Choisir entre la révolte et les poursuites

Publié le 22/09/2012 à 00:00, mis à jour le 20/09/2012 à 14:02

Choisir entre la révolte et les poursuites

Publié le 22/09/2012 à 00:00, mis à jour le 20/09/2012 à 14:02

Il n'y a pas que dans le dossier de l'amiante que le gouvernement Marois s'expose à des poursuites en dommages et intérêts. Dans celui de l'uranium aussi. Il devra bientôt faire un choix lourd de conséquences au sujet du projet uranifère Matoush, à la Baie-James, en territoire subventionné.

Si Québec bloque le projet Matoush, il pourrait se retrouver avec une poursuite salée de la part des investisseurs et actionnaires de la minière Ressources Strateco, qui y a déjà dépensé plus de 110 millions de dollars.

« Le gouvernement ne s'en tirera pas facilement, prévient son pdg Guy Hébert. Nos dépenses d'exploration ont été fondées sur les autorisations obtenues. Il ne peut pas changer les règles du jeu sans dédommager nos investisseurs. »

À l'inverse, si le gouvernement avalise le projet, il fera face à la révolte d'une bonne partie de la nation crie, qui menace de livrer une campagne antiuranium aussi spectaculaire que celle qu'elle a menée avec succès contre le projet hydroélectrique Grande-Baleine dans les années 1990.

Cette comparaison a été évoquée dans une entrevue que le grand chef du Grand Conseil des Cris, Matthew Coon Come, a publiée dans le magazine The Nation du 13 juillet. « Oui nous soutiendrons les Cris [s'ils font une campagne similaire à celle de Grande-Baleine], a déclaré M. Coon Come. Nous avons d'autres outils que ceux de la Convention de la Baie-James et du Nord-du-Québec pour faire valoir nos droits », a-t-il ajouté.

Le Grand Conseil exige un moratoire sur l'exploration et l'exploitation de l'uranium sur ses terres ancestrales, disant qu'il ne veut pas encourir les dangers auxquels ce minerai expose sa population, l'environnement et la faune.

Parmi ses investisseurs institutionnels, Strateco compte le Fonds de retraite de l'université Harvard de même que le Groupe Sentient, dirigé à Montréal par un ancien patron de la Caisse de dépôt et placement, Paul-Henri Couture.

C'est en vertu du Code civil que les investisseurs pourraient réclamer des dédommagements, précise René Branchaud, avocat chez Lavery. Mais, à son avis, « ce genre de poursuite est rare et la preuve, difficile à faire. Il ne faut pas s'attendre à être dédommagé en totalité », estime-t-il.

À l'heure actuelle, le dossier de Strateco est entre les mains de la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Elle doit décider si elle lui octroie ou non une licence - non pour l'exploitation d'une mine, mais pour la construction d'une rampe permettant d'approfondir l'exploration souterraine dans le gisement afin de mieux déterminer la faisabilité et la rentabilité du projet.

Guy Hébert attend la décision de la CCSN dans les prochains jours. (À son avis, elle a été retardée par la campagne électorale québécoise.)

La question de l'acceptabilité sociale

La CCSN ne se prononcera que concernant la sécurité du projet, et plusieurs indices laissent croire qu'elle rendra une décision favorable.

Toutefois, le dernier mot revient au gouvernement du Québec, à la suite d'une recommandation du sous-ministre de l'Environnement. Et lui pourra prendre en compte l'acceptabilité sociale du projet.

Or, en juin dernier, lors des audiences publiques que la CCSN a tenues à Mistissini (communauté crie située le plus près de la mine, à quelque 200 kilomètres au sud), on a vu que l'opposition était massive. Juste après, Mistissini a reçu un appui de la communauté crie de Chisasibi. Ensemble, ces deux communautés représentent près de la moitié de la population crie à la Baie-James.

Mais au sujet de l'acceptabilité sociale, le président de Strateco soulève deux points. D'une part, ce concept à la mode n'a aucune valeur juridique à l'heure actuelle. « Il n'est pas inscrit nulle part dans la loi », plaide-t-il. C'est en effet un concept récent et en évolution.

D'autre part, s'il est vrai que près de la moitié de la population crie du Québec ne veut rien entendre au sujet de l'uranium, il faut se rappeler que la Conférence régionale des élus de la Baie-James, composée à l'heure actuelle uniquement de Blancs, s'est prononcée en faveur de l'exploration avancée, tout en rappelant qu'elle pourrait toujours bloquer le projet à l'étape de l'exploitation minière.

« On aurait aimé avoir le soutien des autochtones, mais on a celui des Jamésiens », lance M. Hébert. D'autant plus que le projet Matoush est situé sur des terres de catégorie 3 - dont les autochtones n'ont pas l'usage exclusif. Explosif clivage blanc-autochtone en perspective...

Un gouvernement proche des Cris

Que fera le gouvernement péquiste ? C'est ce même gouvernement qui a été le premier à reconnaître les Cris comme une nation et à négocier avec eux comme tel. C'est aussi le Parti québécois qui a plaidé pour donner des dents au concept d'acceptabilité sociale, notamment dans le cadre du projet de loi 14 concernant la valorisation des ressources, mort au feuilleton.

Il y aussi que Québec et les Cris viennent de signer une entente sur la future gouvernance à la Baie-James qui abolit la CRE de la Baie-James et la remplace par un gouvernement, où les Cris sont à parité avec les Blancs sur les décisions concernant les terres de catégorie 3.

Selon le négociateur cri Abel Bosum, si le gouvernement va à l'encontre de la volonté des Cris, il violera l'esprit de cette nouvelle gouvernance.

Que faire avec cette patate chaude ? « L'uranium doit faire l'objet d'un débat provincial », croit personnellement M. Bosum.

En attendant, les gens d'affaires de la Baie-James font comme si l'uranium était « mort », dit Jack Blacksmith, président du fonds cri d'exploration minière et du holding Creeco.

De son côté, Guy Hébert promet de renouer le dialogue avec les Cris dès que la décision du CCSN sera connue.

Une trentaine de projets

Outre le projet Matoush de Strateco, 33 autres projets d'uranium sont prévus sur le territoire québécois, selon les dernières données du ministère des Ressources naturelles et de la Faune, dont celui de la minière canadienne Cameco, qui détient 16 % du marché mondial de l'uranium.

Matoush (Ressources Strateco)

Otish South (Cameco)

Source : Ministère des Ressources Naturelles et de la Faune

SUZANNE.DANSEREAU@TC.TC

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