Bombardier: voyage exploratoire dans un épais brouillard

Publié le 16/01/2014 à 20:18

Bombardier: voyage exploratoire dans un épais brouillard

Publié le 16/01/2014 à 20:18

L'impact sur la rentabilité à venir

Le second élément concerne le coût du programme CSeries et son impact sur la rentabilité à venir.

Il était initialement prévu que la famille d'appareils coûte 3,4 G$ US. Lors du vol inaugural, la direction de Bombardier a laissé entendre qu'il grimpait à 3,9$ US en raison de l'adoption des nouvelles normes comptables IFRS.

Puis, elle s'est ravisée pour ramener le chiffre à 3,4 G$ US, sans que personne n'y comprenne rien.

Si le bond n'est que de 200 M$ en coûts supplémentaires (scénario BMO), il n'y a pas matière à de grandes discussions. Si le bond est de plus de 1 G$ US cependant, la situation est différente. Sur 3,4 G$, c'est une augmentation de 30%. Le coût de développement du CSeries augmente de 30%.

Dans ce scénario, la hausse est somme toute significative et viendra gruger la marge bénéficiaire lorsque seront livrés les premiers appareils.

La question est évidemment: de quelle ampleur sera la morsure? Assez forte pour manger la moitié des profits anticipés pour le CSeries, ou simplement une faible portion?

On est ici réduit à des scénarios forts spéculatifs. Dans lesquels on donnera!

Supposons que le prix de vente au catalogue d'un CSeries soit autour de 70-75 M$ US (c'est ce qu'on obtient en regardant les dernières commandes fermes). Et que Bombardier souhaite avoir une marge bénéficiaire d'au moins 6% (elle semble viser autour de 9-10%, mais on garde une marge plus basse car elle est actuellement à 4,5% pour les autres appareils; l'écart permet aussi de présumer que des rabais sont accordés sur le prix de vente affiché des CSeries).

On arrive donc à un bénéfice avant intérêts et impôts (BAII) autour de 4,2 M$.

Gardons le chiffre en mémoire.

On sait pendant ce temps que Bombardier vise à obtenir une part de marché de 50% dans le créneau des avions 100-149 passagers, qu'elle évalue à 6 900 appareils dans les prochains 20 ans.

La moitié de 6900 donne 3400 appareils. Bombardier ne veut pas dévoiler sur combien d'appareils elle amortira ses coûts de développement. Mais postulons que le dépassement de coûts scénarisé de 1G$ soit amorti sur cet objectif. L'impact du dépassement serait donc alors autour de 300 000$ par appareil. Si Bombardier est plus conservatrice dans son hypothèse de part de marché et table non pas sur une part de 50%, mais de 25%, on est à 600 000$ d'impact par appareil.

Ces montants sont à mettre en relation avec le bénéfice de 4,2 M$ que l'on avait gardé en mémoire. Un dépassement de 1G$ US grugerait le bénéfice dans une proportion de 7%-15%. C'est significatif, mais pas dévastateur.

Évidemment, le calcul peut être très, très, éloigné de la réalité. On vole aux instruments dans un épais brouillard, et le but n'est que de tenter de donner de la couleur pour comprendre et mesurer la situation.

Au final?

On ne dirait pas qu'il y a lieu de prendre panique. Il est clair que le brouillard n'a jamais été aussi dense sur les coûts de développement du CSeries, mais il ne s'agit que d'une composante des coûts totaux. Le scénario d'un ajout de 1G $ US aux coûts de développement n'apparaît pas dévastateur. Et il est surtout nettement plus fort que d'autres estimations.

Sur la valeur boursière, le potentiel du CSeries ne semble de toute façon pas encore beaucoup considéré dans le prix de l'action. À long terme, la réussite du programme est essentielle, mais à court terme, le comportement du titre dépendra surtout des résultats des activités actuelles (avions d'affaires, jets régionaux et division transport). Sur cette base, les choses regardent pour l'instant assez bien puisque le consensus des analystes pour 2014 est à 0,46$ US par action, alors qu'il est à 0,37$ US pour 2013.

Constat: si le dépassement est significativement sous le 1 G$ US, le titre pourrait se redresser assez rapidement. On devrait voir plus clair à la conférence téléphonique du 13 février. Heureusement, ce n'est pas un vendredi…

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À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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