pourront prendre plus de risques, ce qui nécessitera «plusieurs conditions réunies», dont une entente sur la restructuration de la zone euro et une accalmie au Moyen-Orient.

Certains revoient leur cadre d'analyse...

Pour Stéfane Marion, certains facteurs ne sont pas que temporaires, mais bien structurels. «Les caractéristiques mêmes des investisseurs changent.» En vieillissant, ils sont moins enclins à prendre des risques. De plus, comme les régimes à cotisations déterminées gagnent du terrain, les investisseurs sont de plus en plus nombreux à être responsables de leurs revenus de retraite, ce qui amène des stratégies davantage liées à l'âge.

M. Marion entrevoit une hausse de taux progressive, mais doute de revoir les taux d'avant la crise. Selon lui, il faut retrancher «au moins 100 points de base» au «nouveau taux normal». Il prévoit un taux 30 ans de 3,8 % à la fin de 2014, puis «peut-être encore un peu plus haut» par la suite.

Eric Lascelles, qui voit lui aussi des conséquences permanentes à la démographie, note que les mouvements de taux s'étendent sur de très longues périodes. Pendant 20 ans, du milieu des années 1930 au milieu des années 1950, les taux 10 ans ont rarement dépassé les 3 %. Puis, il a fallu presque 30 ans pour atteindre des taux très élevés, au début des années 1980, et encore 30 ans pour retomber à des taux très bas. Selon M. Lascelles, nous sommes maintenant «dans une nouvelle ère», où les taux monteront légèrement, mais resteront à 4 % ou moins pendant «plusieurs années, voire une décennie ou plus».

... d'autres, non

Benoît Durocher, de son côté, serait étonné que les taux actuels deviennent permanents. Un jour ou l'autre, dit-il, les investisseurs voudront être dédommagés de la perte de jouissance de leur capital. Un taux obligataire 30 ans de 4 à 5 % lui paraîtrait plus «normal», «mais plusieurs vents contraires empêchent une hausse rapide des taux.» C'est pourquoi il ne s'attend pas à ce que les taux atteignent 4 % cette année. «Des mouvements brusques seraient étonnants, quoique des surprises peuvent toujours se produire sur les marchés financiers.»

Pour sa part, Carlos Leitao n'entrevoit pas de changements structurels permanents. Les taux risquent, selon lui, de rester bas pendant encore un an ou deux, mais devraient à long terme revenir à des niveaux «normaux» - soit la croissance du PIB nominal plus une prime de risque. «Les taux actuels sont temporaires, même si cette période "temporaire" commence à être inconfortablement longue.» Il est normal, selon lui, que l'économie mette cinq à sept ans à se remettre d'une crise financière aussi majeure. «On n'avait rien vu de tel depuis 1929...»

SON COMMENTAIRE

«Je voudrais d'abord remercier les économistes consultés d'avoir eu la gentillesse de fournir des réponses très intéressantes à ma question. Je constate qu'il n'y a pas unanimité entre eux à savoir si la situation actuelle est conjoncturelle ou structurelle. Les thèmes abordés, tels que les changements démographiques et l'aversion généralisée pour le risque, sont en effet très pertinents pour la réalité de l'Industrielle Alliance. Pour ma part, j'ajouterais aux commentaires des experts qu'il se pourrait que la Chine ait joué un rôle sur le niveau des taux réels par la gestion active de ses réserves de change extérieures, en accumulant massivement des obligations américaines afin de contrôler sa devise.»

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