Comment résister au «capitalisme d'État» des pays émergents

Publié le 23/02/2013 à 00:00

Comment résister au «capitalisme d'État» des pays émergents

Publié le 23/02/2013 à 00:00

Pierre Beaudoin : «L'État joue un rôle déterminant dans les économies émergentes, comme la Chine. Il est proactif et interventionniste. The Economist parle même de capitalisme d'État. Dans ce contexte, que doivent faire les gouvernements au Canada (fédéral, provincial et les municipalités) pour que l'économie canadienne demeure concurrentielle relativement aux économies et aux entreprises de ces pays émergents ?»

Elles sont énormes. Elles ont beaucoup de moyens. Elles ne font pas de quartier. Les puissantes sociétés d'État des pays émergents comme la Chine concurrencent plus que jamais nos entreprises sur la planète et au Canada. La partie est-elle perdue d'avance ? Non. Ottawa et les provinces peuvent agir sur plusieurs fronts. Mais attention : les sociétés canadiennes devront faire des sacrifices pour mieux résister aux Huawei de ce monde, disent les spécialistes.

Le capitalisme d'État n'est pas nouveau. Depuis le 19e siècle, les pays industrialisés comme les États-Unis, la France ou le Japon sont intervenus massivement dans leur économie pour se développer ou surmonter une crise. Aujourd'hui, c'est au tour de la Chine d'utiliser cette arme. Une stratégie dont le déclin est déjà écrit dans le ciel, car elle est inefficace à long terme pour répartir avantageusement les ressources dans une société moderne, croient beaucoup d'économistes.

Toutefois, le crépuscule de ce nouveau capitalisme d'État n'est pas pour demain. D'ici là, outre des plaintes à l'Organisation mondiale du commerce pour pratiques anticoncurrentielles ou la conclusion d'accords de libre-échange avec des pays émergents, nos gouvernements peuvent faire plusieurs choses pour aider le milieu des affaires à affronter cette concurrence.

1. Insufflons plus de concurrence dans notre économie

Le Canada doit se doter d'entreprises plus fortes, plus productives et plus concurrentielles. Pour y arriver, il faut une bonne dose d'autonomie et de laisser-faire. Steve Ambler, économiste à l'ESG UQAM, affirme que les gouvernements doivent carrément cesser de subventionner les entreprises : cela favorise certains secteurs et garde sous respirateur trop d'entreprises inefficaces.

«Nos gouvernants doivent en revanche maintenir un environnement d'affaires très concurrentiel au Canada, en faisant en sorte, par exemple, que les taux d'imposition des sociétés soient parmi les plus faibles des pays industrialisés.» Depuis une décennie, tant à Ottawa qu'à Québec, on les a réduits. En 2012, le taux combiné canadien (le fédéral et les provinces) était de 26,1 %, selon les données de l'OCDE. C'est plus bas qu'aux États-Unis (39,1 %), mais deux fois plus élevé qu'en Irlande (12,5 %).

Par ailleurs, Ottawa doit ouvrir encore plus l'économie canadienne à la concurrence étrangère. Pourquoi ? C'est en se mesurant aux champions qu'on devient bon, et non pas en protégeant nos secteurs faibles ou jugés stratégiques comme les télécommunications, insiste Stephen Gordon, économiste à l'Université Laval. «Si nous continuons dans cette voie, nous n'aurons jamais de grandes entreprises pouvant en concurrencer d'autres sur le marché mondial.»

2. Favorisons les grandes entreprises, pas les PME

Le Canada ne joue pas à armes égales avec des puissances émergentes comme la Chine : nos entreprises sont tout simplement trop petites, soutient William Polushin, de la Faculté de gestion Desautels à l'Université McGill. «Au pays, seulement 0,3 % des entreprises comptent plus de 500 employés ! Dans un contexte de mondialisation des marchés, c'est nettement insuffisant.»

Par exemple, de petits pays comme la Suisse et la Suède abritent beaucoup plus de grandes entreprises que ne le fait le Canada, dont UBS, Nestlé, Volvo et Ikea. Certes, ces pays ont de petits marchés intérieurs, ce qui force leurs sociétés à exporter et à intégrer l'économie mondiale. Toutefois, avec 34 millions d'habitants, le Canada a également un petit marché, souligne William Polushin.

«Nos entreprises doivent aussi exporter. Or, nous n'avons pas assez de gros acteurs pour intégrer les grandes chaînes logistiques internationales.»

Stephen Gordon affirme qu'il faut en finir avec «le culte des PME» au Canada, qui nuit, selon lui, à l'émergence de grandes entreprises.

À ses yeux, le taux d'imposition des sociétés devrait diminuer lorsqu'elles grandissent, pas le contraire. En 2012, le taux d'imposition au fédéral des grandes entreprises était de 15 %, par rapport à 11 % pour les PME ayant des revenus inférieurs à 500 000 $.

«Il faut favoriser les sociétés en démarrage par de faibles taux d'imposition, mais pas celles qui décident de demeurer petites.»

3. Investissons massivement dans le capital physique et humain

Nos gouvernements doivent aussi investir davantage pour doter le Canada de meilleures infrastructures intermodales de transport (air, terre, mer) afin d'aider nos entreprises à exporter, selon Michel Magnan, professeur à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia. De bonnes infrastructures, comme en France, permettent aux sociétés d'avoir une chaîne logistique plus efficace et productive.

Or, à ce chapitre, nous avons encore du chemin à faire, affirme Ari Van Assche, spécialiste en commerce international à HEC Montréal.

Il donne l'exemple de ce qu'il en coûte pour expédier du fret par avion vers le Royaume-Uni. «Ça coûte 40 % plus cher d'expédier des marchandises de Montréal que ce ne l'est à partir de Chicago.»

Cette différence, dit-il, s'explique entre autres par le fait que Chicago s'est dotée d'une importante grappe logistique. Mont-réal, aussi, vient de se doter d'une grappe logistique, en créant Cargo Montréal en décembre 2012.

Les spécialistes s'entendent aussi pour dire que les gouvernements doivent investir davantage en éducation postsecondaire afin que l'économie canadienne demeure concurrentielle et crée de meilleurs emplois. «C'est la clé pour innover», insiste le professeur Michel Magnan.

Le pays est du reste déjà un bon élève. En 2009, le Canada (tout comme les États-Unis) consacrait environ 2,5 % de son PIB à l'éducation supérieure comparativement à 1,6 % en moyenne pour l'ensemble des pays de l'OCDE.

Toutefois, le Canada pourrait faire beaucoup mieux pour valoriser la recherche effectuée dans les universités, écrivait Alex Navarre, vice-président de la firme Numinor Conseil, dans une tribune publiée en décembre dans le magazine Découvrir. L'Allemagne serait une source d'inspiration, selon divers spécialistes. Des laboratoires et des centres de recherche universitaires collaborent étroitement avec des géants comme BMW, Manz ou BASF pour commercialiser de nouveaux procédés, composants ou produits. Une valorisation qui permet aux sociétés allemandes d'être plus concurrentielles face à la Chine.

SON COMMENTAIRE

Nul doute qu'un environnement d'affaires concurrentiel, des infrastructures de pointe et un capital humain bien formé sont des atouts caractéristiques des pays performants.

Les politiques publiques des pays interfèrent cependant plus que jamais avec les intérêts commerciaux, et les entreprises canadiennes, pour être concurrentielles, doivent disposer d'outils semblables à ceux de leurs concurrents étrangers. Cela ne veut pas dire protéger les entreprises, mais leur permettre de rivaliser à armes égales.

Par ailleurs, opposer PME et grandes entreprises constitue un faux débat. Les grandes entreprises favorisent la création de PME et il faut vigoureusement faire la promotion des deux. L'une ne va pas sans l'autre. Enfin, si investir dans les infrastructures donne naissance à des champions nationaux, c'est aussi une belle façon de développer une expertise locale et, ultimement, de rayonner à l'international.

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