L'Efficacité réinventée

Publié le 26/11/2010 à 15:05, mis à jour le 26/11/2010 à 15:39

L'Efficacité réinventée

Publié le 26/11/2010 à 15:05, mis à jour le 26/11/2010 à 15:39

Par Premium

Professeur à l’école de gestion Sloan du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Erik Brynjolfsson est l’un des principaux économistes à s’intéresser à la dynamique de la productivité, et l’un des premiers à avoir effectué des recherches sur les effets des technologies de l’information (TI) sur le rendement.

Une entrevue D'Art Kleiner, Strategy + Business

Il a récemment mené des études poussées sur cet élément fondamental de l’économie. Ainsi, dans Wired for Innovation: How Information Technology Is Reshaping the Economy (MIT Press, 2009), Erik Brynjolfsson et Adam Saunders, coauteur de l’ouvrage qui enseigne à l’école Wharton de l’université de Pennsylvanie, affirment que l’augmentation de la productivité dépend surtout du « capital organisationnel ». Les auteurs prennent donc à contre-pied la tendance de tout miser sur le « capital humain » et démontrent que, pour se doter d’une équipe performante, il ne suffit pas d’avoir un excellent leader, mais également de meilleures pratiques reposant sur les nouvelles technologies de l’information.

Depuis le début de la récession, la productivité des entreprises s’est fortement accrue. Doit-on y voir un signe positif ?

Au milieu de 2009, nous savions déjà que le produit intérieur brut (PIB) des États-Unis allait bientôt prendre du mieux. Toutefois, on a aussi constaté que l’emploi ne suivait pas la même tendance : le taux de chômage augmentait alors que le nombre d’emplois ne cessait de diminuer chaque mois.

Les répercussions sur l’arithmétique de la productivité sont directes : quand on divise la production par un nombre plus restreint d’employés, la productivité bondit. La récession a tout de même permis aux entreprises de réaliser qu’elles pouvaient produire beaucoup avec un minimum de personnel.

Plusieurs de ces gains en productivité découlent d’investissements effectués entre 2000 et 2009, mais dont les entreprises n’ont pas profité avant d’avoir mis à pied du personnel. Dans le cas de l’économie du savoir, les dirigeants pouvaient difficilement évaluer le nombre d’employés dont ils avaient vraiment besoin. Ils recrutaient à plein régime, d’autant plus que l’inverse aurait été « économiquement incorrect » en période de croissance.

Avec la crise financière qui a précédé la récession, les dirigeants ont commencé à se dire qu’il leur faudrait sabrer dans le personnel, ce qu’ils ont fait. Maintenant que le pire de la crise est passé, ils constatent que l’entreprise peut fonctionner malgré un effectif réduit.###

À mon avis, l’emploi ne connaîtra pas le rebond observé après la crise de 1982 et les récessions antérieures. Même si l’économie se redresse, plusieurs des personnes mises à pied ne seront pas réembauchées ou ne retrouveront pas le poste qu’elles occupaient. Elles sont devenues inutiles à la suite d’une restructuration technologique. Elles devront donc se trouver un autre emploi, voire changer de secteur. Ce processus s’avérera plus laborieux qu’un retour à un ancien poste. On peut donc s’attendre à ce que les États-Unis découvrent ce qu’est le chômage de longue durée…

Ce changement est-il attribuable aux technologies de l’information ?

Partiellement. Les entreprises qui ont connu les gains en productivité les plus importants ont aussi amélioré la qualité de leur travail et leurs pratiques de gestion. Elles possèdent ce qu’on appelle un « capital organisationnel ».

Qu’entendez-vous par là au juste ?

C’est une sorte d’actif incorporel. Par convention, un actif est un élément qui crée de la valeur avec le temps. Le capital organisationnel se comporte, sur le plan mathématique, comme tous les autres éléments d’actif. Ainsi, quand on investit de l’argent pour créer de la valeur en cours d’année par exemple, dans la main-d’œuvre ou dans la location de matériel, on considère qu’il s’agit d’une dépense. Mais quand on investit dans quelque chose qui crée de la valeur pendant plusieurs années comme de l’équipement, de la machinerie ou un bâtiment, on parle d’un actif.

Nous avons découvert qu’il en va de même des pratiques de gestion, des systèmes de gestion des stocks, des chaînes de production et des méthodes comptables. Investir dans de nouvelles pratiques de gestion peut coûter très cher, et certaines entreprises se lancent dans ces investissements qui visent à optimiser leur façon de travailler. Ce faisant, elles génèrent une valeur à long terme.

En comparant le coût de ces changements à la valeur créée par ces nouvelles pratiques, on intègre des données supplémentaires au calcul de la productivité. Résultat ? Une corrélation entre le capital organisationnel et les résultats financiers !

On peut aussi intégrer ces pratiques organisationnelles au calcul de la valeur réelle de l’entreprise, soit la somme de ses éléments d’actif. On découvre ainsi que, pour chaque dollar dépensé en biens immobiliers, en usines ou en équipement ordinaire, la valeur d’une entreprise croît de un dollar. En revanche, cette valeur augmente de dix dollars pour chaque dollar investi dans le capital organisationnel. Le capital organisationnel accroît donc considérablement la valeur réelle d’une entreprise.

Comment mesure-t-on les coûts et la valeur des pratiques de gestion ?

Pour déterminer le capital organisationnel d’une entreprise, nous devons modifier nos paramètres habituels. Le succès de Microsoft ou de Google tient en bonne partie à leur capital humain. Or, le seul paramètre utilisé pour ces entreprises est le nombre total d’employés, lequel ne rend pas compte de la réalité. Notre groupe de chercheurs se penche donc sur l’échange des courriels et d’autres types de communications électroniques. Nous avons notamment utilisé des badges sociométriques pour suivre les déplacements d’employés au bureau. Nous avons aussi examiné le trafic téléphonique. C’est incroyable, toute l’information qu’on peut recueillir sur la façon dont les employés occupent leur temps. Ces renseignements permettent par la suite d’améliorer l’efficacité de chacun au travail.

Les habitudes de travail ne font-elles pas régulièrement l’objet d’études ?

Oui, mais un fait demeure : le capital organisationnel est une ressource sous-exploitée. On commence à peine à faire le lien entre la qualité de la gestion et la croissance économique. Les études que nous avons menées et d’autres montrent que l’accroissement du capital organisationnel, conjugué à celui des TI, se traduit par une hausse marquée de la productivité. Il s’agit d’une découverte primordiale à l’heure où les pays développés et émergents se tournent de plus en plus vers les services et l’information.

Le calcul du capital organisationnel fait appel à différentes pratiques de gestion. Quelles sont les plus pertinentes?

Au début des années 2000, nous avons mené un sondage en nous inspirant du « badge culturel » de Cisco. De la taille d’une carte de crédit, celui-ci énumère les 11 principes de l’entreprise, dont la franchise dans la communication, l’autonomisation et la possibilité d’accroître ses objectifs, qui ont une corrélation statistique directe avec une productivité supérieure. Notre enquête auprès de Cisco a servi de base à celles que nous avons menées auprès de quelque 450 entreprises et nous a permis de répondre à plusieurs questions, comme celle de savoir si une utilisation accrue des TI augmente le rendement. Nous avons conclu que les entreprises dont la productivité et l’utilisation des TI étaient les plus élevées appliquaient sept pratiques de gestion particulières, phénomène que nous avons baptisé l’« organisation numérique ».

Quelles sont ces sept pratiques de gestion ?

L’une d’elles concerne l’utilisation de processus numériques plutôt qu’analogiques, comme suivre les résultats financiers de l’entreprise par l’intermédiaire de systèmes informatiques plutôt que sur papier. Une autre touche l’accès des employés, y compris ceux de première ligne, à l’ensemble des renseignements.

L’autonomisation des employés et la décentralisation de l’autorité sont aussi visées. Par exemple, Cisco utilise un système de TI pour transférer le pouvoir décisionnel d’un employé lorsqu’il part en vacances ou se trouve à l’extérieur du bureau. Les autres pratiques concernent l’utilisation d’incitatifs établis selon la performance, l’investissement dans la culture de l’entreprise (comme dans le cas des badges de Cisco), l’accroissement des efforts visant le recrutement des meilleurs candidats et l’investissement dans le capital humain, notamment au moyen d’excellents programmes de formation.

Les entreprises qui mettent en œuvre les sept pratiques de gestion de l’organisation numérique sont nettement plus productives que celles qui suivent ces principes sans recourir aux TI et que celles qui ne les suivent pas du tout. Autrement dit, elles obtiennent de meilleurs résultats financiers et nécessitent moins d’investissements.

Quelle est la priorité des entreprises les plus performantes que vous avez étudiées ? Est-ce l’adoption de TI assurant une meilleure gestion ?

L’amélioration des pratiques de gestion à court terme figure en tête de liste, et les TI s’adaptent en conséquence. Nous avons constaté que la demande en TI était plus élevée dans les entreprises qui avaient déjà mis en œuvre certaines de ces pratiques, et que cette demande s’est accrue très rapidement.

Les pratiques de gestion évoluent avec la technologie, même si cela prend du temps. Je possède un livre intitulé Scientific Management, un recueil d’articles publiés en 1914. Les auteurs, dont Frederick Winslow Taylor et des sommités de la gestion, décrivent les pratiques de travail optimales à l’aube des années 1900. Selon eux, la première loi de la gestion scientifique est que le travailleur ne doit jamais avoir besoin de s’arrêter pour réfléchir.

Si cette approche était sensée à l’époque, elle est aux antipodes de ce qu’on enseigne aujourd’hui. L’ouvrage énonce plusieurs autres principes, tous plus dépassés les uns que les autres, à savoir ne pas former un employé à d’autres tâches que celles auxquelles il est affecté, garder des stocks très importants pour ne jamais manquer de rien, etc.

Aujourd’hui, ces recommandations font sourire. Je suis toutefois convaincu qu’elles ont fait merveille à l’époque. Henry Ford s’en est inspiré pour bâtir une entreprise extrêmement prospère, à l’instar de nombreuses autres sociétés. Morale : pour rester productif, il faut être de son temps !

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