Entre le tigre et la souris

Publié le 01/09/2009 à 00:00

Entre le tigre et la souris

Publié le 01/09/2009 à 00:00

Les 21 pays de l'Europe de l'Est et de l'Europe centrale sont aussi différents que la Pologne, le tigre de l'Europe de l'Est, et le Kosovo, cette souris dont l'économie est à la fois petite et chancelante. Avant de s'y aventurer, il vaut mieux comprendre la situation de ces régions vastes et complexes.

Varsovie, capitale de la Pologne, pourtant détruite à plus de 80 % lors de la Deuxième Guerre mondiale, a retrouvé un certain charme depuis la reconstruction de ses édifices historiques colorés. Pristina, capitale du Kosovo, avec ses immeubles de béton, son service de voirie inexistant et ses habitations presque temporaires, se remet à peine de la guerre de 1999 qui a mené à sa mise sous tutelle par l'ONU pendant près de dix ans.

Même si elle fait partie de l'Union européenne, la Pologne utilise toujours le zloti, la monnaie nationale. De son côté, le Kosovo, qui n'est pourtant pas reconnu par l'Union européenne, utilise l'euro. Et si les nombreuses femmes voilées croisées à la gare de Varsovie sont des religieuses catholiques, il est probable que celles de Pristina, moins nombreuses, sont des musulmanes.

Pourtant, la Pologne et le Kosovo font partie de la Nouvelle Europe. Un ensemble de 21 pays qui compte près de 200 millions d'habitants et où l'on parle plus d'une quinzaine de langues. Les États d'Europe centrale - Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie - ont en général réussi une transition efficace vers une économie de marché. Les États de l'Est - Ukraine, Biélorussie, Moldavie -, eux, n'appartiendront probablement jamais à l'Union européenne.

La révolution chantée (Singing Revolution) menée par les pays baltes - Estonie, Lettonie, Lituanie - a permis à ces derniers d'obtenir leur indépendance de façon pacifique, et il semblait jusqu'à récemment qu'ils étaient sur la bonne voie pour faire partie de la zone euro. À l'opposé, la révolution roumaine a été la plus sanglante, avec l'exécution du président roumain Nicolae Ceausescu le 25 décembre 1989, à la suite d'un coup d'État.

Au sud, les États de l'ancienne Yougoslavie, à l'exception de la Slovénie - Bosnie-Herzégovine, Serbie, Croatie, Macédoine, Monténégro, Kosovo -, peinent à se relever des nombreux conflits qui ont marqué le démantèlement de l'État socialiste à partir de 1992.

Quant à l'Albanie, longtemps méconnue et isolée en raison du régime autoritaire qui a sévi jusqu'à la mort d'Enver Hoxha, en 1985, elle rattrape son retard sur les plans économique et politique. Des autoroutes ultramodernes longent maintenant les chemins de terre où des paysans circulent à dos d'âne. Le Monde et l'International Herald Tribune sont disponibles dans les rues, et on y parle de plus en plus l'anglais. Les montagnes arides de ce pays et les côtes de l'Adriatique recèlent des ressources naturelles qui figurent parmi les plus importantes d'Europe, notamment du pétrole, du gaz naturel, de l'or et du platine, de la bauxite et du nickel. D'ici peu, la totalité de son énergie sera produite par des barrages, des éoliennes et des panneaux solaires. Le gouvernement albanais planifie maintenant la construction d'une centrale nucléaire avec la Croatie, à proximité du lac Shkoder, à la frontière du Monténégro.

" L'Europe de l'Est ? Voilà des années qu'on n'emploie plus ce nom pour désigner cette région ! " s'exclame Ronald Denom, président de SNC-Lavalin International. La firme d'ingénierie parle plutôt d'" Europe centrale " (les pays qui ont accédé à l'Union européenne) et du Sud-Est européen (ex-Yougoslavie, Bulgarie, Roumanie, Moldavie) pour répertorier ses activités. SNC est implantée notamment en Hongrie, en Pologne et en Roumanie. Au fil des ans, elle a modifié son approche. " Il y a 25 ans, nous pouvions envoyer des Canadiens travailler sur des projets à l'étranger [sans avoir à assurer une présence permanente]. Maintenant, il faut des bureaux sur place. Dans certains marchés, il n'y a que des équipes locales... " Connaissance du terrain et concurrence plus forte sont des facteurs dont les entreprises canadiennes à l'étranger doivent tenir compte, qu'elles soient établies en Pologne ou au Kosovo.

Le tigre polonais

Bombardier, elle, compte plus de 1 400 employés en Pologne. L'avionneur exploite quatre usines de production et incarne le visage du Canada dans ce pays. Dès 1999, elle obtient son premier contrat pour l'établissement du réseau de transport en commun de Cracovie, qu'elle réalise en partenariat avec la firme Adtranz, la division ferroviaire de Daimler Chrysler.

Deux ans plus tard, Bombardier acquiert Adtranz. Elle profite ainsi des infrastructures du géant de l'automobile pour s'établir en Europe de l'Est et devenir le plus important fabricant de matériel ferroviaire du monde. La Pologne devient une des principales bases de Bombardier en Europe de l'Est, avec la République tchèque et la Hongrie.

Bombardier n'est pas un cas isolé. Forte de ses 40 millions d'habitants, de son gouvernement plutôt conservateur et de sa main-d'oeuvre qualifiée et anglophile, la Pologne est devenue le moteur de la région pour les investisseurs étrangers soucieux de percer en Europe centrale. " C'est le tigre de l'Europe de l'Est ", estime Michel Librowicz, directeur du Canadian Executive MBA (CEMBA), considéré comme le meilleur programme de MBA de Pologne. Celui-ci est offert en partenariat avec l'UQAM et la Warsaw School of Economics.

Véritable porte d'entrée dans des pays comme la Russie et l'Ukraine, la Pologne permet aux investisseurs de parfaire leurs connaissances du monde des affaires russe et de diminuer les risques associés à la Russie. C'est aussi un marché dont le potentiel est en or, depuis l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne, en 2004.

Jean-Claude Avoine avait 30 ans quand le mur de Berlin est tombé. " Je n'aurais même pas imaginé faire des affaires en Europe de l'Est il y a trois ans ! " dit-il. Du 27 au 30 octobre dernier, il se trouvait à Poznan, dans l'ouest de la Pologne, pour la 20e Foire internationale sur la protection de l'environnement et des technologies vertes. Une visite fructueuse.

" Nous étudions un projet de coentreprise. Les Polonais offrent la connaissance du marché européen et l'accès aux matières premières, et nous, l'expertise, grâce à nos lignes de production plus modernes ", explique le vice-président marketing de Recyclage Granutech, une entreprise de Plessisville qui se spécialise dans le recyclage de pneus. Son partenaire potentiel se nomme Recykl.pl.

" La Pologne n'est pas si différente du Québec ; ce n'est pas la Chine ", souligne Catherine Zemelka, directrice générale de la Chambre de commerce Canada-Chine et coordonnatrice de la mission économique d'octobre dernier à Poznan. La jeune femme connaît bien la Pologne : elle y a vécu jusqu'en 1991, avant d'immigrer au Canada. " Les Polonais peuvent avoir l'air austère et sérieux ; ils aiment se plaindre, mais une fois la glace brisée, c'est parti. Les Québécois, eux, peuvent parfois se montrer trop familiers. "

En 2005, attirée par un marché en expansion, la division Emballage d'Alcan a fait ses premiers pas en République tchèque. En trois mois - un délai record - elle achète à Slotov une usine de pellicule plastique pour surgelés, ce qui lui permet d'avoir très rapidement accès au marché de l'Europe de l'Est. " Notre objectif était d'accompagner la croissance de nos principaux clients (Mars, Danone, Kraft, etc.) et leur développement dans la région ", explique Laurent Oulès, directeur de la stratégie pour la division européenne d'Alcan Packaging. Aujourd'hui, cette dernière possède huit usines en Europe de l'Est et emploie environ 850 personnes.

Un marché en évolution

" Le marché a changé de façon dramatique depuis les années 1990, note Gabriela Isar, gestionnaire des ventes et du développement des affaires pour l'Europe de l'Est chez Bombardier. Auparavant, nous faisions affaire avec un seul client : l'État. La privatisation a fait en sorte que le nombre de clients potentiels est passé à une vingtaine en Pologne seulement. "

Après avoir fait l'acquisition des sites industriels d'Adtranz, Bombardier a dû moderniser les installations. Les usines de Wroclaw et de Katowice, par exemple, datent du XIXe siècle. Janusz Kucmin, représentant principal de Bombardier Transport en Pologne, explique : " Dans les années 1970, ces établissements ont été fort productifs. Mais au cours des années 1980, la production de matériel ferroviaire a cessé. Des investissements importants ont été nécessaires pour moderniser les installations. Aujourd'hui, leurs normes [en matière de technologie] sont les mêmes que celles des autres pays d'Europe. "

Rio Tinto-Alcan distingue deux zones principales d'investissement : les pays de l'Europe centrale et ceux de l'Europe de l'Est. En Europe centrale, l'entreprise concentre son attention sur la Pologne, la République tchèque et la Hongrie. " Ces pays sont entrés depuis plus longtemps que leurs voisins dans une phase de développement économique qui suit le modèle de l'Europe de l'Ouest ", souligne Laurent Oulès.

La souris des Balkans

À plus de 800 kilomètres du " miracle polonais " se trouve son antithèse : le Kosovo, un petit État de 10 000 km2. En raison de son taux de chômage de près de 40 %, d'une présence étrangère un peu partout dans la vallée de Pristina et du sort encore incertain de la ville de Mitrovica - divisée entre Serbes (au nord de la rivière Iba) et Albanais (au sud), chacun de ces peuples ayant un système politique et monétaire différent (l'euro chez les Albanais, le dinar chez les Serbes) -, il n'est pas sûr que le Kosovo soit un endroit intéressant pour un investisseur.

Gail Warrander a arpenté le Kosovo et les Balkans à plusieurs reprises au cours des dernières années. Aujourd'hui, cette jeune avocate d'origine britannique agit comme consultante autonome auprès d'entreprises étrangères qui tentent de s'établir dans les États de l'ex-Yougoslavie. La bureaucratie cause des délais importants. Ainsi, il a fallu attendre 18 mois pour obtenir un permis pour un projet minier sur lequel elle a travaillé récemment, plutôt que les six mois prévus par la loi. " Partout dans la région, que ce soit au Kosovo, au Monténégro, en Albanie ou en Ukraine, les lois sont bien formulées, mais leur mise en place laisse à désirer. Le régime est arbitraire et corrompu ", souligne Gail Warrander. " Au Kosovo, les Nations unies sont un obstacle important aux affaires et à la prise de risque, ajoute-t-elle. Elles tentent de criminaliser certaines erreurs commises en affaires qui sont des erreurs de jugement, et non de la fraude. "

Chez SNC-Lavalin, pas question de connaître des mésaventures dans la région. " Nous choisissons nos clients et nos partenaires de façon très rigoureuse. Nous nous tenons tellement loin de la corruption que c'en est presque devenu une religion, assure quant à lui Ronald Denom. En Europe du Sud-Est, c'est sûr qu'il y a des problèmes de corruption et de bureaucratie, mais cela s'améliorera avec le temps. À mesure que ces pays développent un marché régional, les occasions se présentent. "

Andy McGuffie, porte-parole de l'International Civilian Office (ICO), l'organisation européenne qui supervise le développement économique, social et politique du Kosovo, souligne que des améliorations sont encore nécessaires pour attirer les investisseurs étrangers, notamment celle des infrastructures de base et une refonte des services publics. " Le gouvernement a entamé un processus de privatisation d'une partie de PTK [le réseau national d'électricité], mais il faut que ce processus évolue rapidement, note-t-il. Dans la plupart des pays qui se sont tournés vers une économie de marché, la privatisation des entreprises publiques a entraîné des progrès considérables dans le secteur des services. "

De son côté, la Hongrie tarde toujours à privatiser certaines sociétés d'État. Les entrepreneurs ont du mal à obtenir les autorisations nécessaires, et les règles ne sont pas appliquées de façon homogène. Pour ce qui est de la République tchèque, le gouvernement de centre-droite poursuit son processus de privatisation du secteur de l'énergie et de l'aéroport de Prague.

Et la crise ?

Jusqu'en 2007, investir en Europe de l'Est était lucratif, mais cette région est sur le point de devenir la moins performante du monde en 2009. Entre mai et juillet, les prévisions du Fonds monétaire international (FMI) pour la région ont été revues à la baisse, en raison du déclin de 5 % de son produit intérieur brut (PIB) en 2009, une diminution de 1,3 % par rapport aux chiffres affichés trois mois plus tôt. Les 17 pays d'Europe centrale et d'Europe de l'Est qui n'utilisent pas l'euro comme monnaie d'échange sont tous plus ou moins touchés, dépendamment de leur dette, de leur monnaie et de son taux de change fixe ou flottant par rapport à l'euro.

La Lettonie, le pays de l'Union européenne qui souffre le plus de la crise, a connu une chute de 18 % de son PIB depuis l'an dernier et doit licencier le tiers de ses enseignants et imposer des baisses salariales de 35 % pour respecter les conditions du FMI et de la Commission européenne.

La Lituanie et l'Estonie, deux pays voisins qui étaient jadis les champions de la croissance économique en Europe de l'Est, font face à la même situation. En Estonie, le PIB est tombé de plus de 15 % au premier trimestre de 2009. Sa pire performance économique depuis la chute du bloc soviétique !

Partout, la crise se traduit par des pertes de revenus provenant des taxes et des impôts. Même le gouvernement polonais, qui doit pourtant enregistrer une croissance de son PIB en 2009, a annoncé la résiliation de contrats accordés au privé. Au printemps, Bombardier apprenait l'annulation d'une commande de son avion d'affaires à réaction à très longue portée Global Express. Le gouvernement a préféré louer un avion à la compagnie aérienne nationale LOT, qui connaît en ce moment une baisse d'achalandage.

Malgré tout, il y a de l'espoir. Bombardier Transport mise sur la nouvelle conscience écologique et sur l'ouverture des frontières qui résultera de l'orientation vers une économie de marché de 12 des pays d'Europe centrale et d'Europe de l'Est pour consolider son marché et amortir les conséquences du ralentissement économique.

Depuis son entrée dans l'Union européenne en 2004, la Pologne est devenue le plus important marché d'Europe centrale et d'Europe de l'Est pour ce qui est des produits et services de protection environnementale. Elle a notamment reçu plus de 67,3 milliards d'euros de l'Union européenne pour pouvoir, entre 2007 et 2013, moderniser ses infrastructures et les rendre conformes aux normes environnementales. Le gouvernement polonais veut rajeunir et agrandir près de 1 000 établissements : centres de traitement des eaux usées, stations de traitement de l'eau, sites d'enfouissement municipaux et installations de gestion des déchets. Pour de jeunes entreprises comme Recyclage Granutech, cela représente une occasion d'accéder à ce marché, malgré la crise. Bombardier, elle, espère que ses nouvelles locomotives à propulsion bimode, construites en Pologne et en Allemagne, et qui fonctionneront en utilisant deux sources d'énergie distinctes - l'électricité et le diesel -, lui permettront de consolider ses acquis en Europe de l'Est. La livraison est prévue pour 2011.

POLOGNE

40 millions d'habitants

16 200 $

PIB par habitant

KOSOVO

2

millions d'habitants

1 887 $

PIB par habitant

(au même niveau que l'Éthiopie)

LES BALKANS BIOS

Bien que divisée, l'Europe du Sud-Est forme néanmoins un bloc régional important au potentiel économique intéressant, selon le président de SNC-Lavalin International, Ronald Denom. " La Croatie et la Slovénie partagent un héritage commun. J'ai grandi dans une ferme, et le goût de la nourriture là-bas me rappelle des souvenirs, dit-il. L'agriculture biologique y occupe encore une place importante. L'amélioration des infrastructures permettra d'accéder au marché européen. "

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