Les sept clés d'un transfert d'entreprise réussi

Publié le 01/06/2013 à 00:00

Les sept clés d'un transfert d'entreprise réussi

Publié le 01/06/2013 à 00:00

Le 1er juin, Jonathan et Stéphanie Dubeau prendront officiellement les rênes de Choquette CKS, 35 ans après que leur père a pris la relève de leur grand-père qui avait lui-même succédé à leur arrière-grand-père. L'entreprise montréalaise de réparation d'équipement de restaurant se prépare à cette journée depuis 2007.

«C'est une offre d'achat qui m'a incité à parler de relève avec mes enfants, raconte Claude Dubeau, 63 ans. J'espérais que l'entreprise reste dans la famille, mais je ne voulais rien leur imposer. Quand ils ont manifesté leur intérêt, j'ai pris une entente avec eux : "Venez travailler dans l'entreprise et, si vous aimez ça, on ira de l'avant".»

Les deux ont aimé. Et c'est ainsi que Choquette CKS, centenaire cette année, fait son entrée dans le club sélect des entreprises dirigées par une quatrième génération. Pour réussir un passage du flambeau comme celui-ci, il faut porter une attention particulière à plusieurs éléments. En voici sept.

1 Une communication efficace

Les aspects financiers, fiscaux et juridiques ne forment que la pointe de l'iceberg du processus de relève, mais ils prennent souvent le dessus. Or, dans plusieurs cas, c'est la gestion des émotions qui est le plus gros morceau. «Des entreprises hésitent à se payer un coach ou croient ne pas en avoir besoin, dit Luis Felipe Cisneros Martinez, directeur du Centre international des familles en affaires. C'est pourtant une nécessité, car les échecs sont souvent causés par des problèmes humains.»

La famille Dubeau se félicite d'avoir fait appel au cabinet Transfert expert Conseil, spécialisé dans la dimension humaine de la relève. «Notre coach nous a aidés à partager nos émotions et nos attentes, à accepter et à miser sur nos différences, souligne Jonathan Dubeau. Il a aussi facilité les discussions sur des sujets délicats, comme la rémunération de chacun.»

«Avec le coach, j'ai pris conscience que, pour aider mes enfants à accomplir la transition, il fallait que j'arrête d'agir en père pour agir en dirigeant», dit Claude Dubeau.

Par ailleurs, l'accompagnateur peut aider cédants et repreneurs à mieux structurer la gouvernance de l'entreprise. Moulures GPL Tradition, un fabricant d'ornements architecturaux de Saint-Clet, s'est fait guider par la firme-conseil Pissenlits. «Pour mener des projets d'expansion, nous avons voulu formaliser la prise de décisions en créant un comité de gestion», explique Isabelle Paiement, qui se prépare avec son frère à reprendre le flambeau.

Le processus de transfert suscite des craintes et de l'incertitude chez les employés. C'est pourquoi il est capital de les informer de ce qui se passe et de répondre à leurs questions. Claude Dubeau a ainsi rencontré ses 85 employés 18 mois avant de céder sa place à ses enfants. «Je voulais les rassurer le plus vite possible. Plusieurs travaillent ici depuis plus de 30 ans et n'ont pas connu d'autre patron que moi.»

Lors d'un transfert à l'externe, c'est encore plus important. «L'attitude compte beaucoup, dit Frédéric Lebel, qui a acheté il y a trois ans ABM Enviro, un fabricant lavallois d'équipements de sécurité pour les marchés de l'eau et des mines. Si j'étais arrivé en disant "C'est moi le boss", la relation aurait mal commencé. J'ai plutôt dit aux gars que je voulais amener l'entreprise plus loin et que, pour ça, j'avais besoin de leur aide.»

2 Le partage du carnet de relations et des responsabilités

Une erreur fréquente consiste à introduire le repreneur auprès des fournisseurs, des clients et des banquiers tardivement dans le processus. Or, si on veut que les affaires continuent de tourner rondement au départ du cédant, c'est pendant la transition que le repreneur doit gagner la confiance de tous ces gens.

Le transfert graduel des responsabilités et la mise en relation progressive auprès des partenaires d'affaires donne de meilleurs résultats, selon Luis Felipe Cisneros Martinez. «Au début, le repreneur accompagne le cédant, ensuite il participe aux discussions, puis il mène les négociations en se faisant accompagner par le cédant et, finalement, il y va seul», décrit-il.

Geneviève Verrier a pris la tête d'Alpha Assurances en 2011. Pourtant, c'est en 2008 qu'elle a commencé à traiter avec les autorités réglementaires, comme l'Autorité des marchés financiers et le Bureau d'assurance du Canada. «Il était essentiel que je sois connue d'eux avant le départ de mon père», dit-elle.

Le cédant doit donc savoir lâcher prise et laisser peu à peu la place à la relève. C'est ce qu'a fait Claude Dubeau avec Jonathan et Stéphanie. L'été dernier, il a même pris des vacances de trois mois. Les jeunes ont été mis à l'épreuve, ayant eu à affronter des imprévus et à mener des négociations corsées. «Je me disais qu'ils m'appelleraient si un problème survenait, raconte celui qui jouera désormais un rôle de mentor. Au lieu de cela, ils m'ont appelé pour m'apprendre qu'ils avaient signé tel ou tel contrat.»

3 Des actions bien réparties

En bon père de famille, le cédant veut souvent transmettre l'entreprise à tous ses enfants, à ceux qui y travaillent comme à ceux qui font carrière ailleurs. Mais cette recherche de l'égalité peut mettre en péril la survie de l'entreprise. «Les uns veulent toucher le plus de dividendes possible, les autres, investir dans l'entreprise, illustre Luis Felipe Cisneros Martinez. Il y a des conflits et ça se termine par une vente à un tiers. Et quand l'entreprise reste dans la famille, c'est que des enfants ont racheté les actions de leur fratrie.»

Il conseille au cédant de mettre son chapeau de dirigeant qui a à coeur la pérennité de l'entreprise plutôt que celui de père. Cela signifie que la majorité des actions votantes doit se retrouver entre les mains des descendants actifs dans l'entreprise.

4 Une évaluation juste de la valeur de l'entreprise

Dans environ la moitié des transferts familiaux, les parties s'entendent entre eux pour fixer le prix de vente sans faire évaluer l'entreprise au préalable, selon Nicolas Marcoux, leader national du groupe Transactions chez PwC. Résultat ? C'est trop cher, ou pas assez.

«Le chiffre que le vendeur a en tête est souvent fondé sur ses besoins financiers plutôt que sur la valeur réelle de l'entreprise, dit le comptable. Il est aussi attaché émotivement à son "bébé", ce qui le pousse à en surévaluer le prix.» Si la nouvelle génération paie trop cher, elle travaillera des années pour rembourser le cédant au lieu de créer de la valeur pour elle-même.

À l'inverse, les parties se fondent parfois sur la capacité de payer des acheteurs pour déterminer le prix. Dans ce cas, c'est le cédant qui risque d'être lésé.

La bonne pratique consiste à confier l'évaluation de l'entreprise à des experts en la matière. Après l'analyse de diverses variables (valeur des actifs, niveau des bénéfices et des flux de trésorerie, transactions comparables, etc.), ils arriveront à un juste prix. «Et comme ils sont détachés émotivement, leur opinion est objective», ajoute Charles Chamberland, associé, groupe Transactions chez PwC.

5 Une vérification diligente, même lors d'un transfert familial

«Je vends à ma fille, une vérification diligente n'est pas nécessaire», pensez-vous. Peut-être. Mais s'il y a des prêteurs dans le décor, ils tendent de plus en plus à en exiger une. «Les états financiers vérifiés ont leurs limites, souligne Charles Chamberland. Ce sont des chiffres conformes aux normes comptables, alors que les banquiers veulent plutôt comprendre les flux de trésorerie, le fonds de roulement, les dettes et les engagements hors bilan, etc.»

Par exemple, la vérification diligente permet de vérifier la qualité du bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA) et cela, sur plusieurs années. Si une entreprise vend un terrain un million de dollars, elle fait un gain non récurrent qui ne se reproduira pas l'année suivante. «En retranchant les anomalies positives ou négatives, on obtient un portrait financier plus juste de l'entreprise», dit Nicolas Marcoux. Avant de déposer une offre d'achat, Frédéric Lebel, le jeune propriétaire d'ABM Enviro, conseille pour sa part de rencontrer les employés clés. «S'ils décident de partir en même temps que le fondateur, cela peut avoir un impact sur la performance financière de l'entreprise.» Même chose avec les principaux clients.

6 Financement : un meilleur partage des risques

Auparavant, le cédant assumait presque tous les risques de la transaction en prêtant la somme nécessaire et en se faisant rembourser à même les flux monétaires. Ça se voyait lors d'un transfert familial, mais aussi lors d'un rachat par les cadres. Il perdait tout si l'entreprise faisait faillite. Il ne touchait rien de plus si elle prospérait.

Depuis quelques années, on constate un meilleur partage des risques entre les parties. «Le cédant obtient de l'argent et diminue son risque financier sans trop endetter l'acheteur ni mettre en péril la capacité de croissance de l'entreprise», dit Nicolas Marcoux.

Ça ne signifie pas qu'il n'y a pas de balance de vente, mais plutôt qu'elle est moins élevée. Ainsi, quand Frédéric Lebel et son associé ont acheté leur entreprise, le vendeur a consenti une balance de vente de 25 %. «Pour nous, c'était une sécurité, dit-il, car il y a parfois de mauvaises surprises après l'achat : mauvaises créances, poursuite d'un client, problème avec le fisc, etc.» Dans le cas d'ABM Enviro, tout était beau, et les nouveaux propriétaires ont remboursé la balance de vente plus rapidement que prévu.

Ce meilleur partage des risques est facilité par la panoplie de programmes de financement offerts à la relève d'entreprise. «Depuis quelques années, on remarque une grande volonté des institutions financières comme Desjardins, le Fonds de solidarité FTQ et la Caisse de dépôt et placement du Québec de conserver les entreprises ici, souligne M. Marcoux. Le coffre à outils pour financer la relève est mieux garni.»

Frédéric Lebel, qui n'avait aucune expérience en entrepreneuriat, a pu compter sur la crédibilité de son associé, l'ange financier Gilles Lafond, pour obtenir du financement. «C'était d'autant plus difficile à financer que nous achetions surtout de l'achalandage», dit-il. Le prêteur a eu raison de lui avancer les sommes nécessaires. Depuis, les revenus d'ABM Enviro ont doublé, le nombre d'employés est passé de 6 à 10, et l'entreprise a déménagé dans des locaux deux fois plus grands.

Le jeune dirigeant s'apprête maintenant à racheter les actions de son associé. Et c'est celui-ci qui le financera, en se réservant des actions en garantie. «Je suis chanceux d'être tombé sur un ange, un vrai !»

7 Une convention d'actionnaires bien rédigée

C'est essentiel, même lors d'une relève familiale. André Morrissette, associé chez BCF, décrit ce document comme représentant les règles du jeu. Peut-on embaucher les conjoints des actionnaires ? Vendre ses actions à n'importe qui ? Exclure un actionnaire indésirable ? Qu'arrive-t-il avec les actions d'un actionnaire décédé ? Les actionnaires minoritaires ont-ils un droit de regard ?

Chaque convention est unique et se doit de bien refléter la situation de l'entreprise. Mais attention à l'envie de vouloir faire simple. «La convention risque de devenir désuète au premier changement, avertit l'avocat. Par exemple, s'il est stipulé que les trois actionnaires doivent prendre les décisions à la majorité, mais que rien n'est prévu en cas de décès, comment obtiendra-t-on la majorité ?»

Une convention qui essaie de couvrir toutes les éventualités n'est guère mieux. «Ça devient un monstre de complexité et les actionnaires ne s'y retrouvent plus, ce qui multiplie les risques d'erreurs.»

Le concours Les Médaillés de la relève, organisé par le Centre international des familles en affaires McGill - HEC Montréal, PwC et BCF Avocats d'affaires, souligne le transfert réussi d'une entreprise privée québécoise par son propriétaire à une équipe formée de membres de sa famille ou de cadres de l'entreprise.

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