Les Québécois sont les champions pour normaliser les reculs

Publié le 19/09/2023 à 17:00

Les Québécois sont les champions pour normaliser les reculs

Publié le 19/09/2023 à 17:00

«Nos choix de société ont dévalorisé la profession d’enseignant.» (Photo: 123RF)

Un texte de Kévyn Gagné, CRIA, M. Sc., directeur des ressources humaines, Franklin Empire


COURRIER DES LECTEURS. La société québécoise est malade, mal-en-point, et amaigrie à force de couper et de se contenter de peu. La folie pour l’Ozempic et sa promesse minceur ne sont pas anodines à notre société actuelle.

On régresse depuis des décennies, mais on se plait et tente de se convaincre du contraire. À l’occasion, je crois que nous nous croyons. On craint de déplaire; on craint d’offusquer; on craint de discriminer ou d’être taxé de raciste; on craint de se faire accuser d’ostraciser, donc on javellise tout. On inclut tout le monde dans tout, et on s’assure de n’exclure personne, surtout ceux qui ne sont pas concernés. 

Il n’y a jamais autant de distinction de genres, de distinction d’orientation, de distinction religieuse, et de distinction politique dans la société civile. Pourtant, la classe politique, le système politique, les médias, et les groupes de pression font tout pour que nous soyons égaux; traités pareillement; sans distinction et sans personnalisation. Il ne faut surtout pas offusquer qui que ce soit. Il ne faut pas que l’œil soit attiré par quelque chose de différent. Seulement, nous sommes tous différents et ce ne sont pas vos efforts de nous faire porter le même chandail qui nous rendra égaux.

Depuis des décennies, les gouvernements ont failli à leur tâche et nous entrainent lentement vers une faillite intellectuelle. À moins bien sûr que cet abrutissement soit une tentative volontaire de leur part pour maintenir leur position. Toutefois, leur avarice, leur égoïsme et leur vision court terme de leur rôle et mandat ne font qu’enfoncer le clou à chaque élection et mandat. Ça, je suis convaincu qu’ils ne le voient pas et ne le comprennent qu’au moment de quitter la vie politique. Je ne dis pas que le citoyen est meilleur; nous avons aussi une responsabilité, une responsabilité partagée. Je dis toutefois que les gens qui gèrent l’État québécois ont une responsabilité et un devoir supplémentaire. Très peu de politiciens saisissent ce fardeau, et nous sommes aussi à blâmer puisque nous élisons ces personnes.

Revenons à la chute de l’État québécois. Nous ne sommes pas uniques dans le monde, mais puisque je suis un produit du système québécois, et puisque mes enfants évoluent et grandissent dans cette société, je suis à la fois extrêmement concerné par l’état actuel de notre société et déçu par le résultat de nos choix. Nous vivons et subissons actuellement les conséquences de plusieurs séries de mauvais choix qui ne datent pas d’hier. Pour beaucoup d’entre nous, hier est déjà loin.

En bon Québécois, on tente de se convaincre du contraire. Nous sommes les champions pour nous trouver des excuses, des justifications, et pour détourner le sujet afin de nous faire perdre les conséquences de vue. Je n’ai ni la prétention de savoir quand exactement cette réaction en chaine a débuté ni la prétention de savoir avec quel élément précis cette régression a débuté, mais puisque tout est dans tout et que tout s’influence, je débuterais avec les perpétuelles refontes du système d’éducation et de ces critères d’évaluation et de réussite qui se sont succédé au fil des dernières décennies.

Nous étions les cobayes, et maintenant, nous saisissons l’ampleur des dégâts. Mais saisir n’est pas régler.

 

La loi du moindre effort

Puisque notre système scolaire nous abrutit, mais plus rapidement qu’anticipé, nous avons dû presser le pas et revoir l’enseignement du français. Trop de règles compliquées, trop d’exceptions, et trop de conjugaisons difficiles nous ont lentement menés vers le facile. Vers la régression, et vers l’inclusion. Puisque de plus en plus de jeunes échouaient lamentablement les examens du ministère et puisque les enseignants ne cessaient de marteler que ce constat était vécu au quotidien, eh bien, plutôt que d’outiller les profs et les élèves; plutôt que de leur offrir des services supplémentaires, de débloquer des budgets, de revoir l’organisation du travail, de remettre les relations de travail en cause; et plutôt que de s’intéresser aux origines des problèmes pour apporter des solutions efficaces, nous avons décidé d’alléger les règles de grammaire, de majorer les notes des étudiants en situation d’échec afin de les ramener dans la moyenne du groupe; nous avons aussi travesti les résultats des professeurs pour faire passer les étudiants problématiques et nous avons réduit au minimum les règles de français pour que tout le monde réussisse et pour que personne ne se sente exclu.

Même si les difficultés ont été réduites au minimum, la qualité du français continue de faire piètre figure, et puisqu’une succession de générations ont contribué à la dégradation du français, on a cessé de se choquer de la situation lamentable dans laquelle nous «évoluons». On se défend plutôt en arguant que plus personne ne parle de la façon dont on nous l’enseigne; on se fait croire que de toute façon les règles étaient désuètes depuis trop longtemps et que nous voulions les changer; on se dit qu’avec la technologie, les générations ont accès à des outils pour s’améliorer; et on se convainc que de toute façon, plus personne n’écrit et ne parle de la façon dont nous le faisons et encore moins les générations à venir.

Nous avons déjà ce qui est bien pour les générations encore au stade embryonnaire. Nous savons déjà que le système échouera à leur apprendre le français. Donc, aussi bien faire croire immédiatement à la nécessité de sabrer les règles pour réduire toute difficulté apparente ou latente. Plus aucune nuance ne doit être faite entre un jeune qui sait écrire et un jeune éprouvant des difficultés à écrire. Ils sont tous bons de la même façon aujourd’hui, et ont bien évidemment tous les mêmes résultats à l’école.

Dans cette vision monochrome et uniforme de la vie, la loi du moindre effort est devenue la norme. De cette façon, tout le monde peut participer comme bon lui semble comparativement à une vie et une société ponctuée de différences encadrées, reconnues, et valorisées.

Puisque l’on s’est habitué à réduire, à délaisser, et à faire moins avec moins, il n’est pas surprenant de voir ces futurs enseignants ne sachant pas écrire le français, se faire offrir de réduire leur parcours scolaire universitaire comme le considère actuellement le ministre de l’Éducation.

 

Une profession dévalorisée

Nos choix de société ont dévalorisé la profession d’enseignant; nos choix politiques ont réduit au minimum les effectifs et les ressources disponibles; les décisions gouvernementales ont justifié leurs coupures et ont démocratisé les répercussions néfastes à venir. Au fil des ans, le système scolaire s’est appauvri. Au fil des ans, ces étudiants délaissés sont devenus des professions rescapées par le système qui leur a sorti la tête de l’eau. Non pas en leur montrant comment nager; non pas en leur donnant une veste de sauvetage, mais bien en réduisant le débit de l’eau devenu stagnante et en encourageant les acteurs à se marcher sur le dos pour se sortir la tête de l’eau.

Faire passer le baccalauréat des futurs enseignants de quatre à trois ans peut sembler une bonne solution pour certains. NE sachant plus quoi dire ou comment s’en sortir, autant les fonctionnaires que les syndicats d’enseignants ont salué cette sortie du ministre Bernard Drainville. Je sais que c’est une solution, mais hier, tous ces acteurs étaient muets sur cette idée, et en temps normal, si nous tentions de modifier le cursus universitaire pour le diminuer en maintenant que la qualité de l’enseignement sera identique, ces mêmes acteurs auraient hurlé au scandale. Ce type de régression n’amène rien de positif au progrès de notre société. Plus la solution semble loufoque, plus les exemples pour la justifier le sont aussi.  

Cette même solution reflète plutôt le signe d’un échec pour d’autres. Cette refonte du système d’enseignement est plutôt l’aboutissement de mauvaises décisions politiques; la conséquence d’une succession de politiciens sans vision et sans imputabilité; et l’aboutissement de constats d’échecs successifs. Le système a failli à préparer la relève des profs; a failli à rendre la profession attirante; a failli à promouvoir efficacement le domaine d’étude; a failli de la maternelle jusqu’à l’université.

Devant ces constats d’échec, le gouvernement fera ce qu’il sait faire de mieux, c’est-à-dire justifier ces reculs avec des excuses et accepter ces minorations en nous disant que tout ceci est pour le mieux.

Plutôt que de prendre un pas de recul pour prendre son élan, nous accumulons les pas de reculs et nous justifions par les mauvaises conditions.

Dans cette optique, adoptons la vision de tous les gouvernements québécois et habituons-nous à moins, et cessons d’en demander plus. Continuons de reculer et de régresser puisque c’est plus simple et de plus en plus normal pour nous tous. Amputons encore et toujours les générations futures, ça nous laisse davantage de temps pour trouver des justifications à notre inaction.

Pourquoi se prendre en main si on peut se laisser aller…

 

 

 

 

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