Vocation, mission et compassion

Publié le 26/05/2010 à 05:00

Vocation, mission et compassion

Publié le 26/05/2010 à 05:00

«Chaque mission comporte ses risques et présente des défis souvent importants. Mais il faut garder en tête pourquoi on est là», affirme le Dr Vincent Échavé.



Urgence Leadership a rencontré le Dr Échavé dans le cadre de sa conférence intitulée La réponse humanitaire en Haïti, organisée par l'Observatoire sur les missions de paix de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM.

Le Dr Vincent Échavé a fait carrière comme chirurgien au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke et professeur à Faculté de médecine et des sciences de la santé (FMSS) de l'Université de Sherbrooke, pendant plus de 30 ans.

Né à Cuba, son adolescence est marquée par le soulèvement politique provoqué par la révolution cubaine. Quelques années plus tard, il s'exile aux États-Unis, puis cumule les diplômes, notamment en Espagne et en Suisse. Le chirurgien immigre au Canada en 1969.

Début 1990, il cofonde Médecins sans frontières (MSF) Canada, ce qui l'amène à utiliser ses compétences chirurgicales dans quelques-unes des régions les plus pauvres du monde. Ces missions médicales l'ont conduit dans des endroits que la plupart d'entre nous ne connaissent que par les bulletins d'information faisant état des conflits, des sinistres et de la souffrance humaine : Rwanda, Burundi, Éthiopie, Haïti, Bangladesh, Kosovo, Sierra Leone, Sri Lanka, Colombie, République démocratique du Congo, Côte d'Ivoire, Tchad et Darfour...

Au lendemain du séisme qui a dévasté Haïti le 12 janvier dernier, le Dr Échavé, 71 ans, lance l'idée de former une équipe de spécialistes de la Faculté pour aller porter secours à la population haïtienne. Le 17 janvier, l'équipe médicale, composée de neuf personnes (médecins, chirurgiens, orthopédiste, anesthésiste et personnel infirmier) arrive à l'hôpital Albert-Schweitzer, situé à Deschapelles, une petite ville à 65 km au nord-est de Port-au-Prince. Ils soigneront les blessés jour et nuit, durant trois semaines.

Urgence leadership - Vous avez réalisé de multiples missions dans de nombreux pays frappés par la guerre, les sinistres ou la misère. Qu'est-ce qui vous pousse à abandonner le confort des hôpitaux canadiens pour aller pratiquer dans des conditions extrêmes où les besoins sont immenses et les ressources limitées, surtout pour un chirurgien?

Vincent Échavé -
Je pense que c'est un désir d'humanité. Un désir d'aider les autres. Plusieurs choses m'ont aidé dans la vie. L'une d'elles a été mon expérience dans la révolution cubaine qui m'a ouvert les yeux sur l'état du monde, la pauvreté, surtout en Amérique latine et ailleurs.

La deuxième chose, ce sont mes voyages à travers le monde. J'en ai fait beaucoup, notamment par mon implication avec MSF comme chirurgien. Je me suis rendu compte de la détresse dans laquelle vit une grande partie de l'humanité.

Et finalement, la pratique bouddhiste m'a aidé à être ouvert et tolérant, à développer la compassion, à voir la vie avec beaucoup plus d'équilibre et à respecter la vie de tous les êtres vivants. Dans le bouddhisme, la compassion est essentielle. C'est quoi la compassion? C'est prendre un peu sur soi la douleur des autres.

UL - Quelle est la plus grande leçon en termes de leadership votre parcours vous a-t-il enseigné?

VE -
Je pense que le leadership doit se faire en montrant l'exemple. Plutôt qu'un leadership par de grandes paroles, c'est par l'exemple que l'on va influencer les autres et qu'ils vont se rallier. Ce que l'on fait dans la vie, comment on le fait et avec quelles intentions on le fait sont plus importants que la parole.

UL - Vous cofondez Médecins sans frontières Canada au début des années 1990. Quelle est la force d'un tel organisme?

VE -
La force d'une organisation comme MSF, c'est justement l'organisation, parce que tout est sur place quand tu arrives. On a toute l'information nécessaire et on sait où on va. C'est-à-dire quand j'arrive, il y a peut-être un chirurgien qui repart, mais l'équipe est déjà sur place. Un chef de terrain me donne un briefing, me dit par exemple si la situation est dangereuse, s'il y a un couvre-feu... Alors, on est entouré par des gens qui ont déjà l'expérience du terrain.

UL - Quel est le rôle des pays comme le Canada dans les pays dévastés par les guerres, les famines et les catastrophes naturelles?

VE -
Le Canada a un historique de gardien de la paix, avec les casques bleus. Le Canada n'a pas de passé colonial, donc il pourrait jouer un rôle important dans le monde comme pacificateur, plutôt que comme belligérant.

UL - Et pensez-vous que l'entreprise a un rôle à jouer?

VE -
Je pense que l'entreprise privée pourrait être un pourvoyeur de fonds important dans une zone de détresse, de catastrophe... mais plus tard, si ces pays se développent. Il pourrait y avoir des partenariats avec les industries locales par exemple. Il ne faut pas condamner l'industrie. Elle a un rôle à jouer, mais pas d'emblée dans une zone de conflit. Elle doit s'impliquer plus tard, dans le redressement d'un pays.

UL - Quels ont été les moments les plus marquants de votre carrière?

VE -
Haïti m'a beaucoup marqué à cause de la détresse, de la misère et de la pauvreté. Je trouvais que c'était mal fait qu'un pays comme Haïti souffre autant. Le contexte que j'ai vécu au Tchad et Darfour a aussi été difficile. On recevait au Tchad les réfugiés qui venaient du Darfour, au Soudan, et on avait un hôpital pour les soigner. C'était difficile, parce qu'il me semblait que c'était une population parmi les plus démunies que j'ai connue au monde. Le contexte était aussi difficile quand j'ai travaillé au Sri Lanka, au milieu d'une guerre entre le Nord et le Sud, entre les Tamouls et les Cinghalais.

Chaque mission a sa particularité. Chaque mission comporte ses risques et présente des défis souvent importants. Mais il faut garder en tête pourquoi on est là. On est là pour des populations qui souffrent, qui sont en danger. On est là pour soigner la douleur, soigner les gens.

UL - Votre travail auprès des malades, votre implication en enseignement et vos engagements humanitaires vous ont valu plusieurs honneurs, tels le Prix Prestige décerné par l'Association médicale du Québec en 2001, le prestigieux Grand Prix 2007 offert par le Collège des médecins du Québec en 2007. En 2008, vous recevez le plus grand prix destiné à un médecin canadien, le Prix Frederick-Newton-Gisborne Starr de l'Association médicale canadienne. De quoi êtes-vous le plus fier?

VE -
Je suis arrivé ici comme un immigrant en 1969 et je n'avais rien. Je pense que la reconnaissance de mon pays d'adoption me touche beaucoup. Aussi, je suis très fier d'avoir contribué à la formation des chirurgiens au Québec. J'ai formé beaucoup de médecins, de chirurgiens qui sont actuellement partout au Québec, c'est une très grande fierté.

L'autre fierté est d'avoir aidé la population de Sherbrooke et des Cantons-de-l'Est d'un point de vue chirurgical. Ce sont les contributions que je fais dans le domaine médical qui me réjouissent.

UL - Le 11 mai dernier, vous avez entamé votre retraite comme professeur à l'Université de Sherbrooke et chirurgien au CHUS. Avez-vous pris votre retraite des missions?

VE -
Non, la retraite n'est pas prise pour les missions. Je fais une mission d'enseignement au Mali chaque année au mois de décembre pour enseigner les techniques chirurgicales. Peut-être  que je ferai ça au mois d'août en Haïti. Et je m'occupe des dossiers des médecins étrangers, ce qui est important pour moi.

NDLR : Le Dr Échavé chapeaute depuis deux ans le travail du comité Échavé, instance chargée de conseiller le ministre de la Santé sur l'intégration des médecins étrangers à la profession médicale au Québec. Le rapport sera présenté sous peu.

Et je ferai peut-être aussi quelques missions avec MSF, comme chirurgien. Peut-être. Mais c'est sûr que l'âge avance et, si je pars en mission, ce sera une des dernières. Probablement!

 

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