À quoi ressemblera la vie sur Terre dans 100 ans?

Publié le 20/05/2016 à 08:38

À quoi ressemblera la vie sur Terre dans 100 ans?

Publié le 20/05/2016 à 08:38

Le quotidien de nos arrière-petits-enfants sera franchement différent du nôtre... Photo: DR

L'économiste britannique John Maynard Keynes a déclaré dans ses Essais sur la monnaie et l'économie : «Le long terme est un horizon peu intéressant. À long terme, nous serons tous morts». Une déclaration qu'il a accompagnée d'un avertissement aux économistes prompts à faire des prédictions (et surtout à ceux qui seraient tentés de les écouter) : «Les économistes n'apportent rien si, en pleine tempête, tout ce qu'ils trouvent à dire est qu'une fois l'orage passé la mer sera calme».

Autrement dit, personne ne peut réellement prédire le futur, et ceux qui s'y prêtent tout de même ne sont que des charlatans. Point.

Un bémol, toutefois, si je peux me permettre : soyons honnêtes, c'est plus fort que nous, nous avons besoin de savoir ce qui nous attend dans un avenir plus ou moins rapproché. Oui, nous avons une soif immodérée pour les prédictions, et c'est d'ailleurs ce qui a peut-être permis à l'humanité de perdurer à travers les siècles : notre souci d'anticiper les bonheurs comme les malheurs à venir nous a sûrement sauvé la mise plus d'une fois.

Alors? Convient-il d'écouter la sagesse de Keynes, et de freiner nos ardeurs envers les prédictions les plus audacieuses? Ou bien de passer outre, comme nous le faisons depuis la nuit des temps?

Eh bien, j'ai une grande nouvelle à vous annoncer à ce sujet! Si, si... La voici : un récent "prix Nobel" d'économie a osé franchir le Rubicon, et s'est aventuré à imaginer ce à quoi pourrait bien ressembler la vie sur Terre... dans 100 ans! Oui, il a transgressé le tabou keynésien.

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Quel est donc cet intrépide? Nul autre qu'Alvin Roth, professeur d'économie à l'Université Stanford et lauréat, avec Lloyd Shapley, du "Nobel" de 2012 pour ses travaux sur le design des marchés économiques associatifs — ceux où les participants décident de s'associer entre eux, ou pas, comme les universités, l'emploi, ou encore le mariage. Il a en effet eu le culot incroyable de rédiger un texte intitulé In 100 years dans lequel il s'aventure à dévoiler ce que sera, à ses yeux, le quotidien des êtres humains au début du 22e siècle.

Qu'est-ce qui lui a pris, d'autant plus qu'il était parfaitement conscient de l'avertissement de Keynes? Un beau jour, il a eu la curiosité de prendre du recul par rapport à ses propres connaissances, et s'est demandé si un économiste du début du 20e siècle aurait raisonnablement pu prévoir ce à quoi allait ressembler la vie sur Terre au début du 21e siècle. Et, à sa grande surprise, il en est venu à la conclusion qu'un véritable expert de l'époque aurait été en mesure de viser relativement juste concernant l'évolution à long terme de son champ de compétence.

C'est donc tout naturellement qu'il en est venu à l'idée qu'un "prix Nobel" comme lui devrait être capable de faire des prédictions somme toute assez pertinentes à propos du 22e siècle. Et qu'il a agi en conséquence.

Résultat? Vous me connaissez, je vais me faire un plaisir de partager avec vous l'essentiel des prédictions d'Alvin Roth. Un plaisir d'autant plus vif que je suis convaincu qu'elles se vérifieront presque toutes, tant elles brillent d'intelligence. Rendez-vous en compte par vous-mêmes...

> Des marchés aujourd'hui répugnants ne le seront plus demain, et inversement

«Nombre de mes travaux portent sur les marchés répugnants, c'est-à-dire ceux dans lesquels certains sont disposés à investir, mais d'autres pas en raison du fait que ces marchés les dégoûtent. L'un des traits marquants de ces marchés-là, c'est qu'ils évoluent dans le temps, en ce sens que la répugnance qu'ils suscitent varie. Un exemple frappant : l'esclavage. Longtemps, l'économie des pays occidentaux a roulé dessus sans gêne, mais de nos jours, c'est devenu une pratique carrément illégale.

«Autre exemple : les taux d'intérêt. Pendant des siècles, il était considérait comme écoeurant de réclamer des intérêts sur un prêt, une approche d'ailleurs toujours en vigueur au sein des pays islamistes. Et au fil du temps, ça a évolué, à tel point que le capitalisme repose maintenant en grande partie sur cette pratique.

«Dans 100 ans, le même phénomène continuera de se produire. Nécessairement. Et cela concernera de larges pans de la vie des êtres humains du début du 22e siècle.

«C'est ainsi que notre perception du dopage est appelée à changer du tout au tout. Des produits chimiques permettant de booster la mémoire, la concentration, voire l'intelligence verront le jour, si bien que, peu à peu, le tabou par rapport au dopage se lèvera. D'ores et déjà, des indices en ce sens apparaissent ici et là : par exemple, on donne maintenant à nos enfants du lait enrichi (en vitamines, en omega-3, etc.). Il deviendra même à la mode de prendre de tels produits dopants, un peu comme il est actuellement à la mode de prendre des cafés servis par des baristas.

«Les dopants physiques et psychiques deviendront incontournables au travail, tant il y aura une surenchère à la performance individuelle. Certains devront en prendre sur une base régulière pour éviter de se retrouver hors-course, un peu à l'image de notre comportement présent envers les pilules palliant la dysfonction érectile.

«C'est bien simple, nos descendants du 22e siècle auront du mal à croire qu'il fut un temps où il arrivait à certains d'oublier le nom de leurs collègues, tout comme il leur paraîtra inimaginable qu'il fut un temps où il était physiquement impossible à M. Toutlemonde de courir deux marathons en deux jours.»

> Chacun disposera d'un assistant numérique intelligent

«L'intelligence artificielle sera partout. Absolument partout. Elle fera partie intégrante du quotidien de chacun, dans tous les aspects de sa vie, tant privée qu'au travail. À tel point qu'elle paraîtra douée d'ubiquité.

«L'intelligence artificielle gèrera de manière autonome nombre d'outils nécessaires à la vie de l'espèce humaine, comme les transports individuels et collectifs. Elle gèrera également le quotidien de chaque individu, en agissant à la fois comme un assistant, un conseiller, un ami, voire un compagnon.

«Par exemple, il suffira d'indiquer qu'il nous faut assister à un congrès pour que notre assistant intelligent s'occupe de tout : réservation du billet d'avion au meilleur prix, d'une chambre à l'hôtel le plus proche, du modèle de voiture que nous préférons, etc.. Mieux, notre assistant personnel nous indiquera que nous ferions bien d'assister au congrès en question, avant même qu'on en ait entendu parler. Et plus fort encore, il s'arrangera pour nous organiser un entretien d'une demie-heure en tête-à-tête avec le conférencier les plus intéressant à nos yeux (même si l'on n'avait jamais entendu parler de celui-ci auparavant)!»

> Des lois limiteront l'exploitation du data

«Aujourd'hui, nous faisons un usage immodéré du data, c'est-à-dire des données personnelles issues de toutes parts (transactions financières, navigations sur le Web, registres publics, etc.). Cela crée des marchés qui ne sont pas perçus maintenant comme répugnants, mais qui vont le devenir au fil du temps. Un signe annonciateur de cette tendance est le suivant : la loi restreint d'ores et déjà la divulgation de données médicales personnelles, car on estime comme un droit le fait de garder pour soi que l'on souffre de telle ou telle maladie ou déficience. Et cela est appelé à se généraliser à nombre d'autres données personnelles.

«Du coup, on en viendra à légiférer sur l'accès au data et sur son exploitation. Exemple : certaines données personnelles sensibles auront demain une telle valeur que chacun bénéficiera d'un droit de copyright dessus, qu'il lui sera libre de céder, ou pas, contre rétribution. Idem, les forces de police devront obtenir un mandat pour pouvoir accéder à certaines données personnelles, tout comme aujourd'hui il leur en faut un pour pouvoir pénétrer dans le domicile d'un particulier.»

> L'éducation sera à la demande

«Dans 100 ans, on n'apprendra plus comme aujourd'hui. L'éducation sera accessible à tous, n'importe où, en tous temps. Parce qu'elle sera essentiellement numérique, et donc décentralisée et démocratisée. Il n'y aura plus les contraintes physiques que nous connaissons aujourd'hui, comme le besoin de se réunir à plusieurs dans une même salle.

«Cela étant, les grandes universités perdureront. Elles continueront d'être des phares du savoir, pour ne pas dire des incontournables pour qui entendra figurer parmi l'élite intellectuelle et économique.»

> La pauvreté sera toujours une triste réalité

«Il y aura toujours des pauvres, mais, comme la croissance n'aura pas vraiment cessé dans les dix prochaines décennies, ceux-ci afficheront un niveau de vie proche de celui de la classe moyenne d'aujourd'hui. Car les identifiants actuels de la classe moyenne seront devenus à très bas prix : ordinateur portable, télévision, cellulaire, etc.»

> Des épidémies décimeront régulièrement l'humanité

«Les crises cardiaques et autres cancers seront certes moins mortels que de nos jours, mais il faudra s'attendre par ailleurs à des reculs que l'on peine à imaginer. Ces dernières décennies, la médecine a ainsi connu de grands succès grâce à la découverte de nombre de vaccins et d'antibiotiques, néanmoins nous assisterons à un retour de balancier foudroyant concernant les épidémies. C'est que les virus et autres bactéries seront devenues résistantes à nos vaccins et antibiotiques, si bien qu'ils dévasteront la population mondiale de manière récurrente. Sans qu'on puisse leur opposer de parade vraiment efficace, d'autant plus que les individus circuleront sur la planète encore plus facilement qu'aujourd'hui et accéléreront par la même occasion la contamination.»

> Les opérations chirurgicales seront une rareté

«La médecine sera hyper technologique. Les conséquences seront renversantes, je pense notamment à un marché sur lequel je me suis longuement penché, celui de la transplantation de reins. Je parie que la simple idée de retirer le rein de quelqu'un pour le transplanter chez quelqu'un d'autre dégoûtera nos descendants, tant ils trouveront ça barbare!

«Pourquoi? Parce que la transplantation d'organes comme le rein n'aura plus lieu d'être : peut-être parce qu'on sera en mesure d'effectuer de la thérapie cellulaire, qui fera repousser en nous-mêmes un rein neuf à la place de celui qui sera défectueux; ou peut-être encore parce qu'on saura prévenir à l'avance ce qui rend défectueux un rein. À noter que d'ici-là il se pourrait que des fermes d'organes voient le jour, des fermes où l'on élèverait des organes humains compatibles à tout le monde pour le jour où quelqu'un en aura besoin d'un neuf, un peu comme on élève des plantes et des animaux pour nous nourrir.»

> La polygamie se généralisera

«Les êtres humains disposeront de toutes nouvelles manières de procréer, ce qui n'empêchera pas que la famille sera plus que jamais au coeur du réseau de connexions de chaque individu. Celle-ci servira à chacun à se définir, par rapport aux autres et par rapport à soi-même, dans un univers aux connexions démultipliées. Elle sera notre repère fondateur.

«Toutefois, le concept de famille aura évolué au cours du siècle à venir, et pourrait prendre la tournure d'une tribu. La notion de fidélité sexuelle, entre autres, aura changé : les divorces vont devenir tellement monnaie courante durant les prochaines décennies que l'on aura peu à peu une plus grande tolérance envers la polygamie. On en arrivera même à de toutes nouvelles formes de polygamie — pourquoi pas une femme vivant avec plusieurs hommes et femmes à la fois, voire à tour de rôle?»

Voilà. Telles sont les prédictions du "prix Nobel" d'économie Alvin Roth. Qu'en pensez-vous? Vise-t-il relativement juste, avec sa vision du quotidien de nos arrière-petits-enfants? je suis curieux de vous entendre à ce sujet...

Pour finir, le résumé que le professeur de Stanford fait lui-même de son texte In 100 years :

«La croissance économique va clairement se poursuivre durant les 100 prochaines années, mais elle ne va pas nécessairement amener — comme l'avait pourtant prédit Keynes en 1930 — à une vie faite essentiellement de loisirs, écrit-il. La plupart des gens vont devoir travailler fort, plus fort que leurs ancêtres, et n'y parviendront qu'à coups de dopants chimiques, sous la supervision de leur employeur. Par ailleurs, chacun veillera à protéger le plus possible ses données personnelles du regard d'autrui, en particulier de l'État et des entreprises. Et chacun sera très vigilant quant aux risques de manipulation génétique de leurs propres cellules par autrui, une pratique qui sera possible, mais considérée comme répugnante.

«De surcroît, chacun apprendra tout au long de sa vie, dans de multiples domaines, grâce à l'accès plus aisé que jamais à l'information et à l'éducation. Ce qui n'empêchera pas une élite de continuer à exister, sélectionnée en grande partie par les diplômes des grandes universités.

«La société sera perçue par chacun comme un gigantesque réseau de connexions. Au coeur de celui-ci, l'individu lui-même et sa famille, sachant que le concept de famille aura évolué vers celui de tribu. Au-delà de ce coeur se trouvera le réseau de connexions utile pour la vie amicale et professionnelle : plus ce réseau-là sera étendu et harmonieux, plus l'individu aura une vie riche et complète.»

Fascinant, n'est-ce pas? Je vous l'avais bien dit...

En passant, le psychologue américano-autrichien Paul Watzlawick a dit dans Faites vous-mêmes votre malheur : «La prédiction d'un événement a pour résultat de faire arriver ce qu'elle a prédit».

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire sur Lesaffaires.com dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.