Et si la clé était le management...

Publié le 07/09/2016 à 07:19

Et si la clé était le management...

Publié le 07/09/2016 à 07:19

Miser franchement sur les employés, c'est payant... Photo: DR

Je sais, je ne parle pas souvent de finance dans mes billets de blogue «En Tête». C'est pourquoi, dès que l'occasion se présente, je saute dessus. Aujourd'hui, c'est le cas grâce à un conseil de lecture de mon collègue François Normand, une lecture qui sort un peu des sentiers battus.

Il m'a en effet conseillé de jeter un oeil sur un livre que peu de monde connaissent, soit Actions ordinaires et profits extraordinaires (Valor Éditions, 2000), de Philip Fisher, un investisseur américain «pratiquement inconnu du grand public, fuyant les projecteurs et n'acceptant que peu de clients, mais qui est néanmoins lu et analysé en profondeur par les plus grands investisseurs professionnels», disait de lui feu-James Michaels, rédacteur en chef, du magazine Forbes. Un livre d'investisseur qui s'adresse à des investisseurs, mais qui — c'est là la beauté de la chose — traite en partie de... management!

C'est que tout investisseur digne de ce nom se doit de s'intéresser au management de l'entreprise dans laquelle il envisage de placer son argent, selon Philip Fisher. Regardons ensemble ce qu'il en dit...

«Il est probable que la plupart des investisseurs n'apprécient pas à leur juste valeur les bienfaits qui peuvent être tirés de bonnes relations salariales. Pourtant, rares sont ceux qui ne reconnaissent pas l'impact négatif généré par de mauvaises relations avec le personnel : les effets néfastes sur la production, de grèves longues et fréquentes sont bien visibles, même aux yeux de ceux qui ne feraient qu'un examen superficiel des comptes de l'entreprise.

«C'est que la différence en termes de rentabilité entre une entreprise qui entretiendrait de bonnes relations avec le personnel et une autre dans laquelle ces relations seraient médiocres est bien plus forte que ne sauraient le suggérer les coûts directs des grèves, par exemple. Si les employés considèrent qu'ils sont correctement traités par leur employeur, le terrain aura été bien préparé pour permettre à des dirigeants dotés de réelles qualités de leadership d'accomplir des miracles en termes de gains en productivité; qui plus est si les sommes engagées dans la formation du personnel sont considérables.

«Mais comment l'investisseur doit-il s'y prendre pour juger correctement de la qualité intrinsèque du personnel de l'entreprise et de celle des relations salariales? Il n'existe pas de réponses simples à cette question. Nous n'avons aucun outil de mesure pouvant s'appliquer à tous les cas. Le mieux que l'on puisse faire, c'est de porter son attention sur un certain nombre de facteurs et de tirer ensuite un jugement d'ensemble à partir de cette vue composite. (...)

«Comment se fait-il, par exemple, que des salariés parviennent à développer une fidélité à toute épreuve envers un employeur, et une profonde animosité envers un autre? Les raisons sont souvent si complexes et difficiles à déchiffrer que dans bien des cas l'investisseur sera mieux avisé de se concentrer sur les données comparatives évaluant ce que pensent les travailleurs de leurs relations avec la direction, plutôt que de tenter d'évaluer tous les paramètres indépendants qui aboutissent à ces impressions.

«Une statistique qui indique la qualité sous-jacente du travail et des relations avec le personnel est le taux de roulement (turn-over, en anglais) du personnel de l'entreprise par rapport aux autres entreprises du même secteur d'activités. Tout aussi significatif est le nombre de candidatures spontanées reçues par l'entreprise comparé à celui des autres entreprises de la même zone géographique : dans une région où le taux de chômage est bas, le fait qu'une entreprise reçoive beaucoup de candidatures spontanées est certainement, pour l'investisseur, le signe d'un investissement judicieux.

«À l'exception de ces statistiques à caractère général, il existe peu de détails spécifiques qui pourrait recueillir l'investisseur. Les entreprises qui entretiennent de bonnes relations avec leur personnel sont habituellement celles qui font tout leur possible pour répondre le plus vite possible aux doléances qui leur sont adressées. Les doléances individuelles auxquelles on répond lentement, car elles ne sont pas considérées comme importantes par le management, sont en général celles qui mettent le feu aux poudres.

«Outre qu'il doit savoir évaluer les procédures mises en place pour résoudre les conflits potentiels, l'investisseur doit de surcroît porter attention à l'échelle des salaires. L'entreprise qui dégage une rentabilité supérieure à la normale et paie des salaires eux aussi supérieurs à la normale dans son bassin d'emploi a de fortes chances d'entretenir de bonnes relations avec le personnel. Suivant la même logique, l'investisseur qui achète une situation boursière où une partie significative des profits est faite sur le dos des employés qui sont payés au-dessous du niveau de rémunération normal de la zone d'emploi doit savoir qu'il s'exposera, un jour ou l'autre, à de graves problèmes.

«Enfin, l'investisseur devrait être sensible au comportement des cadres dirigeants de l'entreprise face à leurs employés et ouvriers. Car derrière les beaux discours, certains patrons ne montrent dans les faits que peu d'intérêt à répondre aux aspirations de leurs employés. Leur principal souci est de s'assurer que la plus faible portion de leurs marges serve à payer les salaires, quitte à créer des tensions avec les employés et ouvriers. Leurs employés sont embauchés et licenciés, en vérité, uniquement sur la base des évolutions à court terme des perspectives de ventes.

«Ces patrons-là ne se sentent aucunement responsables des épreuves qu'ils infligent à leur personnel et à leurs familles. Ils ne font rien pour faire sentir à tous les échelons de la hiérarchie qu'ils sont importants, indispensables et partie prenante des résultats de l'entreprise. Ils ne font rien pour contribuer à bâtir la dignité du travailleur de base. Les patrons qui adoptent un tel comportement n'offrent pas, en règle générale, le cadre le plus approprié pour le type d'investissement le plus souhaitable.»

Voilà. C'est dit. Le management est et doit rester la priorité des priorités de l'employeur digne de ce nom; et ce, y compris s'il a pour objectif de satisfaire ses partenaires d'affaires que sont les investisseurs financiers. Et Philip Fisher d'enfoncer le clou :

«L'entreprise qui offre la plus belle opportunité d'investissement sera celle dans laquelle régnera un bon climat au niveau de la direction; les cadres ont confiance dans leur président et/ou dans le président du conseil d'administration. Cela veut dire, entre autres, que :

> du plus bas échelon au sommet, chacun est convaincu que la promotion est liée aux mérites, et non à une quelconque politique de couloirs;

> les héritiers de la famille actionnaire de référence ne seront pas promus au détriment de plus capables qu'eux;

> les salaires sont régulièrement revalorisés [de telle sorte que chacun] soit assuré que les augmentations méritées se produisent naturellement, sans avoir à se battre pour cela;

> les salaires sont en accord avec ce qui se pratique dans l'industrie et la zone géographique concernées;

> la direction ne fait pas appel à des ressources externes pour combler un poste qui pourrait être comblé grâce aux ressources internes;

> la direction reconnaît qu'en tout lieu où des êtres humaines travaillent ensemble se développent frictions et clans, mais ne tolère pas ceux qui nuisent dès lors au travail d'équipe et ne tente aucunement de minimiser ces nuisances-là.

«À noter que, dans la plupart des cas, l'investisseur pourra découvrir la situation qui règne au sein de l'entreprise sur tous ces plans sans avoir à trop interroger, tout simplement en discutant avec différents cadres, à des niveaux de responsabilités différents. Car, soulignons-le, plus une entreprise s'éloigne de ces standards, moins elle est susceptible de représenter un investissement exceptionnel.»

Bon. Je vous laisse à présent méditer les conseils de Philip Fisher, dont nul autre que Warren Buffett, l'un des hommes les plus riches de la planète depuis le début du XXIe siècle, dit sans se cacher qu'il est «un lecteur assidu».

Vous êtes chef d'entreprise et vous souhaitez plaire aux investisseurs? Devenez un excellent employeur, soucieux du bien-être de vos employés. Vous êtes manager et vous souhaitez plaire à votre direction? Devenez un excellent chef d'équipe, soucieux du bien-être de vos employés. C'est aussi simple que ça.

En passant, l'industriel et philanthrope américano-écossais Andrew Carnegie aimait à dire : «Toute vie qui n'a pour but que d'amasser de l'argent est une piètre vie».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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