Le juste prix, un enjeu pour la culture

Publié le 23/02/2013 à 00:00

Le juste prix, un enjeu pour la culture

Publié le 23/02/2013 à 00:00

Alexandre Taillefer : «Quel est l'impact de la gratuité sur l'industrie culturelle ?»

«Pour contrebalancer le recul des subventions publiques, les établissements culturels cherchent à trouver d'autres financements», pouvait-on lire récemment sur BFMTV, un site français de nouvelles. Le Québec a sensiblement le même «modèle de gratuité» que la France (par opposition au «modèle américain», qui exige un plus grand effort des consommateurs de culture). Et ici comme en France, ce modèle pose le même problème du financement de la culture.

Pas étonnant que les quatre experts que nous avons interrogés rejettent cette gratuité. D'autant qu'il est douteux qu'elle atteigne ses objectifs : plutôt que d'inciter des personnes qui ne vont jamais au musée, au concert ou à l'opéra à fréquenter ces lieux, elle ne ferait qu'encourager les «convertis» à y aller plus souvent, disent les experts. À l'heure où il faut débourser plus de 100 $ pour assister à un match de hockey ou un spectacle de Beyoncé, pourquoi faudrait-il que des chefs-d'oeuvre du patrimoine mondial soient gratuits ?

«La gratuité érigée en système ne rend pas service à l'industrie culturelle, affirme le sénateur Serge Joyal, collectionneur, mécène et expert reconnu en évaluation d'oeuvres d'art. On va finir par étouffer les organismes culturels.»

Bien sûr, M. Joyal, membre fondateur du Musée d'art de Joliette et premier président francophone de la Société des musées québécois, n'est pas contre l'objectif d'attirer plus de gens dans les musées ou au concert, mais il croit que la gratuité lance un mauvais message à la société. «Le risque est que la population se désengage de la culture, croyant que c'est l'affaire du gouvernement. Plus de 40 % des Québécois ne paient pas d'impôt ; les étudiants réclament la gratuité scolaire ; d'autres voudraient que tous les spectacles soient gratuits. Il y a une limite !

«D'abord, les artistes ne vivent pas de l'air du temps. À un moment donné, il faut que quelqu'un paie, poursuit M. Joyal, ancien membre du conseil de direction de l'Association des musées du Canada. Et puis, la gratuité ne garantit pas une fréquentation "élargie" ; il faut un minimum de curiosité intellectuelle pour s'intéresser à la culture, et chez certaines personnes, ça ne fait pas partie de leurs valeurs.»

Michel Zins, directeur du Département de marketing de la Faculté des sciences de l'administration de l'Université Laval, doute aussi des vertus de la gratuité. «Il existe des produits culturels très chers qui se vendent très bien, comme les spectacles rock au Centre Bell. Ce qui prouve que le prix n'est pas toujours un facteur déterminant.

Intérêt pour la culture

«Le facteur culturel est important, croit aussi M. Zins, président de la firme de consultants Zins Beauchesne et associés. Ce n'est pas qu'une question de moyens financiers. Gratuité ne veut pas nécessairement dire qu'on attirera des personnes qui ne s'intéressent pas à la culture. De toute façon, une part importante de ceux qui participent à des activités culturelles gratuites aurait les moyens de payer.»

La gratuité ne séduit pas non plus François Colbert, titulaire de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux de HEC Montréal. «La grande majorité des personnes qui s'intéressent aux musées, aux orchestres symphoniques ou à l'opéra ont probablement les moyens de se les payer. Partout dans le monde, les études montrent que les deux tiers de cette clientèle ont un diplôme universitaire et donc des revenus supérieurs à la moyenne.»

Aux États-Unis, la moitié des revenus des musées vient de la billetterie et l'autre moitié, de mécènes. Aucune subvention. Ici, tout est gratuit, donc fortement subventionné. Et ici comme dans d'autres pays, le gouvernement souhaite se désengager du financement de la culture.

«En Angleterre, ils ont fait l'expérience de la gratuité. La fréquentation a effectivement augmenté, mais ils se sont rendu compte que ce sont les mêmes personnes qui reviennent plus souvent, raconte M. Colbert. Et les Anglais ont réintroduit les tarifs. Je suis contre la gratuité, parce que ça équivaut à subventionner des personnes qui ont les moyens de payer et que ça lance le message que la culture, ça ne vaut pas grand-chose.»

«Il y a un risque de banalisation du produit culturel», croit aussi John R. Porter, président de la Fondation du Musée national des beaux-arts du Québec, qui prévoit que l'institution qu'il a dirigée pendant 15 ans réintroduira les tarifs pour les collections permanentes d'ici quelques années. «Avec ce que ça coûte pour réaliser des projets intéressants, il faut des revenus stables. Et puis, un bon produit appelle une contribution.»

SON COMMENTAIRE

La survie de nos institutions culturelles passe par les revenus autonomes. En jumelant les coupes annuelles de nos budgets en culture à la hausse des coûts liés à l'inflation, c'est 4 à 5 % par année que l'on ampute au budget de nos institutions culturelles. Dans 10 ans, ça représentera 50 % ! Générer des revenus autonomes est le nerf de la guerre, notre seule façon de survivre. Une plus grande autonomie est possible en augmentant : a) les revenus de commandites, b) les dons, et c) les revenus de billetteries. Or, nous avons très peu de contrôle sur a) et b), et leur récurrence n'est pas certaine. Je ne peux qu'être heureux de constater que des experts, et pas des moindres, s'entendent pour dénoncer eux aussi la gratuité en culture. L'utiliser comme stratégie de commercialisation, d'accord : «Goûtez-y et vous en redemanderez». Mais quand le buffet est servi chaque jour, payer pour manger devient futile. Il faut rapidement se concerter entre diffuseurs de culture afin d'éliminer progressivement la gratuité et instaurer des habitudes de consommation qui détermineront notre capacité à survivre.

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