Innovation de bouts de chandelles à l'indienne


Édition du 29 Mars 2014

Innovation de bouts de chandelles à l'indienne


Édition du 29 Mars 2014

Faire table rase

Selon Rishikesha T. Krishnan, directeur et professeur à l'Indian Institute of Management à Indore, tous les pays émergents arrivent à un stade de développement où l'on voit apparaître des inventeurs qui se fient davantage à leur intuition qu'à des recherches structurées. Lorsqu'une société devient plus riche et plus complexe, l'esprit de débrouillardise propre à l'innovation jugaad tend à disparaître, faute d'être nécessaire. «Quelques-uns des plus grands innovateurs frugaux de l'histoire viennent des États-Unis, soutient le spécialiste de l'innovation. Henry Ford, par exemple, a fait de l'automobile un produit abordable en inventant la chaîne d'assemblage.»

Plus d'un siècle après Henry Ford, Chetan Maini approche la fabrication de véhicules électriques comme s'il s'agissait d'une toute nouvelle industrie. Inaugurée en 2012, l'usine de Mahindra Reva ne contient aucun robot, est refroidie grâce à un système de ventilation entièrement mécanique, et 35 % de l'électricité qu'elle consomme provient de panneaux solaires. On pourrait croire que toutes ces innovations ont demandé des investissements massifs, mais au contraire, elles ont été engendrées par la nécessité de réduire les coûts. L'usine n'a coûté que 10 millions de dollars américains à construire, et la voiture qu'elle fabrique, la Mahindra e20, est vendue en Inde pour à peine 11 450 $ CA.

Pour arriver à ce résultat, Mahindra Reva a dû innover, tant au niveau du produit que des processus de production. Notamment, la e20 est munie d'une coque extérieure de plastique plutôt que d'être recouverte de feuilles métalliques qui augmentent le poids des véhicules, sans compter qu'elles sont coûteuses à transformer. Ces coques sont livrées déjà peintes, ce qui permet à l'usine de Mahindra Reva de se passer d'atelier de peinture. Dans les faits, tous les composants de la Reva, y compris sa batterie, sont fabriqués par des sous-traitants, même si Mahindra Reva a contribué au développement de plusieurs d'entre eux.

Avant le lancement de la Reva e20, 40 % des ventes de Mahindra Reva étaient déjà réalisées en Europe. Dans la foulée du lancement de la e20 en Europe, qui devrait avoir lieu cette année, Chetan Maini souhaiterait y établir une usine. «Ça prend à peine 12 heures de main-d'oeuvre pour fabriquer une voiture. Donc, la différence entre l'assembler en Europe ou au Canada et le faire en Inde est d'à peu près 400 $», explique Chetan Maini. Ainsi, l'avantage concurrentiel du constructeur ne repose pas sur une main-d'oeuvre à faible coût, mais sur ses innovations.

Avantage concurrentiel

Dans les faits, Mahindra Reva n'est qu'une entreprise parmi tant d'autres qui, grâce à ses innovations jugaad, est en train de remporter un avantage concurrentiel qui perdurera sur les marchés développés. Or, leurs consoeurs des pays riches sont rarement équipées pour emprunter le chemin inverse, selon Navi Radjou, un chroniqueur de la Harvard Business Review qui, en 2012, a publié un livre sur l'innovation jugaad. «L'esprit jugaad, c'est quelque chose d'universel, explique l'auteur. On l'a tous en nous, mais au fur et à mesure de notre industrialisation, on a mis couche sur couche de structures et de processus.»

La e20 illustre comment la réactivité au marché des entreprises des pays émergents constitue un avantage concurrentiel. Entre autres choses, la voiture a été conçue de manière à ce que ses propriétaires puissent utiliser sa batterie comme source de courant alternatif à la maison, une fonctionnalité précieuse dans un contexte où les pannes de courant font partie du quotidien. Une fonctionnalité que des ingénieurs, dont le mandat est de concevoir une voiture pour les marchés émergents à partir d'un pays riche, n'auraient probablement pas ajoutée. «Le marché européen est à la recherche de nouvelles technologies, alors que le marché indien veut une solution abordable ; être présent dans les deux marchés nous permet d'innover sur les deux fronts», dit Chetan Maini.

Navi Radjou considère que le seul moyen, pour les entreprises occidentales, d'éviter de se faire distancer, est d'embrasser l'innovation jugaad. «Le scénario qui devrait se concrétiser, c'est que les entreprises des marchés émergents comme Huawei, en Chine, et Tata, en Inde, vont commencer par attaquer les marchés émergents comme l'Afrique et l'Amérique latine, explique l'auteur. Ensuite, ils vont venir concurrencer [les entreprises occidentales] dans les pays plus matures avec une offre qui combine l'abordabilité sans sacrifier la qualité», pense-t-il.

Pour lui, l'importance de l'innovation jugaad ne tient pas seulement au poids grandissant des pays émergents dans l'économie mondiale. Elle est un avantage concurrentiel dans tous les marchés, puisque les consommateurs des pays riches s'attendent de plus en plus à des produits personnalisés.

Dans ce contexte, être à l'aise face aux imprévus, comme l'était Chetan Maini face à notre retard, est tout sauf un luxe. «L'esprit jugaad permet aux entreprises de basculer du modèle du 21e siècle du one-size-fits-all à un modèle plus agile», dit-il.

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