Le plan de Transat peut-il réussir ?


Édition du 05 Mai 2018

Le plan de Transat peut-il réussir ?


Édition du 05 Mai 2018

Légende : [Photo: Transat / Facebook]

Ainsi, Transat s'apprête à lancer sa propre chaîne hôtelière. Dans le haut de gamme, avec des établissements de 4 et 5 étoiles localisés dans des destinations soleil. L'initiative peut-elle créer de la valeur ?

C'est avec beaucoup d'intérêt que l'on s'est penché sur le nouveau plan stratégique quinquennal du voyagiste. Qui embrasse encore plus largement que la création d'une branche hôtelière.

Plaçons d'abord le cadre.

Depuis des années, Transat perd de l'argent l'hiver avec ses destinations soleil et se renfloue l'été sur les routes transatlantiques (Europe).

Or, des transporteurs comme Air Canada (Rouge) augmentent leur capacité sur les routes transatlantiques et d'autres planifient y faire une entrée. WestJet a notamment en mire 2019.

Comment faire pour créer de la valeur dans un tel contexte ?

Le plan de la société repose essentiellement sur deux volets.

Le volet voyagiste

Transat veut d'abord augmenter la rentabilité de ses activités de voyagiste. Elle souhaite retrancher à ses coûts et développer de nouvelles initiatives qui devraient permettre d'augmenter les revenus.

Les coûts devraient notamment baisser grâce au renouvellement de sa flotte d'appareils. Elle entend remplacer ses neuf A310 plus coûteux en exploitation par dix A321neo en 2019-2020. Les nouveaux appareils sont 36 % moins gourmands en carburant et devraient nécessiter moins de coûts d'entretien. En 2022, la société aura aussi remplacé ses B737 saisonniers par des A320-321neo. Une flotte unique devrait normalement faire épargner en formation.

Côté revenus, grâce à l'arrivée de plus petits appareils et en réduisant le nombre de routes moins performantes, Transat souhaite ajouter de la fréquence afin de mieux répondre à la demande. En parallèle, elle veut tisser des liens avec d'autres transporteurs pour remplir davantage ses appareils, vendre des services supplémentaires, accentuer son offre et sa portée numérique, etc.

Sur 2022, l'objectif du volet est de récupérer et d'ajouter l'équivalent de 150 millions de dollars. Le tout est à mettre en perspective avec le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) actuel de 80 M$.

Le volet hôtelier

L'autre volet du plan repose sur le lancement d'une chaîne hôtelière en propre dans le sud.

L'entreprise semble croire qu'elle ne réussira jamais à réellement faire d'argent sur les destinations soleil avec son service de transport et d'intermédiaire de vacances. Sauf si elle peut remplir des hôtels qui lui appartiennent.

D'ici sept ans, elle veut acheter, construire ou gérer l'équivalent de 5 000 chambres (3 000 en propriété propre, 2 000 à titre de gestionnaire) de catégorie 4 à 5 étoiles, au Mexique, en République dominicaine, en Jamaïque et à Cuba.

Le projet est évalué à 750 M$ US et doit être financé à 50 % par emprunt. Pour ses injections de capital, Transat compte utiliser son encaisse excédentaire (la réglementation l'oblige à conserver 150 M$, mais elle a à sa disposition 465 M$ CAN excédentaire). Cette encaisse provient principalement de désinvestissements opérés dans le passé, notamment par la vente de sa participation de 35 % dans la chaîne Ocean Hotels.

Quelles retombées attend-t-on du plan ?

Des retombées assez importantes merci. Sur la base de ses résultats 2017, la direction estime que son titre devrait normalement valoir autour de 15 $ actuellement. Une valeur de loin supérieure à son cours actuel de 8,55 $.

Elle appuie son évaluation sur l'encaisse de 465 M$, qui équivaut à 12,50 $ par action. Et sur la valeur économique de ses activités de voyagiste qui, à 1 fois le BAIIA 2017, valent au minimum 2 $ (et pourraient même en valoir 4 $, en doublant le multiple).

Sur l'horizon 2022, la direction croit que son titre pourrait valoir au moins 23 $ (plus de 2,5 fois le cours actuel). Grâce au premier volet de son plan (l'augmentation de rentabilité du voyagiste), elle croit que leBAIIA sera alors passé de 80 M$ à 140 M$, ce qui accordera aux activités transport de passagers une valeur de 5 $ par action.

Elle aura à ce moment un certain nombre d'hôtels sous sa responsabilité qui généreront un BAIIA de 62,5 M$ CAN (l'objectif est de le grimper à 100 M$ US à terme), ce qui, aux multiples actuels du marché, conférerait au parc une valeur de 12 $. Il restera de l'encaisse excédentaire équivalente à 5,50 $ par action.

Dans un scénario plus optimiste, côté multiples, la direction croit même que la valeur de la société pourrait atteindre 30 $. C'est tout un rendement potentiel.

Pourquoi le titre n'est-t-il qu'à 8,30 $ alors ?

À l'évidence, le marché doute du plan de Transat.

C'est une chose de dire que l'on va exploiter une chaîne hôtelière et générer un BAIIA de 62,5 M$ en 2022. Encore faut-il voir si la chaîne que l'on construira le produira.

Nous sommes actuellement dans ce qui apparaît un haut de cycle économique, et les prix des propriétés (par acquisition ou par construction) sont élevés. Dans un cycle plus faible, il est possible que les chambres soient plus difficiles à remplir, et que les multiples fondent. Bref, il est envisageable que l'hôtel vaille moins que le prix que l'on a payé (un immeuble financé à 50 % par dette qui perd 25 % de sa valeur en début de paiement voit la valeur de l'équité fondre de 50 %).

Pendant ce temps, il n'est pas sûr que les mesures d'amélioration de la rentabilité chez les activités voyage fassent passer le BAIIA de 80 à 140 M$ en 2022. Le dernier plan triennal d'amélioration de la rentabilité de Transat (2015-2017) prévoyait des améliorations de 105 M$. Ces améliorations ont été obtenues, mais, malgré un cycle porteur, une concurrence accrue a fait en sorte que le BAIIA n'a pas bougé sur la période.

On le voit, on peut décider de voir les perspectives avec optimisme ou pessimisme.

Le pessimisme est-il trop fort ?

Quelque chose nous dit que le marché voit trop négativement la situation. Le titre se négocie actuellement à la moitié de sa valeur estimée par la direction. Il semble y avoir de l'espace pour pas mal de développement négatif.

Les économies et améliorations de rentabilités de 150 M$ sur les activités voyage, si elles ne permettent pas au BAIIA actuel de grimper à 140 M $, semblent tout de même lui offrir une bonne protection. C'est un 2 $ de valeur par action sur lequel on peut probablement compter.

Le marché n'accorde pendant ce temps qu'une valeur d'un peu plus de 6 $ à une encaisse qui en vaut 12,50 $. C'est un scénario de destruction d'encaisse qui semble trop catastrophique.

Bref, le potentiel est incertain, mais le risque baissier semble faible. Évidemment, comme pour tout ce qui touche l'industrie touristique, un éventuel investissement dans Transat demeure spéculatif.

françois.pouliot@tc.tc

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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