BLOGUE. Le premier communiqué a donné le sourire aux actionnaires de Bombardier. Le second l'a transformé en grimace. Le brouillard vient de se densifier passablement sur le CSeries. Tentative d'y voir plus clair.
La première annonce portait sur la fameuse commande de 16 CSeries par Al Qahtani. Une nouvelle relativement encourageante, dans le contexte où les commandes du nouvel appareil se faisaient rares ces derniers temps. On dit "relativement encourageante", parce qu'il est toujours difficile de savoir si Bombardier vend à des prix conformes à son plan d'affaires ou est forcée de donner de l'escompte.
La deuxième annonce est venue tout assombrir: l'objectif de livraison du premier CSeries est reporté d'un an, de l'automne 2014 à quelque part en deuxième moitié de 2015.
La grande question: combien coûtera le retard?
Du côté des modérés, se trouve BMO Marchés des capitaux. Dans une note, l'analyste Fadi Chamoun estime qu'environ 2000 ingénieurs travaillent sur le CSeries et suspecte que ce nombre a dernièrement baissé. Il indique qu'à 100 000$ par ingénieur, la charge supplémentaire à imputer au programme semble gérable. Dit autrement, BMO voit une charge supplémentaire qui devrait se situer autour de 200 M$.
À l'autre bout du spectre, la maison Sterne Agee est nettement plus pessimiste. L'analyste Peter Arment estime que le CSeries coûte actuellement 200 M$ par trimestre et que le délai ajoutera plus de 1 G$ US au coût du programme.
C'est tout un écart.
Quel est l'impact?
Une autre question à laquelle il est difficile de répondre.
Deux ou trois choses sont en jeu ici.
Un problème de liquidités?
D'abord la question des liquidités de Bombardier.
En postulant que les dépenses d'immobilisation demeurent stables, Benoît Poirier, de Desjardins, estime qu'à la fin de 2014, l'entreprise aura encore dans ses coffres 2,6 G$ US. Les conventions de crédit la force toutefois à maintenir un minimum de 2 G$ US de liquidités. En théorie, il y a un coussin, mais monsieur Poirier semble postuler que le CSeries coûte 500 M$ US par année en développement. Si le scénario de Sterne Agee est le bon, et qu'il coûte 1 G$ US, un drapeau jaune vient de se lever et on ne peut pas écarter un scénario où Bombardier serait forcée d'aller négocier avec ses banquiers.
C'est le premier élément qu'il faudra surveiller lorsque Bombardier tiendra sa conférence avec les investisseurs le 13 février.
L'impact sur la rentabilité à venir
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L'impact sur la rentabilité à venir
Le second élément concerne le coût du programme CSeries et son impact sur la rentabilité à venir.
Il était initialement prévu que la famille d'appareils coûte 3,4 G$ US. Lors du vol inaugural, la direction de Bombardier a laissé entendre qu'il grimpait à 3,9$ US en raison de l'adoption des nouvelles normes comptables IFRS.
Puis, elle s'est ravisée pour ramener le chiffre à 3,4 G$ US, sans que personne n'y comprenne rien.
Si le bond n'est que de 200 M$ en coûts supplémentaires (scénario BMO), il n'y a pas matière à de grandes discussions. Si le bond est de plus de 1 G$ US cependant, la situation est différente. Sur 3,4 G$, c'est une augmentation de 30%. Le coût de développement du CSeries augmente de 30%.
Dans ce scénario, la hausse est somme toute significative et viendra gruger la marge bénéficiaire lorsque seront livrés les premiers appareils.
La question est évidemment: de quelle ampleur sera la morsure? Assez forte pour manger la moitié des profits anticipés pour le CSeries, ou simplement une faible portion?
On est ici réduit à des scénarios forts spéculatifs. Dans lesquels on donnera!
Supposons que le prix de vente au catalogue d'un CSeries soit autour de 70-75 M$ US (c'est ce qu'on obtient en regardant les dernières commandes fermes). Et que Bombardier souhaite avoir une marge bénéficiaire d'au moins 6% (elle semble viser autour de 9-10%, mais on garde une marge plus basse car elle est actuellement à 4,5% pour les autres appareils; l'écart permet aussi de présumer que des rabais sont accordés sur le prix de vente affiché des CSeries).
On arrive donc à un bénéfice avant intérêts et impôts (BAII) autour de 4,2 M$.
Gardons le chiffre en mémoire.
On sait pendant ce temps que Bombardier vise à obtenir une part de marché de 50% dans le créneau des avions 100-149 passagers, qu'elle évalue à 6 900 appareils dans les prochains 20 ans.
La moitié de 6900 donne 3400 appareils. Bombardier ne veut pas dévoiler sur combien d'appareils elle amortira ses coûts de développement. Mais postulons que le dépassement de coûts scénarisé de 1G$ soit amorti sur cet objectif. L'impact du dépassement serait donc alors autour de 300 000$ par appareil. Si Bombardier est plus conservatrice dans son hypothèse de part de marché et table non pas sur une part de 50%, mais de 25%, on est à 600 000$ d'impact par appareil.
Ces montants sont à mettre en relation avec le bénéfice de 4,2 M$ que l'on avait gardé en mémoire. Un dépassement de 1G$ US grugerait le bénéfice dans une proportion de 7%-15%. C'est significatif, mais pas dévastateur.
Évidemment, le calcul peut être très, très, éloigné de la réalité. On vole aux instruments dans un épais brouillard, et le but n'est que de tenter de donner de la couleur pour comprendre et mesurer la situation.
Au final?
On ne dirait pas qu'il y a lieu de prendre panique. Il est clair que le brouillard n'a jamais été aussi dense sur les coûts de développement du CSeries, mais il ne s'agit que d'une composante des coûts totaux. Le scénario d'un ajout de 1G $ US aux coûts de développement n'apparaît pas dévastateur. Et il est surtout nettement plus fort que d'autres estimations.
Sur la valeur boursière, le potentiel du CSeries ne semble de toute façon pas encore beaucoup considéré dans le prix de l'action. À long terme, la réussite du programme est essentielle, mais à court terme, le comportement du titre dépendra surtout des résultats des activités actuelles (avions d'affaires, jets régionaux et division transport). Sur cette base, les choses regardent pour l'instant assez bien puisque le consensus des analystes pour 2014 est à 0,46$ US par action, alors qu'il est à 0,37$ US pour 2013.
Constat: si le dépassement est significativement sous le 1 G$ US, le titre pourrait se redresser assez rapidement. On devrait voir plus clair à la conférence téléphonique du 13 février. Heureusement, ce n'est pas un vendredi…
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