Les champions du don

Publié le 01/12/2008 à 00:00

Les champions du don

Publié le 01/12/2008 à 00:00

Leur notoriété, leur réseau de contacts et leur dévouement font d'eux des leveurs de fonds par excellence. Ils sont capables d'amasser des millions de dollars pour une cause... à condition d'y croire !

Yves Fortier est en train de réaliser un des mandats les plus difficiles de sa carrière. Il ne s'agit pas de l'une des nombreuses causes d'arbitrage international qui le mènent fréquemment en Europe et en Asie. Non. Ce mandat épuisant, il le réalise ici, à Montréal. Il y a un an, le président du cabinet Ogilvy Renault a accepté de coprésider la plus importante campagne de financement de l'histoire de l'Université McGill. L'objectif : recueillir 750 millions de dollars. Déjà, plus de la moitié de cet objectif (400 M$) a été atteint, à coups d'appels téléphoniques, de lettres et de dîners d'affaires. Un succès remporté à l'arraché, avoue cet avocat qui en a pourtant vu d'autres. "Ce n'est pas naturel pour moi de solliciter les gens. Tendre la main m'a toujours rendu mal à l'aise, mais parfois, il faut le faire, un point, c'est tout, dit-il. Lorsque nous en avons les moyens, c'est notre devoir de nous engager pour assurer l'avenir de nos institutions", ajoute-t-il.

Toutes les causes sont bien fondées, reconnaît Yves Fortier. Toutefois, selon lui, "il n'existe qu'une seule façon d'attirer un leveur de fonds : il faut qu'il y croie". Ainsi, cet avocat, diplômé de l'Université McGill en 1958, ne s'est pas fait prier pour s'engager dans la campagne de financement de son alma mater. Depuis l'obtention de son diplôme, le lien a toujours été maintenu. En plus d'en être un des gouverneurs, il y a aussi enseigné. Lever des fonds était donc un juste retour du balancier. "J'ai accepté de solliciter des sociétés pour des millions de dollars parce que je connais cette université et que je peux en vanter les qualités", souligne-t-il. Et puis, le fait que le magazine Time classe McGill parmi les 25 meilleures universités du monde facilite la sollicitation auprès des amis, des connaissances et des dirigeants de grandes entreprises. Ce ne sont pas tous les leveurs de fonds qui peuvent s'appuyer sur un tel argument.

Le président du réseau de concessionnaires automobiles Park Avenue, Normand Hébert junior, peut en témoigner. Il siège au conseil d'administration de l'Université Concordia, qui se prépare à lancer une grande campagne de financement. "Concordia doit encore se faire connaître, admet l'homme d'affaires. Mais sa force, c'est d'être une université multiculturelle. C'est sur cette ouverture au monde que nous devrons miser à l'avenir." L'homme d'affaires reconnaît qu'il reste beaucoup à faire. Mais il a l'habitude. Depuis huit ans, il s'engage auprès de Centraide du Grand Montréal, qui cette année, vise à récolter plus de 55,5 millions de dollars. Pour la deuxième année consécutive, il a même accepté de présider la campagne des grands donateurs. Sa responsabilité consiste à solliciter des dons de plus de 10 000 dollars. Un travail de longue haleine, dit-il.

L'art de solliciter

Avant de donner des milliers de dollars, les entreprises veulent savoir où ira leur argent, à quoi il servira et qui en bénéficiera. "Il faut parfois plusieurs années avant de convaincre un dirigeant de faire un don majeur. On ne peut pas arriver chez quelqu'un et lui demander du jour au lendemain un demi-million", explique Normand Hébert junior. Tout est dans l'approche. "La première année, il m'arrive d'appeler certains donateurs potentiels simplement pour leur expliquer ce que fait Centraide. La deuxième année, je reviens à la charge : je leur raconte ce qui a été fait depuis et je leur demande s'ils ont envie de collaborer. Je les amène d'abord à adhérer à la cause, puis je les fidélise", explique-t-il. Pour y parvenir, Centraide permet aux futurs grands donateurs de visiter l'un des 300 organismes auxquels ils viendraient en aide. "Rien de mieux que de voir de nos propres yeux comment nous pouvons contribuer à changer les choses", souligne Normand Hébert junior, qui se souvient d'avoir été marqué par une cuisine communautaire du quartier Villeray, à Montréal. Les familles et les gens à faible revenu pouvaient y faire leur épicerie et y préparer des plats santé. Une initiative qui permet aux plus démunis de préserver leur dignité.

Voilà d'ailleurs une des raisons qui incite plusieurs personnalités du milieu des affaires à participer aux campagnes de financement : ils sont conscients de leurs moyens et de leur influence. Ils savent qu'ils peuvent changer les choses. "C'est pour nous un bon moyen de redonner ce que nous avons reçu", estime L. Jacques Ménard, président de BMO Groupe financier, Québec, et président du conseil de BMO Nesbitt Burns. Au cours de sa carrière, cet homme d'affaires est venu en renfort pour aider tant OXFAM que les Grands Ballets Canadiens et les défunts Expos de Montréal. Il a aidé, entre autres, la Fondation de l'hôpital Sainte-Justine lors de sa campagne "Grandir en santé", qui a amassé 125,4 millions de dollars. Plus récemment, il a accepté de partager ses connaissances et son expérience avec le groupe rock québécois Simple Plan pour lancer la première campagne de leur fondation. Il s'apprête aussi à s'engager dans la prochaine grande campagne de l'OSM.

La réputation de L. Jacques Ménard dans le monde de la philanthropie n'est plus à faire. Il est très payant de l'avoir parmi les membres de sa fondation, dit-on. "Quand je décide d'appuyer une cause, je ne le fais pas à moitié", précise-t-il. Son sens de la persuasion et son carnet d'adresses bien garni lui permettent de placer la barre haute. Il peut appeler un jour René Angélil pour convaincre Céline Dion d'être la marraine d'une campagne, et le lendemain, la ministre de l'Éducation pour lui faire part d'un projet contre le décrochage scolaire.

Néanmoins, il est impossible de soutenir toutes les causes. L. Jacques Ménard refuse plus souvent qu'il n'accepte. Sa règle d'or : ne jamais mener plus de deux campagnes de financement en même temps, et de préférence les mener dans un environnement différent. "Dans les affaires comme dans le bénévolat, il faut savoir mesurer ses attentes. Si vous demandez trop souvent, plus personne ne voudra donner." Son ami Louis A. Tanguay, le nouveau président du conseil de l'Institut de cardiologie qui est aussi président de la Fondation de l'hôpital Sacré-Coeur, partage cet avis. "On peut soutenir plusieurs causes, mais présider des campagnes exige beaucoup de temps et d'énergie, mentionne-t-il. C'est presque un travail à temps plein", reconnaît l'ancien président de Bell Canada, maintenant retraité.

Donner de son temps

Pour atteindre ses objectifs, il faut organiser des tournois de golf, des soupers au homard et des galas. Louis A. Tanguay est passé maître dans la vente de couverts pour le Bal des vin-coeurs, qui a permis d'amasser deux millions de dollars pour l'Institut de cardiologie. Il ne délaisse pas pour autant son autre cause. À lui seul, il est parvenu à recueillir plus d'un million de dollars pour la grande campagne de Sacré-Coeur, qui a dépassé son objectif de 35 millions de dollars. Il s'apprête aussi à utiliser son réseau de contacts pour financer le centre de traumatologie.

Le Québec est petit, certes, mais quand vient le moment des collectes de fonds, cela peut devenir un avantage, croit Louis A. Tanguay. Les donateurs potentiels sont connus et connaissent à leur tour les présidents des fondations et les gestionnaires des organismes, explique-t-il. "Cette proximité inspire confiance et facilite les dons, explique-t-il. D'ailleurs, les gens d'affaires du Québec sont plus ouverts à donner aux organisations d'ici qu'à celles de l'étranger."

Encore faut-il tout de même être vu et entendu. "Et ne jamais garder sa cause trop loin des projecteurs, car elle serait vite oubliée", rappelle Louis A. Tanguay, qui insiste aussi sur l'importance d'attirer plus de jeunes pour siéger aux conseils des fondations. "Il faut les habituer dès maintenant à participer à des collectes de fonds, pour qu'ils soient en mesure, lorsqu'ils occuperont des postes de direction, de solliciter des dons majeurs." Dans le monde des affaires comme dans celui de la philanthropie, le dossier de la relève est critique.

Car dans l'univers des dons, rien n'est jamais vraiment acquis. Ainsi, lorsqu'une fondation entre dans une phase "silencieuse" et qu'elle prépare une grande campagne, par exemple, les sommes qu'elle reçoit peuvent chuter sérieusement. Même une institution aussi prestigieuse et aussi bien établie que le Musée des beaux-arts de Montréal, qui fête cette année son 150e anniversaire, en sait quelque chose. Cette institution vient de lancer une campagne de financement importante. "Il faudra développer une bonne stratégie, si nous voulons atteindre notre objectif de 100 millions de dollars", reconnaît le président du conseil, Brian M. Levitt. Bien conscient de la nécessité de "se faire voir" pour attirer des fonds, le coprésident du cabinet Osler, Hoskin & Harcourt s'attend à rendre visite à bon nombre de donateurs potentiels au cours des prochaines années. Et même si de nombreux bénévoles se partagent le travail de sollicitation, l'avocat sait qu'il devra mettre à son agenda plus d'une vingtaine de dîners d'affaires pour parler du Musée.

Lever des fonds est un travail systématique. Moins on laisse les choses au hasard, plus on a de chances de réussir. Ainsi, avant de rencontrer un donateur potentiel, Brian M. Levitt a une bonne idée de sa capacité financière. "Au début d'une campagne, les fondations évaluent généralement les dons qu'une entreprise peut faire selon son chiffre d'affaires. Je sais donc que telle entreprise est en mesure d'offrir un ou deux millions de dollars, ce qui me facilite énormément la tâche, explique-t-il. Toutefois, même si tout le monde reconnaît l'importance des institutions culturelles, on devra toujours lutter pour faire connaître l'art", ajoute-t-il.

Soutenir une cause équivaut souvent à accepter de se battre. L'ancienne présidente et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et actuelle présidente de Marketel, Isabelle Hudon, est bien placée pour le savoir. En 2005, lorsqu'elle a accepté la présidence de la Fondation les petits trésors de l'Hôpital Rivière-des-Prairies, qui s'occupe de la santé mentale des enfants, cette fondation n'avait pas un sou. Tout était à faire. En moins de trois ans, Isabelle Hudon a complètement remanié le conseil d'administration ; elle a aussi convaincu certains de ses amis d'y siéger et elle a mis sur pied des activités annuelles de financement. Depuis, la Fondation recueille au moins un million de dollars par an. Son secret : faire preuve de conviction et de détermination. "Ma grande force a été d'attirer l'attention sur cette cause qui me tient à coeur." La Fondation entame une grande campagne de financement de trois à cinq millions. Isabelle Hudon a déjà commencé à signer des lettres et à faire des appels ; elle a convaincu le président d'Hydro-Québec, Thierry Vandal, d'agir à titre de président d'honneur. "Je suis une femme privilégiée sur le plan personnel et professionnel, alors pour moi, la meilleure façon d'aider, c'est de donner du temps, dit-elle. D'ailleurs, le plus beau compliment qu'on puisse me faire, c'est de me dire que je suis généreuse."

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