Crise de liquidités en vue pour Air Canada

Publié le 22/11/2008 à 00:00

Crise de liquidités en vue pour Air Canada

Publié le 22/11/2008 à 00:00

Air Canada (Tor., AC.B, 2,32 $) est en voie de subir une grave crise de liquidités d'ici six mois qui pourrait la forcer à se restructurer une deuxième fois en six ans.

"Air Canada dispose d'assez d'encaisse pour les six prochains mois, mais ensuite, en l'absence de flux de trésorerie positifs, la probabilité est relativement élevée que la société doive à nouveau se restructurer", dit Michel Magnan, titulaire de la Chaire Lawrence-Bloomberg du Département de comptabilité de l'Université Concordia.

Signe d'un risque élevé de faillite, le cours de l'action n'a plus qu'une valeur d'option, souligne M. Magnan.

Pour 230 millions de dollars (M$), vous pouvez acheter toutes les actions d'Air Canada, alors qu'il vous en coûterait cinq fois plus pour acquérir toutes celles de WestJet. Pourtant, le chiffre d'affaires de WestJet est cinq fois plus petit que celui d'Air Canada.

Air Canada traîne une dette de 5,4 milliards de dollars (G$). Son encaisse a fondu de près de la moitié entre le premier trimestre de 2007 et le 30 septembre dernier, pour s'établir à 1,1 milliard de dollars (G$).

De plus en plus d'analystes partagent la même inquiétude quant à l'état des liquidités du transporteur aérien.

"L'entreprise entame sa saison la moins rentable avec une encaisse inférieure à ce que nous aimerions compte tenu du contexte économique morose", dit Nick Morton, analyste chez RBC Marchés des Capitaux.

Air Canada va vite se retrouver avec une encaisse inférieure à son niveau de confort de 1 G$, et même s'approcher de 500 M$ au premier semestre de 2009, selon M. Morton.

Claude Proulx, analyste chez BMO Marchés des capitaux, prévoit lui aussi qu'à la fin du deuxième trimestre de 2009, l'encaisse d'Air Canada sera inférieure à 500 M$.

Trois sources d'inquiétude

Dans le ciel d'Air Canada se dessinent trois facteurs qui pourraient avoir un effet dangereux sur les liquidités de l'entreprise, explique Michel Magnan.

Premièrement, le déficit d'exploitation force actuellement l'entreprise recourir à son encaisse. Air Canada a utilisé plus de 250 M$ de liquidités au cours du troisième trimestre.

Cette situation pourrait s'aggraver rapidement, car habituellement, les affaires du transporteur diminuent de façon marquée au quatrième trimestre.

De plus, le contexte de récession risque de faire chuter les revenus de toute l'industrie du transport aérien au cours des prochains trimestres.

Deuxièmement, la société pourrait avoir de la difficulté à renouveler ses emprunts, croit M. Magnan. Elle fera face d'abord à des échéances d'une valeur de 253 M$ au quatrième trimestre, et de 584 M$ durant l'année 2009. La crise du crédit compliquera le refinancement. À défaut de pouvoir renouveler ses emprunts, Air Canada devra puiser encore plus dans ses réserves.

Troisièmement, le déficit de la caisse de retraite de ses employés pourrait s'accroître de façon importante.

Au 31 décembre 2007, ce déficit s'établissait déjà à 1,3 G$, selon les états financiers de l'entreprise. La dégringolade des marchés boursiers au cours des derniers mois risque de l'avoir creusé considérablement, craint M. Magnan.

Les pertes s'accumuleront

Compte tenu des perspectives économiques et de l'état de l'industrie de l'aviation, Air Canada ne réalisera pas de bénéfice au cours des quelques prochaines années, estime Claude Proulx. Il prévoit une perte de 1,73 $ par action pour l'exercice 2008, de 3,29 $ en 2009 et de 1,59 $ en 2010.

Air Canada est redevenue une entreprise à capital ouvert en décembre 2006 à la suite d'une émission d'actions effectuée par Gestion ACE Aviation, la société de gestion créée lors de la restructuration financière du transporteur aérien. Air Canada s'était placée sous la protection de la Loi sur la faillite en 2003.

L'action émise à 21 $ ne vaut plus que 2,30 $. ACE possède

Jazz Air prise en otage

Société en commandite gérée à 100 % par le Fonds de revenu Jazz Air, le transporteur régional Jazz serait assurément touché par une restructuration d'Air Canada.

Jusqu'en 2015, l'entreprise d'Halifax est liée par un contrat d'achat de capacité avec Air Canada, aux termes duquel cette dernière s'occupe de gérer la flotte, de fixer les horaires et de déterminer les tarifs de Jazz. En 2007, pas moins de 99 % de ses revenus de 1,5 milliard de dollars dépendaient directement d'Air Canada.

Ses liens d'affaires avec Air Canada placent Jazz en terrain mouvant. Non seulement elle risque de voir son volume d'affaires diminuer et de se faire demander une réduction de ses marges bénéficiaires, elle pourrait aussi se voir imposer une renégociation complète de son contrat d'achat de capacité avec Air Canada, estime Claude Proulx, analyste chez BMO Marchés des capitaux.

C'est ce que croit également Cameron Doerksen, analyste chez Partenaires Versant. Il s'attend à ce qu'en 2009, Air Canada réduise encore de 5 % le nombre d'heures réservées auprès de Jazz.

Jazz n'a d'autre choix que de s'adapter en réduisant son personnel et en suspendant les activités de formation.

David Newman, analyste à la Financière Banque Nationale, souligne toutefois que la diminution d'activité provenant d'Air Canada pourrait entraîner une augmentation des revenus provenant de la division des vols nolisés de Jazz. M. Jolicoeur

Rien n'est acquis pour WestJet

Si les difficultés d'Air Canada se poursuivent, la plupart des observateurs estiment que WestJet en profitera pour améliorer sa situation concurrentielle déjà plus qu'enviable, dans un ciel souvent qualifié de duopolistique.

Selon Karl Moore, professeur à l'Université McGill, WestJet, deuxième transporteur aérien au pays, profitera de cette période trouble pour s'approprier de nouveaux marchés ou renforcer sa présence dans ceux où il est déjà présent.

C'est également l'avis de Barry Prentice, spécialiste associé à l'Institut du transport de l'Université du Manitoba.

À la seule différence, souligne-t-il, que WestJet, même mieux en selle, pourrait devoir bien se tenir pour affronter un nouveau Air Canada qui serait ragaillardi après une restructuration.

Pour d'autres raisons, Pierre Bernard, portefeuilliste à l'Industrielle Alliance, doute lui aussi que la débâcle d'Air Canada puisse véritablement profiter à sa rivale de l'Ouest.

À son avis, une fois à l'abri de ses créanciers, Air Canada pourrait en profiter pour déclencher une guerre de prix qui mettrait à l'épreuve les WestJet et Porter Airlines de ce monde.

Libérée pour un temps de son obligation de rentabilité, Air Canada pourrait profiter de la situation pour gagner des parts de marchés qu'elle tentera par la suite de conserver. M. Jolicoeur

Aéroplan ne pourra pas s'en tirer indemne

Le Groupe Aéroplan risque lui aussi de souffrir d'une restructuration d'Air Canada.

De toutes les ex-filiales d'ACE (dont Jazz et Services techniques), Aéroplan serait par contre la moins exposée aux difficultés du transporteur aérien, selon les spécialistes.

C'est l'avis entre autres de Jacques Roy, professeur de HEC Montréal : "Aéroplan est moins lié qu'avant à Air Canada et beaucoup plus diversifiée que Jazz."

Outre le programme de fidélisation d'Air Canada, Aéroplan possède en tout ou en partie deux autres sociétés du monde de la fidélisation, soit Nectar, du Royaume-Uni, et Reward Management Middle East, de la région du golfe Persique. Aéroplan possède aussi Insight & Communication, une société d'analyse de données sur la clientèle.

Colin Moore, analyste de Credit Suisse, évoque le risque que durant les jours suivant l'annonce d'une restructuration d'Air Canada, de nombreux membres d'Aéroplan échangent leurs points accumulés ou désertent Aéroplan au profit de programmes concurrents.

Un autre risque, fait valoir l'analyste Neil Linsdell, de Partenaires Versant, est qu'Air Canada demande de revoir les conditions des ententes liant les deux sociétés.

Pour Aéroplan, il pourrait en résulter une diminution des revenus provenant d'Air Canada et une réduction des places disponibles sur les vols, ainsi qu'une augmentation des coûts liés aux récompenses. M.Jolicoeur

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