Faut-il échouer pour vraiment réussir?

Publié le 01/09/2016 à 06:15

Faut-il échouer pour vraiment réussir?

Publié le 01/09/2016 à 06:15

Rater, c'est apprendre à la dure, et donc merveilleusement bien apprendre... Photo: DR

Nous érigeons en héros ceux qui sont couronnés de succès et, à l'inverse, nous nous considérons comme des "maillons faibles" ceux qui échouent. Surtout au travail. Pourtant, la réalité n'est jamais aussi tranchée : nous vénérons ceux qui — artistes, sportifs, gens d'affaires,... — brillent de tous leurs feux en dépit de leurs revers et autres coups durs.

C'est en partant de ce constat qu'Arnaud Granata, éditeur du magazine Infopresse, a eu l'heureuse idée de rencontrer différentes personnalités québécoises ayant connu de beaux succès comme de cuisantes défaites : Christiane Germain, Caroline Néron, Jean-François Bouchard, etc. Puis, d'expliciter chacune de ces vies marquées par des hauts et des bas spectaculaires à l'aide des réflexions d'experts en la matière : la psychologue Rose-Marie Charest, la sociologue Diane Pacom, ou encore l'économiste François Delorme. Et d'en faire un ouvrage intitulé Le Pouvoir de l'échec (Les éditions La Presse, 2016).

Pour ma part, mon attention a été attirée par sa rencontre avec le philosophe Jocelyn Maclure, connu pour avoir cofondé en 2012, avec Nicolas Langelier, le magazine Nouveau Projet, et qui s'apprête à lancer son tout nouveau livre Retrouver la raison (Québec Amérique, 2016). C'est que leur discussion apporte, à mon avis, un tout nouvel éclairage sur le concept-même d'échec. Extrait.

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Jocelyn Maclure : «(...) De plus en plus d'entre nous concevons une vie réussie par le fait de réussir "globalement" dans plusieurs dimensions : famille, travail, vie collective,... Moi, par exemple, je sais que je ne peux pas être un citoyen désintéressé de la vie autour de moi. Je dois être dans ma communauté, là où il y a des débats de société. Passer à côté de cela, ce serait pour moi un échec. Par contre, je sais que je ne peux pas tout faire : je dois donc trouver un équilibre.»

Arnaud Granata : «Il est donc impossible de tout réussir. Et forcément, on est constamment confronté à l'échec, non?»

Jocelyn Maclure : «Oui, c'est en effet un risque : avoir le sentiment que l'on ne fait rien de très bien, que l'on fait tout à moitié. Dans une conception de vie réussie comme la mienne, qui est aussi la conception moderne de la réussite, on peut penser que l'on ne va pas au fond des choses, et donc que l'on n'est pas dans une entière réussite. Qu'on est en quelque sorte moyen. C'est pourquoi il faut mettre des priorités dans ses objectifs et les regarder de façon réaliste.

«L'autre grand risque, c'est une forme d'épuisement. On parle beaucoup de nos sociétés modernes comme étant celles de la fatigue et de la performance. Une partie de notre réalité est aujourd'hui guidée par cette norme sociale d'une vie performante.» (...)

Arnaud Granata : «Cela veut-il dire qu'on a davantage besoin de la reconnaissance de l'autre aujourd'hui dans notre façon de déterminer, ou non, la réussite de notre vie?»

Jocelyn Maclure : «Oui, le regarde des autres est crucial dans notre estime de nous-mêmes, dans la confiance que l'on a en nous-mêmes. Car nous ne jouissons plus d'une reconnaissance a priori, ou du moins c'est très rare. C'est angoissant de savoir que la construction de notre identité pourrait échouer. De façon plus fondamentale, je crois que c'est pour cela que l'on valorise le succès ou la performance, c'est une manière de se repérer socialement. On cherche à émuler ceux qui réussissent : ils jouissent de plus d'estime sociale. Forcément, le regard des autres devient important dans ce contexte, voire essentiel dans la perception de nos réussites et de nos succès.»

Arnaud Granata : «Et l'échec semble assez mal vu dans nos sociétés modernes...»

Jocelyn Maclure : «En effet, c'est malheureux que l'échec soit connoté de façon si négative, de nos jours. Je crois fermement que pour réussir, il faut absolument développer ses capacités; et pour y parvenir, il faut faire des expériences, il faut agir, il faut prendre des risques, se lancer, se mettre en danger. C'est comme cela qu'on peut développer ses talents. Or, lorsqu'on prend des risques, on peut échouer.

«Bien souvent, dans un processus de croissance, il est nécessaire de ne pas tout réussir. Tous ceux qui ont fait du sport de compétition le savent : pour croître, il faut absolument se confronter aux meilleurs, à ceux qui sont rendus plus loin que nous. Une fois qu'on l'a fait, on comprend ce qu'il nous manque pour passer à la prochaine étape. Pour avancer, il faut donc se confronter aux autres, à ceux qui nous stimulent. Et pour cela, il faut accepter de perdre parfois et de devoir faire face à des revers. (...)

«En fait, il y a plusieurs types d'échecs. ceux qui sont définitifs, qui peuvent mener à la faillite, avec de graves conséquences; et ceux qui nous permettent d'avancer. La prise de risque calculée, modérée, est importante dans un processus d'apprentissage, et cela, peu importe l'âge ou la génération. (...)

«Ceux qui réussissent doivent passer par des échecs. Regardez les scientifiques : ils savent très bien qu'ils doivent échouer souvent pour à un résultat, aussi modeste soit-il. Alors, bien sûr, on va parler de leurs découvertes, mais avant cela ils ont connu beaucoup d'échecs, dont on parle peu. Ces échecs-là font pourtant partie du processus d'apprentissage. En prendre conscience peut nous permettre de ne plus avoir peur d'essayer, et d'oser, à notre tour, de nous confronter à nos propres limites. (...)

«Il faut d'ailleurs inciter les jeunes à se mettre en danger pour avancer., pour annihiler cette peur qui est susceptible d'entraver le développement de leurs capacités. Je dis cela dans le sens où il faut qu'ils acceptent que certaines de leurs idées ne soient pas révolutionnaires, et que cela fait partie du processus normal d'apprentissage. Et ce, en sachant que la réussite ne dépend pas que du travail : il y a aussi une part de chance qu'il ne faut pas négliger; ce serait trop simpliste de réduire le succès ou l'échec de ses objectifs à son propre travail. (...)

«Arrêter d'échouer, c'est ne plus se mettre en danger, et donc, par extension, profiter de nos acquis et plafonner.»

Voilà. L'échec est par conséquent indissociable du succès, il en est même l'un des composants essentiels, à l'image de Janus, ce dieu romain des commencements et des fins, des portes et du passage, bref, des choix, ce dieu au visage double, dont l'une des faces est tournée vers le passé et l'autre, vers le futur. Oui, l'échec est ce qui nous permet de briller plus que jamais, d'atteindre l'inespéré, d'aller au-delà de l'imaginable. Sans lui, nul passé mémorable, ni futur trépidant; juste une vie d'une morne platitude.

Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis :

> Qui entend connaître le succès se doit de cultiver l'échec. Il lui faut voir la défaite autrement, la considérer comme le catalyseur de la victoire, la chérir comme les frères Kellogg qui, après avoir oublié des grains de maïs en train de cuire doucement sur le feu, les ont découvert durcis, mais bons tout de même à être passés entre des rouleaux pour former des pétales. Il lui faut apprendre à ne plus tenir compte du regard négatif, pour ne pas dire moqueur, des autres et prendre conscience que l'échec est, au contraire, une occasion en or de grandir, puis d'embellir. Bref, il lui faut avoir le cran de se lancer corps et âme dans l'aventure, quitte à en ressortir avec quelques cicatrices.

En passant, l'écrivain ougandais Moses Isegawa a dit dans ses Chroniques abysiennes : «Il n'y a pas d'héroïsme sans cicatrices».

 

À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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