(Photo: Mélanie Crête, photographe)
Un texte de Guillaume Desnoyers, M.Sc., CRHA, associé principal, Desnoyers recherche de cadres
COURRIER DES LECTEURS. Dans le monde de la gouvernance, qu’il s’agisse d’OBNL, de sociétés publiques ou d’entreprises privées, la nomination d’un dirigeant représente un moment déterminant.
C’est d’ailleurs ce qui se révèle dans l’actualité de ce printemps, alors que l’Ordre des agronomes du Québec nommait récemment un directeur général jusque-là associé de près à l’industrie des pesticides et que la nouvelle présidente de Santé Québec, dont le mandat sera d’améliorer le système public de santé, se révèle avoir été propriétaire d’une entreprise majeure offrant des services privés en santé. Ces situations ne sont pas les seules à soulever des questionnements sur la nomination des dirigeants, puisque d’importantes associations sportives ont aussi créé des tumultes significatifs cette année.
La nomination d’un dirigeant est assez différente de toute autre embauche en fonction de son impact sur la stratégie, la réputation et la gouvernance de l’organisation. Il n’est donc pas surprenant de voir que des nominations peu judicieuses viennent à faire la manchette, à générer du mécontentement, à détériorer la confiance des parties prenantes ou à créer un réel enjeu de relations publiques.
Alors que choisir et mandater un dirigeant est au cœur du mandat d’un CA, le processus qui mène à sa sélection doit être mené de main de maître par le comité de sélection, le comité des ressources humaines et les membres du CA. Par souci d’être diligent, celui-ci voudra prendre des dispositions rigoureuses assurant le choix d’un candidat compétent et susceptible de bien remplir ses fonctions, mais aussi, possédant la crédibilité, la confiance et l’intégrité essentielle à la réussite de sa mission.
Transparence: divulgation des intérêts
Les candidats à un poste de dirigeant doivent divulguer de manière exhaustive et proactive leurs affiliations, investissements, appuis à des causes et activités bénévoles. Cette divulgation doit inclure tout lien susceptible d’être interprété négativement et de compromettre, en apparence ou en réalité, l’intégrité du candidat ou de l’organisation.
Pour y arriver, il est parfois nécessaire d’aller au-delà des évidences, comme les états de service du candidat par exemple, et sonder les opinions, les croyances, et même parfois les cœurs avec rigueur et doigté. Un rôle public et sensible pourrait même nécessiter une analyse qui dévoilerait les fréquentations sociales, les frasques de jeunesse du candidat ou d’autres accidents de parcours. Bien évidemment, toutes ces informations devront être recueillies et traitées dans le respect des obligations légales qui s’y rattachent et avec la plus grande confidentialité.
Le CA voudra ainsi s’assurer que la personne qu’elle embauche à titre de dirigeant pourra défendre ses intérêts sans être en porte-à-faux avec ses propres croyances, propos, actions ou opinions émis dans le passé. Il arrive, au cours d’une carrière, qu’une personne change radicalement d’opinion sur un sujet sensible ou devienne même un transfuge politique. Le CA voudra s’abstenir de nommer une telle personne sans avoir considéré l’ensemble du tableau. Cette transparence renforce la confiance des parties prenantes dans l’intégrité du processus de sélection et dans la gouvernance de l’organisation. Cette prudence essentielle permettra de réagir adéquatement à toute révélation ou critique suivant une nomination qui attirerait les projecteurs sur un conflit d’intérêts, réel ou apparent. Par exemple, le CA d’une association caritative s’adressant aux victimes du cancer du poumon ne voudrait pas, malencontreusement, nommer un directeur général qui soit un ancien défenseur des droits des fumeurs… à moins qu’il ait exposé d’emblée cette situation et puisse justifier cette conversion.
Intégrité: l’importance des obligations
Au-delà des intérêts déclarés, il faut aussi que le CA puisse analyser les obligations qu’un candidat a contractées auprès de son ancien employeur, volontairement, ou même automatiquement. En effet, il existe de nombreuses clauses restrictives possibles dans le contrat qui lie un dirigeant et son employeur précédent. Les plus courantes tentent de restreindre les activités professionnelles auquel le dirigeant pourra s’adonner après avoir quitté son employeur. La plus classique consiste à restreindre la possibilité de prendre un rôle actif chez un concurrent pour une période ou un territoire géographique donné. Ces clauses peuvent être assez larges, tellement qu’elles peuvent même être parfois invalidées par les tribunaux. Le candidat voudra délibérément porter ces éléments à l’attention du CA, et celui-ci prendra soin d’en considérer la portée réelle.
Il faut cependant rappeler qu’en l’absence de clauses restrictives et en vertu du cadre législatif québécois, le dirigeant est tout de même tenu d’agir avec loyauté et honnêteté et de ne pas faire usage de l’information confidentielle obtenue dans le cadre de ses fonctions chez son employeur précédent. Ces obligations survivent même après la cessation du contrat et persistent lorsque l’information concerne la stratégie de l’organisation, les secrets d’affaires, la situation financière, les litiges, la position concurrentielle ou toute autre information confidentielle importante dont la connaissance résulte du rôle privilégié occupé au sein d’une organisation.
Le fait d’embaucher un dirigeant en fonction de sa connaissance d’une organisation concurrente sur le plan commercial ou même défendant des positions publiques, des idéologies ou des intérêts opposés peut donc s’avérer être une aventure fort délicate. En effet, choisir un dirigeant en fonction de ce qu’il connaît bien d’un adversaire et compter sur ses connaissances et ses révélations pour aider son nouvel employeur à l’affronter est une avenue qu’un CA avisé évitera.
Expertise spécialisée
La nomination d’un haut dirigeant exige une diligence importante, une rigueur professionnelle aiguisée, une expertise pointue ainsi que le développement d’une relation de confiance solide avec le candidat pressenti. En s’appuyant sur une analyse approfondie des intérêts, des obligations du candidat et d’une évaluation rigoureuse des risques, les organisations peuvent assurer une gouvernance efficace et durable, tout en évitant les conflits potentiellement préjudiciables et le dommage à sa réputation. Pour bien remplir son mandat, le CA avisé s’entourera d’une expertise spécialisée afin de s’assurer que la nomination de son futur dirigeant sera un succès pour toutes les parties prenantes.
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