«La dissension stimule la créativité»

Publié le 19/05/2012 à 00:00

«La dissension stimule la créativité»

Publié le 19/05/2012 à 00:00

Si les dirigeants d'entreprise veulent faire éclore la créativité au sein de leurs équipes, ils doivent revoir leurs méthodes de gestion. Voilà la thèse du journaliste scientifique Jonah Lehrer dans un nouvel ouvrage, Imagine : How Creativity Works.

Les Affaires - Selon vous, on se fait de fausses idées sur la créativité. Que voulez-vous dire ?

Jonah Lehrer - Le plus grand mythe, c'est que la créativité est un talent qui tombe du ciel, limité à un groupe restreint d'élus. C'est faux. La créativité, tout le monde en a, et cela se développe. Nous ne sommes pas tous égaux quant à nos capacités, mais on peut y travailler. Il s'agit de savoir quoi faire et quand. L'autre mythe consiste à croire que la créativité est un processus unique : une idée jaillit et hop ! c'est réglé, on a trouvé la solution. Les recherches récentes en neurosciences démontrent au contraire que la créativité fait appel à une série de processus cognitifs distincts. Quand on a un «éclair de génie», cela se passe au niveau de l'hémisphère droit, vers l'arrière du cerveau. Mais cet éclair n'est qu'une étape du processus créatif. Il faut ensuite se concentrer, persévérer afin de peaufiner la solution. Et ce processus s'opère au niveau du cortex préfrontal. Bref, la créativité est un ensemble de processus de pensée. Elle ne devrait pas être un nom, mais un verbe !

L.A. - Qu'est-ce qui provoque l'inspiration ?

J.L. - Il faut d'abord frapper un mur. Sentir que l'on ne progresse plus, qu'on n'a plus de solution. Quand c'est le cas, il ne sert à rien de continuer à travailler sur le problème. Mieux vaut décrocher. Aller marcher, se verser une bière, s'isoler à la campagne, peu importe : le but est de cultiver les ondes alpha qui nous permettent de relaxer, et laisser travailler l'hémisphère droit de notre cerveau. C'est dans cet état que l'inspiration vient. En revanche, si on sent que notre travail progresse bien, que l'on est sur le point de régler un problème, il faut alors continuer de travailler, se concentrer davantage, au lieu de se distraire. C'est le moment de prendre un café, plutôt qu'une bière, et de rester au bureau jusqu'à minuit s'il le faut. Pour être créatif, l'individu a besoin des deux : l'inspiration, qui vient lorsqu'on est distrait, et le travail, qui demande de la concentration.

L.A. - Comment expliquez-vous que les gens souffrant de troubles de déficit d'attention ou bipolaires soient plus créatifs ?

J.L. - Ceux qui sont atteints du déficit d'attention ont l'habitude d'être distraits, c'est-à-dire de recevoir des informations de sources inattendues. Cette capacité de faire de nouvelles combinaisons d'idées, c'est cela, la créativité. C'est la capacité de combiner, de transposer, d'augmenter ou de diminuer le matériel qui nous est accessible par l'intermédiaire de nos sens et de notre expérience. Quant aux personnes bipolaires, elles se sentent inspirées en phase heureuse et, en phase dépressive, elles peuvent mieux persévérer. Le sentiment de bonheur provoque l'inspiration et la tristesse nous aide à tenir bon, si ces états ne sont pas débilitants.

L.A. - Que nous apporte la perspective de l'outsider, la personne qui vient de l'extérieur ?

J.L. - Lorsqu'on est trop collé à un problème, on a besoin d'un nouveau regard. Il faut faire appel à des gens situés en marge de notre quotidien. Le succès du site Web InnoCentive, qui permet aux entreprises de soumettre leurs problèmes à un bassin de scientifiques extérieurs, en est la preuve. À titre individuel, tout ce qui brise la routine nous donne cette perspective.

L.A. - Vous ne croyez pas aux vertus du remue-méninges. Pourquoi ?

J.L. - Parce que le brainstorming interdit la critique et la dissension. Il ne favorise pas le débat. Or, l'expérience chez Pixar, l'une des entreprises les plus créatives du monde, démontre que la critique mène à l'émergence d'autres idées, qu'elle a un effet multiplicateur sur l'imagination. Les études le confirment : placez les gens en situation de débat et ils généreront 25 % plus d'idées.

L.A. - Comment les entreprises peuvent-elles stimuler la créativité au sein de leurs équipes ?

J.L. - En imitant les villes ! Tout comme ces dernières ont bâti des lieux publics où les gens font des rencontres imprévues, les entreprises doivent créer des espaces propices aux interactions, au partage d'informations. Il faut que vos employés créent des liens non seulement avec leurs coéquipiers, mais avec d'autres. Les liens serrés, c'est bien, mais les liens occasionnels, qui peuvent nous sortir de la routine, sont très importants pour la créativité. C'est pourquoi les villes sont plus créatives que les banlieues. Pour la même raison, on aussi constaté que les équipes qui sont trop soudées perdent leur créativité. Celles qui ne le sont pas assez, par contre, en manquent.

L.A. - Croyez-vous que la créativité soit possible au sein des grandes entreprises ?

J.L. - Les grandes entreprises étouffent la dissension, alors qu'il en faut pour stimuler la créativité. Elles favorisent la microgestion, empêchent les employés d'être distraits, de décrocher. L'autre problème est qu'elles mettent souvent des clauses de non-concurrence si sévères dans les contrats des employés qu'elles empêchent la circulation des informations. Lorsque Silicon Valley a débuté, les entreprises étaient petites, il n'y avait pas de telles clauses et, à mon avis, c'est ce qui a mené au niveau élevé de créativité dans cette région. Les politiques et la réglementation aussi doivent changer. Les lois sur les brevets, par exemple, doivent être assouplies.

L.A. - Quelle est la priorité selon vous ?

J.L. - L'éducation. Il faut cultiver la créativité à l'école. On sait que le 21e siècle sera celui de la créativité, car c'est elle qui va nous permettre de résoudre des problèmes de plus en plus complexes. Mais on n'enseigne pas cette compétence à nos enfants. On sait pourtant que les époques et lieux ayant donné naissance à des grands créatifs, comme Shakespeare dans le Londres de l'époque élisabéthaine, se sont démarqués par leur ouverture à l'éducation, à l'immigration, à la prise de risque et à la collision entre gens créatifs.

CV

Nom : Jonah Lehrer

Âge : 30 ans

Titre : Journaliste scientifique

Boursier Rhodes, collaborateur à la revue Wired et auteur de How We Decide

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