Mettre l'innovation au service de la croissance


Édition du 21 Mai 2016

Mettre l'innovation au service de la croissance


Édition du 21 Mai 2016

[Photo : Shutterstock]

L'époque où la croissance était le fruit d'un heureux accident ou d'investissements massifs en publicité est révolue. Aujourd'hui, les entreprises qui affichent des taux de croissance annuels dans les trois chiffres, de Facebook à Airbnb en passant par la montréalaise Lightspeed, ont en commun d'avoir mis au service de la croissance les fonctions du marketing, des ventes et du développement de produit. Plusieurs entreprises ont créé des postes de directeur de la croissance, de growth hackers (littéralement pirates de la croissance) et de directeurs des données pour implanter cette façon de faire au coeur de leur organisation. Portrait d'une nouvelle discipline incontournable : celle de la croissance.

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«Les entreprises conçues pour connaître une croissance rapide sont fondamentalement différentes des autres, car tout ce qu'elles font est pensé de manière à stimuler la croissance», dit Patrick Vlaskovits. Le coauteur de The Lean Entrepreneur est considéré comme l'un des inventeurs du terme growth hacking, une démarche misant sur l'analyse de données, la programmation et l'exploration de nouveaux canaux de distribution pour générer de la croissance.

Pour lui, l'émergence de ce qu'on appelle le growth hacking tient au fait qu'il est plus difficile de convaincre les gens d'adopter une innovation que de les persuader de choisir une version améliorée d'un produit existant. «Quand on fait quelque chose d'innovateur, c'est difficile d'utiliser les canaux traditionnels, car l'innovation est un obstacle à la vente», dit M. Vlaskovits.

Le growth hacking, le marketing du 21e siècle

S'il est avéré que l'innovation constitue véritablement un obstacle à la vente, les entreprises qui innovent devraient investir massivement en publicité. De nos jours cependant, les organisations les plus innovatrices sont surtout des start-up qui, contrairement à leurs aînées de la fin des années 1990, n'ont aucune ressource à investir en publicité. Les ingénieurs qui ont fondé des entreprises après la bulle techno des années 2000 ont ainsi inventé des stratégies innovatrices, des «hacks», pour acquérir des utilisateurs et les retenir.

C'est notamment ce qu'ont fait les fondateurs d'Airbnb, à l'époque où l'entreprise, aujourd'hui valorisée à 25,5 milliards de dollars américains, était encore à ses balbutiements. Lancée en 2007 par deux colocataires désargentés qui ont transformé leur loft en bed and breakfast pour arrondir leurs fins de mois, Airbnb peinait encore à se faire connaître en 2010. Constatant que leur clientèle cible utilisait le site de petites annonces Craigslist pour louer des chambres à court terme, ils ont mis au point un module permettant à leurs locateurs de republier leur annonce sur Craigslist en un seul clic. Le trafic d'Airbnb a rapidement bondi.

Sans le vouloir, ce sont des entrepreneurs créatifs comme les fondateurs d'Airbnb qui ont établi les bases du growth hacking. «Pour moi, le growth hacking, c'est un peu le marketing du 21e siècle, avec une couche d'analyse de données», lance Simon Lejeune, directeur du marketing chez Busbud, une start-up montréalaise qui se positionne comme l'Expedia des voyages en autocar.

Quoique la distinction entre growth hacking et marketing soit parfois difficile à établir, Alistair Croll, cofondateur de Coradiant et auteur de Lean Analytics, trace une ligne. Pour lui, on peut parler de growth hacking lorsqu'il y a découverte de nouveaux chemins, par opposition à l'emploi de ceux défrichés par d'autres : «Le travail d'un growth hacker est d'aller chercher des utilisateurs, des revenus ou de l'engagement dans des endroits inattendus», explique l'expert en analyse de données.

C'est grâce à ce marketing du 21e siècle, dont certains aspects pourraient aspirer au qualificatif de growth hacking, que Busbud est arrivée à faire bondir son trafic Web et mobile de 1 000 % au cours de la dernière année.

Pour parvenir à acquérir autant d'utilisateurs, Simon Lejeune a dû se montrer créatif. Entre autres initiatives, il s'est assuré que le site Web de Busbud soit référencé en premier pour un nombre incalculable d'itinéraires d'autocars peu populaires, faisant l'objet d'une concurrence minimale. «Sur Google, il y a de nombreux mots clés pour lesquels des requêtes sont faites seulement quelques fois par mois, dit Simon Lejeune. Ce qu'on fait, c'est créer des milliers de pages qui se positionnent numéro un pour de petites routes, comme Montréal-Chicoutimi.»

L'industrialisation de la croissance

À mesure que les start-up créées après la bulle de 2000 ont pris de l'expansion, cette approche marketing issue de la nécessité a grandi avec elles. Aux stratégies ingénieuses d'entrepreneurs sans le sou ont succédé des services entièrement consacrés à la poursuite d'un objectif unique, celui de la croissance.

Au sein de Facebook, la première équipe de croissance a été créée en 2007, soit trois ans après sa fondation en 2004. Résultat : de 50 millions d'utilisateurs actifs mensuels en 2007, Facebook a franchi le cap des 100 M en 2008, celui des 300 M en 2009 et celui des 600 M en 2010. Aujourd'hui, le réseau social compte 1,59 milliard d'utilisateurs actifs mensuels, et son équipe de croissance, qui employait six personnes au début, en comprend désormais des centaines.

Chez Facebook, l'art de la croissance est en quelque sorte devenu une science. Les spécialistes des données, du marketing et du logiciel qui y travaillent ont pour mandat de concevoir des stratégies de croissance - souvent en se basant sur l'analyse de données -, de les tester, puis de les optimiser ou de les abandonner. C'est grâce à ce processus que les utilisateurs de Facebook au Japon ont vu apparaître un champ sur leur profil pour transmettre leur groupe sanguin, une information qui, au Japon, est considérée par plusieurs comme révélatrice des traits de personnalité. En d'autres termes, l'information favorisait la création de liens entre utilisateurs japonais et augmentait par conséquent leur engagement.

La réussite de l'équipe de croissance de Facebook tient à un nombre phénoménal d'initiatives, pouvant résulter en une modification du réseau social lui-même, des partenariats ou des initiatives marketing. Sans surprise, la recette de Facebook a fait école, si bien qu'on trouve aujourd'hui des équipes de croissance dans nombre d'entreprises, dont Eventbrite, Pinterest et LinkedIn. Au Québec, Lightspeed a emprunté plusieurs des stratégies ayant vu le jour dans la Valley, en embauchant en 2012 un directeur des revenus s'acquittant des fonctions du marketing et des ventes. Depuis lors, le chiffre d'affaires du fournisseur de solutions d'affaires électroniques pour détaillants et restaurateurs a bondi de 1 000 %.

Deux démarches, une philosophie

Tous s'entendent pour dire qu'une entreprise qui veut connaître une croissance rapide doit modeler son produit en conséquence. Toutefois, deux écoles de pensée cohabitent quant à la façon de modeler l'organisation de l'entreprise pour favoriser la croissance. Alors que certaines entreprises outillent de nouveau leur service de marketing en embauchant des scientifiques des données et des programmeurs, d'autres mettent sur pied des services de croissance à part entière, une démarche que préconise un nombre grandissant de start-up.

Parmi celles-ci, mentionnons le site de partage de photos torontois 500px, dont le service de la croissance a été inauguré en mars dernier. «Créer un tel service permet d'avoir dans l'entreprise des gens dont le travail est de penser à des manières de stimuler la croissance jour après jour», soutient Sylvia Ng, la nouvelle vice-présidente de la croissance et de l'analytique chez 500px.

«Les entreprises qui n'ont pas de tels services peuvent bâtir des produits incroyables, mais elles risquent de négliger des facteurs comme la rétention et la viralité en les développant», ajoute-t-elle.

Ian Jeffrey, gestionnaire de la croissance et de l'optimisation de True Key chez Intel Security, voit les choses différemment. Le vétéran du marketing mobile - il a joué un rôle clé dans le succès de la montréalaise PasswordBox, renommée TrueKey après son acquisition par Intel en 2015 - considère que l'avenir est au décloisonnement. «Il y a des gestionnaires de produits et des gestionnaires de produits marketing, mais il faudrait abolir cette distinction, soutient-il. Aujourd'hui, la stratégie marketing doit être ancrée dans le produit.»

LA CROISSANCE EN QUATRE ÉTAPES

1. Bâtir un produit dont les gens ont besoin 

Les entreprises qui ont connu une croissance sans précédent ont compris qu'il s'agissait de l'étape la plus importante. Pour espérer croître à la vitesse grand V, un produit ne peut pas se contenter d'être bon ; il doit répondre de manière exceptionnelle à un besoin ressenti par un nombre suffisant de clients potentiels. «La première étape, c'est de trouver le marché et de bien comprendre la demande», illustre Alistair Croll, auteur de Lean Analytics.

2. Optimiser le produit pour la rétention 

Une fois le bon produit conçu, il faut commencer à le vendre afin de s'assurer que ceux qui l'adoptent ne l'abandonnent pas après quelque temps. Il s'agit alors de maximiser le taux de rétention du produit en ciblant les facteurs faisant en sorte qu'un utilisateur demeure actif. Par exemple, il peut s'agir du nombre d'amis dans le cas d'un réseau social ou encore de la fréquence des notifications dans le cas d'une application mobile. «Il faut travailler sur la rétention en premier, car ça ne sert à rien d'acquérir de nouveaux utilisateurs s'ils quittent le service après s'être inscrits», explique Sylvia Ng, vice-présidente de la croissance et de l'analytique de 500px.

3. Bâtir des systèmes de viralité 

La troisième étape est celle qui vole la vedette lorsqu'on parle de growth hacking, même si elle risque peu de fonctionner si les deux premières n'ont pas été franchies. Ajouter des boutons de partage Facebook n'est toutefois pas suffisant pour créer un système de viralité. Il s'agit, grâce à un processus par essais et erreurs, d'optimiser le produit de telle manière que l'utilisateur ait intérêt à le partager. Si le produit a une bonne rétention, les nouveaux utilisateurs acquis grâce aux médias sociaux partageront l'information à leur tour. Pour les produits qui ne se prêtent pas à cette formule, les systèmes de viralité peuvent être externes. Par exemple, une stratégie de contenus viraux peut permettre à un produit sans potentiel viral de croître.

4. Optimiser les revenus

Comme l'optimisation des revenus peut entrer en conflit avec la viralité d'un produit, les entreprises en grande croissance tendent à travailler sur l'optimisation de leurs revenus en dernier lieu. Il s'agit encore une fois d'un processus par essais et erreurs, qui peut toucher n'importe quel aspect de l'entreprise. On peut y parvenir en lançant de nouvelles fonctionnalités payantes, en révisant la structure de prix, ou encore en réévaluant la rentabilité de chacun des canaux d'acquisition de clients.

La science de la croissance, pas réservée aux start-up

Les principes du growth hacking, malgré les apparences, peuvent permettre à des entreprises de tout acabit de trouver des sources de croissance. Pour Patrick Vlaskovits, coauteur de The Lean Entrepreneur, l'un des meilleurs exemples de growth hacking est celui d'Earl Tupper, l'ingénieur américain qui a inventé les plats en plastique étanches Tupperware.

Après avoir connu un échec en magasin, le produit a connu un succès monstre lorsque l'entreprise, profitant de l'émancipation économique des femmes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a misé sur des démonstrations à domicile organisées par des représentantes indépendantes. L'entreprise a alors créé un nouveau canal de distribution.

Si ceux qui ont des produits innovateurs sont les mieux placés pour découvrir de nouveaux canaux de distribution, même les entreprises manufacturières peuvent s'inspirer du growth hacking. C'est ce que soutient Philippe Richard Bertrand, un entrepreneur québécois qui se présente sur LinkedIn comme étant un directeur de croissance et un coach de ventes.

Plusieurs clients manufacturiers recourent à ses services de consultation pour accroître leurs ventes.

«En ayant un regard extérieur, je peux introduire des stratégies qui viennent d'autres industries et trouver des moyens d'acquérir des clients qui n'avaient jamais été essayés», dit le consultant.

Philippe Richard Bertrand explique avoir découvert que, dans certains États américains, les permis de construction octroyés étaient offerts en ligne. Il a ainsi conseillé à un fabricant de portes de garage de communiquer avec ceux qui venaient d'obtenir un permis de construction pertinent, avec des résultats concluants.

Selon Philippe Richard Bertrand, les manufacturiers ne peuvent pas se contenter de faire affaire avec des consultants comme lui. Ils doivent développer ce savoir-faire à l'interne, de manière à tester constamment de nouvelles stratégies et à mettre au point des logiciels pour automatiser celles qui fonctionnent.

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