Gildan, une saga qui mérite l'attention de nos leaders politiques et économiques

Publié le 22/12/2023 à 08:51

Gildan, une saga qui mérite l'attention de nos leaders politiques et économiques

Publié le 22/12/2023 à 08:51

Le fondateur et ex-PDG de Gildan, Glen Chamandy (Photo: courtoisie)

ANALYSE. La saga qui oppose le conseil d’administration de Gildan et son ex-chef de la direction Glenn Chamandy (congédié le 11 décembre dernier) risque d’avoir des répercussions importantes pour ses employés, ses actionnaires et pour Montréal. 

Pour essayer de mesurer ces répercussions, jetons d’abord un regard sur les acteurs en présence.

1. Gildan, qui a été fondée en 1946 à Montréal, fabrique des vêtements de sport dans environ 30 sites aux États-Unis, au Canada, en Amérique latine et en Australie et possède de nombreuses marques commerciales. Elle compte 50 000 employés. Elle a réalisé des revenus de 3,1G$ et un bénéfice net de 464M$ à ses derniers trimestres. Plus de 85% de ses ventes sont faites aux États-Unis.

2. Glenn Chamandy, 62 ans, a fondé Gildan avec son frère Greg en 1984, après avoir acquis l’entreprise de vêtements de leur grand-père et une usine de tricot. Inscrite en Bourse en 1998, Gildan a été dirigée par les deux frères jusqu’en 2004, quand Greg l’a quittée. Glenn en assumera ensuite la direction pendant 19 ans.

3. L’actionnariat de Gildan est très étendu et compte de nombreux investisseurs institutionnels. Glenn Chamandy n’avait récemment qu’environ 2% des actions de l’entreprise. Le principal actionnaire est Jarislowsky Fraser avec 7,2% des actions. La Caisse de dépôt et le Fonds de solidarité ont retiré leurs billes il y a quelques années. Ils étaient insatisfaits, semble-t-il, de la gestion fiscale de l’entreprise. Sa capitalisation boursière est de 7,9G$, en baisse de 1,1G$ ou de 12% depuis l’annonce du congédiement de Glenn Chamandy.

4. Le CA de Gildan est entièrement indépendant de la direction. Il comprend cinq Canadiens, cinq Américains et un Indien. Celui-ci est formé de personnes expérimentées et qualifiées en gestion, en finances et en gestion de risques. Le dernier venu est Chris Shackelton, cofondateur du fonds américain Coliseum Capital, qui détient 6,65 % de Gildan et qui veut en devenir le principal actionnaire. Le siège qu’occupait Glenn Chamandy est maintenant occupé par un Américain. Le président du CA, Donald Berg, est également Américain. Le comité de rémunération et des ressources humaines est présidé par l’Américaine Shirley Cunningham. C’est aussi un Américain, Craig Leavitt, qui assumera l’intérim à la direction générale de Gildan en attendant l’arrivée de Vince Tyra, le 12 février 2024.

5. Les investisseurs institutionnels sont divisés sur le changement proposé. Jarislowsky Fraser (Montréal), Turtle Creek (Toronto), Pzena Investment Management (New York), Oakcliff Capital (New York), Browning West (Los Angeles) et Janus Henderson (Londres) demandent le retour de Glenn Chamandy à la direction de Gildan. En revanche, Coliseum appuie la décision du CA de Gildan.

 

Le CA est roi

Il est difficile de bien comprendre la saga actuelle. Selon un communiqué émis par le CA de Gildan, Glenn Chamandy a changé d’idée et a exigé de garder son poste après avoir convenu avec le conseil il y a deux ans de préparer un plan de relève en prévision de son départ éventuel. Glenn Chamandy a présenté au conseil le 31 octobre dernier un plan de croissance irréaliste, qui comprenait des acquisitions de milliards de dollars dans des entreprises trop éloignées des champs d’expertise actuels de Gildan, qui sont la fabrication de vêtements de sport, de sous-vêtements et produits chaussants et leur commercialisation.

C’est le CA qui est le seul maître du destin d’une organisation, fusse-t-elle avoir été fondée et être dirigée par son fondateur quand ce dernier ne contrôle pas la majorité des actions votantes, ce qui le cas de Glenn Chamandy.

Le CA est responsable de la vision, des grandes orientations et de la pérennité de l’entreprise. Il joue aussi le rôle de fiduciaire pour les actionnaires, ce qui inclut la gestion des risques. Il est le protecteur des intérêts des parties prenantes, à savoir les actionnaires, les employés, les clients, l’État et la communauté.

Le chef de la direction relève du CA et il doit travailler en tandem avec le président de celui-ci pour l’exécution du plan stratégique et du plan d’affaire de l’entreprise. Les administrateurs ont horreur des mauvaises surprises et ils ne tolèrent pas les manques de transparence et de loyauté, ni les actions qui ne cadrent pas avec ces plans ou encore qui ne respectent pas les décisions dudit conseil.

Il se peut que Glenn Chamandy —qui a cofondé Gildan et qui en a dirigé la destinée avec succès pendant deux décennies— ait pris certaines libertés face aux désidératas du CA ou gère l’entreprise d’une façon incompatible avec certains préceptes du CA.

 

Des répercussions importantes

Le changement de directeur général pourrait avoir d’importantes conséquences sur Gildan et ses parties prenantes:

— Une perte de confiance des investisseurs, comme en témoigne déjà la chute de 10 % de la valeur de l’entreprise en Bourse. Les investisseurs n’aiment pas l’incertitude. Des analystes financiers vont réviser leur opinion.

— Une perte de confiance de certains cadres supérieurs expérimentés, qui pourraient rester solidaires de Glenn Chamandy et quitter l’entreprise.

— Une perte de réputation de l’entreprise, qui pourrait avoir à expliquer davantage certaines facettes de la gestion de l’organisation pour justifier leur décision. Il se pourrait que les administrateurs avaient à l’endroit de Glenn Chamandy d’autres griefs que les différends exposés jusqu’à maintenant.

— Une remise en cause ou un retard à exécuter le plan stratégique et le plan d’affaires de l’entreprise, ce qui pourrait nuire à sa croissance.

— Une difficulté d’intégration du futur chef de la direction, Vince Tyra, un Américain qui a été président, détail et vêtements sport, de Fruit of the Loom de 1997 à 2000 et qui a ensuite œuvré dans plusieurs organisations. En 1999, Fruit of the Loom s’est protégée de ses créanciers après avoir subi une perte nette de 564M$US et elle a été rachetée en 2002 par Berkshire Hathaway. Il faut s’attendre à un choc de cultures entre les gestionnaires en place et leur nouveau capitaine, qui a probablement été embauché principalement pour ses expériences en redressement.

— Avec un CA comprenant maintenant cinq Américains, un Indien et cinq Canadiens, dont seulement trois du Québec, et l’arrivée d’un chef de la direction américain qui n’habitera probablement pas Montréal, il y a un risque d’une importante perte d’influence du siège social actuel de Gildan. Alors que Gildan a été fondée à Montréal et qu’elle est gérée de Montréal, tout se met en place pour en faire une entreprise américaine.

— La forte opposition de plusieurs investisseurs institutionnels au changement de garde chez Gildan pourrait conduire à une bataille de procurations pour l’obtention de sièges au CA de Gildan.

— Enfin, la saga actuelle est porteuse d’une transformation qui pourrait avoir d’importantes conséquences pour Montréal, les employés et les investisseurs de cette grande entreprise québécoise. Nos leaders politiques et économiques devraient activer leur radar sur son évolution.

 

À (re)lire: Gérer, selon Glenn Chamandy

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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