« À 16 ans, certains jeunes en ont marre de l’école, mais pas d’apprendre»

Publié le 22/06/2010 à 10:25, mis à jour le 11/11/2010 à 14:22

« À 16 ans, certains jeunes en ont marre de l’école, mais pas d’apprendre»

Publié le 22/06/2010 à 10:25, mis à jour le 11/11/2010 à 14:22

Stefan Wolter, ce spécialiste de l’économie de l’éducation explique pourquoi la Suisse a l’un des taux d’abandon scolaire les plus bas au monde.

Alors qu’on apprenait cette semaine que le Québec n’arrive pas à faire baisser son taux d’abandon scolaire (22% des jeunes de moins de 19 ans ne fréquentent plus l’école), la Suisse affiche des résultats autrement plus reluisants: seuls 10% des jeunes Suisses terminent leur scolarité sans diplôme, un taux qui baisse à 5% si on exclut des statistiques les jeunes immigrants intégrés tardivement dans le système scolaire.

La Suisse se classe aussi au premier rang de l’Index de compétitivité globale publié par le Forum économique mondial. Un dépistage précoce des jeunes selon leur talent et leurs affinités et une forte implication des entreprises dans la formation des apprentis fait de ce système l’un des plus efficaces au monde, comme l’explique le Dr Stefan Wolter, professeur au Centre de recherche en économie de l’éducation au département d’économie de l’Université de Berne.

Journal Les affaires- En Suisse, les élèves sont dirigés très jeunes, sur la base de leur rendement scolaire, vers une filière d’études qui les mèneront soit vers des métiers techniques, professionnels ou vers l’université. À 12 ou 13 ans, n’est-ce pas un peu jeune pour être ainsi catalogués?

Stefan Volter - Il y a du pour et du contre. Le côté positif de cette sélection précoce, c’est que ça permet aux élèves d’accéder tôt à un curriculum qui est mieux adapté à leurs possibilités et à leurs intérêts. Dès 12-13 ans, et jusqu’à 16 ans, ils apprendront leurs matières académiques de manière différente, dépendant de leur filière d’étude. Cette manière d’apprendre sera nettement plus pratique et concrète s’ils sont destinés au filière dite «vocationnelle», soit celle qui mène vers les métiers. Je crois que cela prévient le décrochage scolaire. Les professeurs sont formés pour enseigner de façon différente.

Dans les années 70, en Allemagne, avec qui nous partageons le même système, on a fait l’expérience de ne pas dépister si jeune et d’enseigner la même chose à tous, jusqu’à 16 ans. Ça allait pour les élèves dans la moyenne, mais les plus doués perdaient leur temps, et on perdait carrément les moins talentueux. L’Allemagne a cessé l’expérience.

Cela dit, pour que le système de dépistage précoce fonctionne et soit juste, il doit être perméable et flexible afin de permettre aux élèves de changer de voie en cours de route. Il y a eu des réformes dans les années 90 pour permettre justement cette flexibilité. Il ne faut pas qu’un jeune soit pris dans une filière simplement parce qu’à l’âge de 12 ans, il avait de moins bons résultats scolaires. Bien des jeunes peuvent se développer plus tard. La force du système suisse est sa perméabilité : si vous êtes talentueux, vous pouvez faire tout ce que vous voulez.

Un autre problème, que l’on voit notamment en Allemagne, c’est que le dépistage doit être fait sur la base du potentiel de l’élève et non pas sur une base socio-économique. C’est inéquitable.

JLA- Dès 15-16 ans, les jeunes dans les voies dites «vocationnelles» débutent une formation d’apprentis dans les entreprises. Quel est l’implication de ces dernières dans la formation des jeunes?

S.W. - Plus que dans n’importe quel autre pays, le système d’éducation en Suisse s’appuie sur la contribution du secteur privé. Ce sont les associations d’employeurs qui embauchent les apprentis, avec un contrat de travail en bonne et due forme, et qui décident du contenu des apprentissages. L’apprenti retourne à l’école une journée par semaine, où il reçoit la partie académique de sa formation. Cependant, c’est l’État qui détermine le curriculum pour le secteur académique qui mène à l’université, ce qu’on appelle le gymnase.

JLA- N’est-ce pas trop donner de pouvoir aux entreprises?

S.W. - Ça le serait si l’État n’avait pas aussi son mot à dire. Tous les programmes développés par les associations d’entrepreneurs doivent être approuvés par le gouvernement. Ce dernier se fait l’avocat des jeunes en ce sens qu’il s’assure que la formation offre une perspective à long terme, que les jeunes feront des apprentissages qui leur serviront pour toute leur vie. Si on laisse cette responsabilité seulement aux entreprises, celles-ci vont naturellement vouloir remplir d’abord leurs besoins à court terme. Le système offre donc une balance entre les intérêts des uns et des autres.

JLA- Considérez-vous le système d’éducation suisse comme l’un des meilleurs au monde?

S.W. - Ça dépend des buts… Si on regarde ce qu’attendent les employeurs de leur main-d’œuvre, on peut dire que c’est un excellent système. Mais les comparaisons sont difficiles à travers le monde. Les plombiers suisses ou anglais ne sont jamais testés de manière comparative. Les seuls tests faits à l’échelle internationale mesurent l’académique et lors des concours internationaux, les pays envoient leurs meilleurs éléments. La Suisse y performe très bien, mais jamais comme la Corée du sud, par exemple. Mais on sait que dans ce pays, les formations techniques ou vocationnels ne fonctionnent pas très bien. Les concours internationaux mesurent donc les habilités des jeunes les plus doués mais ne donnent pas la mesure de la moyenne. Or, un pays ne fonctionne pas à son plein potentiel s’il ne forme bien que l’élite de ses citoyens.

JLA- Qu’en est-il de votre taux de décrochage?

S.W. - Entre 10% et 12% des jeunes abandonnent l’école avant d’obtenir un diplôme. Et si on enlève de ces statistiques les enfants immigrants qui sont arrivés tardivement dans le système scolaire Suisse, ce taux baisse à 5%, ce qui est faible. Le défi du système d’éducation suisse est donc de mieux intégrer ces jeunes immigrants, avec un enseignement plus adapté, etc. Bien des pays doivent jongler avec cette problématique. La clé reste l’intégration.

JLA- Que pensez-vous du système nord-américain?

S.W. - La grande différence avec notre système tient au fait que’en Amérique du Nord, les jeunes suivent tous un parcours similaire jusqu’à l’obtention de leur diplôme. Il y a une uniformité dans l’enseignement et du coup, de hauts taux de décrochage scolaire. Et ce qu’on trouve le plus étrange, pour nous, en Suisse, c’est qu’on y exige souvent un diplôme d’études secondaires pour avoir accès aux programmes de métiers. Or, on le voit dans tous les pays, à 15 ou 16 ans, il y a beaucoup de jeunes, et surtout des garçons, qui en ont marre de l’école, mais pas d’apprendre. Chez nous, il y a beaucoup de jeunes hommes talentueux qui optent pour les filières «vocationnelles» tout simplement parce qu’ils ont ainsi un accès direct à l’entreprise, ils veulent faire des choses plus pratiques, ils veulent grandir, faire de l’argent, etc. L’école n’est pas attrayante pour eux, mais le marché du travail, oui. Il faut leur donner la chance de sortir de l’école avec une formation et un diplôme en main.

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