CSeries : Airbus a l'obligation morale d'en faire profiter le Québec


Édition du 28 Octobre 2017

CSeries : Airbus a l'obligation morale d'en faire profiter le Québec


Édition du 28 Octobre 2017

On avait tous rêvé que le programme CSeries permette à Bombardier de devenir incontestablement le troisième avionneur du monde derrière Airbus et Boeing. Cela ne se produira pas.

Une page a été tournée. Il faut maintenant regarder en avant et espérer que ce partenariat consolidera la filière aéronautique de Montréal. Il y a un grand potentiel à cet effet, puisque Airbus apporte à la CSeries sa force de vente, son réseau de fournisseurs et son service après-vente.

Par-dessus tout, Airbus rassurera les sociétés aériennes à la recherche d'un réacté de 100 à 150 sièges. C'était une mission impossible pour Bombardier en raison de sa vulnérabilité financière, elle qui affichait un avoir propre négatif de 3,8 milliards de dollars à son bilan au 30 juin dernier.

Cédée sur un plateau d'argent

Airbus s'est fait offrir sur un plateau d'argent le monocouloir le plus avancé du monde sur plusieurs plans : l'économie de carburant, le confort, le bruit, l'avionique, etc. Airbus n'a rien payé pour obtenir 50,01 % des actions, le droit de nommer la majorité de administrateurs et le plein contrôle sur l'avenir du programme de la CSeries, développé au coût de 6 G$ US.

De plus, Bombardier s'est engagée à investir 700 G$ US en trois ans pour soutenir le développement du programme. Elle a consenti à Airbus une option d'achat de son bloc d'actions restantes de 31 %, exerçable à la fin de 2025 (même chose pour le bloc de 19 % détenu par Investissement Québec, exerçable en 2023), ce qui pourrait faire du géant européen le seul propriétaire de la CSeries. Toutefois, Tom Enders, le grand patron d'Airbus, a précisé que sa société pourrait ne pas exercer cette option et garder Bombardier comme partenaire à long terme, ce qui ferait du Québec un pôle véritable au sein la constellation d'Airbus, aux côtés de la France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni et de l'Espagne.

Selon l'entente, le siège social de la CSeries restera au Québec et des avions de la CSeries seront assemblés à Mirabel jusqu'en 2041. Cette production pourrait même s'accroître fortement à la faveur du marché de 6 000 avions qui est anticipé dans le créneau des appareils de 100 à 150 places. Tom Enders avance que la CSeries pourrait prendre 50 % de ce marché en raison de la qualité de l'avion et de la force de vente d'Airbus.

Comme si ce n'était pas encore assez pour séduire le sauveur européen, Airbus a aussi obtenu des bons de souscription pour acquérir 100 millions d'actions (5 % des actions émises) de Bombardier au prix de 2,29 $ CA l'unité. Or, comme l'action s'est appréciée de 0,50 $ depuis l'annonce de la transaction, Airbus a déjà réalisé un profit de 50 millions de dollars en quelques jours. L'exercice de ces bons pourrait être à la fois très rentable pour Airbus et très utile à Bombardier.

Nouvelles priorités

Maintenant que le dossier de la CSeries est réglé, Bombardier aura plus de temps pour s'atteler à l'examen et au renforcement de ses autres secteurs, dont celui des avions d'affaires, dans lequel l'avionneur québécois serait le leader mondial, avec un carnet de commandes de 15 G$ US. Bombardier a retiré un bénéfice de 170 M$ US sur des ventes de 2,4 G$ US dans ce secteur au premier semestre de 2017.

Le nouveau Global 7000, qui peut transporter 17 passagers et doit être mis en service dans un an, établirait, grâce à sa conception, une nouvelle norme dans le créneau des grands biréactés. Suivra le Global 8000, qui aura la plus grande autonomie de l'industrie. Quand aux appareils Global 5000 et Global 6000, ils ont été dotés d'une nouvelle cabine, ce qui les rend plus attrayants.

L'avenir est moins clair pour les petits réactés de la série CRJ et les turbopropulseurs Q400, dont les technologies n'ont pas été renouvelées. Le carnet de commandes des CRJ ne compte que 47 aéronefs, et celui du Q400, 56 unités, comparativement à 250 pour son concurrent direct, l'ATR 42, qui est fabriqué par un consortium dont fait partie Airbus. Ce segment pourrait mener à d'autres ententes stratégiques.

La filiale de fabrication de matériel de transport sur rail de Bombardier, dans laquelle la Caisse de dépôt et placement a investi 1,5 G$ US pour obtenir 30 % du capital-actions, requerra beaucoup d'attention. Cette entente a presque fait de la Caisse de dépôt un cogestionnaire de cette filiale. Elle lui permettrait de voir sa participation atteindre 42,5 % au terme de la cinquième année si la rentabilité attendue (un rendement d'au moins 9,5 %) n'est pas au rendez-vous.

Cette filiale a subi une perte de 82 M$ US sur des revenus de 3,9 G$ US au premier semestre de 2017. Or, la concurrence sera encore plus forte dans ce secteur à la suite de l'alliance conclue par Siemens et Alstom en septembre et des percées des sociétés chinoises sur le marché nord-américain.

Le lancement d'un nouvel avion, la CSeries, dans le marché du duopole Airbus-Boeing présentait un risque qui s'est révélé très onéreux. La survie de Bombardier exigera maintenant plus de claivoyance et de prudence.

J'aime
Le projet de loi S-231 sur la protection des sources journalistiques présenté par le sénateur Claude Carignan a été adopté par les deux chambres du Parlement canadien. C'est un grand pas pour la démocratie, car la liberté de presse est essentielle à son bon fonctionnement. Alors que des médias sont interdits et que des journalistes sont jetés en prison dans plusieurs pays, notre pays se situe maintenant à l'avant-garde dans ce domaine.

Je n'aime pas
Selon un nouveau rapport, le pont Champlain pourrait devoir être à nouveau renforcé pour s'assurer qu'il est sécuritaire. Il pourrait s'ensuivre des coûts de plus de 200 M$, après des dépenses du même genre effectuées ces dernières années. Ces déboursés auraient pu être évités si on avait devancé la construction du nouveau pont de quelques années. Ahurissant !

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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