Minéraux critiques: la contrattaque chinoise compliquera la stratégie du Québec

Publié le 18/11/2023 à 07:00

Minéraux critiques: la contrattaque chinoise compliquera la stratégie du Québec

Publié le 18/11/2023 à 07:00

Dans un article récent du magazine américaine Foreign Policy, on apprend que le gouvernement chinois a décidé de réagir aux nombreux efforts de l’Occident pour réduire sa dépendance à l’égard de la Chine, et ce, afin de diminuer les risques liés aux chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. La stratégie du Québec pour devenir un leader mondial dans l’approvisionnement de plusieurs industries en minéraux critiques ne sera pas un long fleuve tranquille. Puissance dominante du secteur, la Chine contrattaque en adoptant des mesures pour contrer ses compétiteurs et garder, voire augmenter, ses parts de marchés.

Cette stratégie pourrait donc affecter à terme l'économie du Québec. Par exemple, une concurrence accrue de la Chine pourrait avoir une incidence à la baisse sur les prix des ressources, minant ainsi la rentabilité de projets miniers ou de mines actives dans la province. 

En revanche, si la Chine diminue de manière substantielle l’offre mondiale de certains minéraux critiques (elle le fait déjà à petite échelle), le Québec pourrait tirer son épingle du jeu parce qu’il en produit — comme le suggérait ce vendredi le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM).

Toutefois, les industries à haute intensité technologique qui consomment ces minéraux au Québec pourraient en pâtir. Notre industrie minière ne peut tout simplement pas répondre à toute la demande locale, à commencer par les minéraux transformés (2e et 3e transformation), qui sont surtout importés de l'Asie et de la Chine.

C’est en octobre 2020, en pleine pandémie de COVID-19, que le gouvernement de François Legault a lancé en grande pompe le Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques (2020-2025).

Un des nombreux objectifs de ce plan est «promouvoir le Québec à l’international comme partenaire responsable pour l’approvisionnement en minéraux critiques et stratégiques».

Jouer cette carte est logique et souhaitable, car le sol québécois regorge de ces minéraux —le gouvernement a recensé 22 de ces intrants— qui sont essentiels dans plusieurs secteurs aux quatre coins de la planète.

Des entreprises manufacturières utilisent par exemple du cobalt, du lithium, du nickel et du graphite pour fabriquer des batteries pour les ordinateurs portables et les téléphones intelligents, les voitures électriques et le stockage d’énergie.

Des industriels se servent aussi des éléments du groupe du platine —et le Québec en a— pour fabriquer les disques durs d’ordinateurs, de même que des terres rares pour manufacturer des aimants permanents présents dans les moteurs électriques.

 

L’Occident veut réduire sa dépendance à la Chine

Dans un article récent du magazine américain Foreign Policy (Beijing Tightens Its Grip on the Critical Minerals Sector), on apprend que le gouvernement chinois a décidé de réagir aux nombreux efforts de l’Occident pour réduire sa dépendance à l’égard de la Chine afin de diminuer les risques liés aux chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques.

Par exemple, pour se sevrer de la Chine, les États-Unis misent sur l’Inflation Reduction Act, une législation entrée en vigueur en août 2022.

Selon une analyse de S&P Global Market Intelligence, cette loi cherche à promouvoir le développement minier en imposant des exigences de pourcentage pour la teneur en minéraux critiques provenant soit des États-Unis, soit de pays avec lesquels ils ont un accord de libre-échange —comme avec le Canada, mais pas la Chine.

L’Union européenne (UE) n’est pas non plus en reste.

Le 14 septembre, le Parlement européen a approuvé des projets visant à garantir à l’UE son propre approvisionnement en matières premières critiques, alors que Bruxelles cherche à réduire sa dépendance à l’égard de la Chine pour ces minéraux clés nécessaires aux technologies vertes et numériques.

 

Comment la Chine riposte aux Occidentaux

La riposte de la Chine est à la fois nationale et mondiale.

Par exemple, le 7 novembre, Beijing a encore resserré la vis à ses concurrents en annonçant des restrictions sur ses exportations de terres rares.

Ces dernières regroupent 17 minerais stratégiques qui entrent dans la fabrication des téléphones intelligents, des éoliennes ou des voitures électriques. Le Québec n’en produit pas, mais il y a trois projets actuellement.

Ainsi, les producteurs chinois de ces minéraux critiques —la Chine compte pour 70% de la production mondiale de terres rares— sont obligés de divulguer les types de ressources et leurs destinations finales pour les deux prochaines années, selon le quotidien financier japonais Nikkei.

En 2010, sur fond de tensions géopolitiques territoriales entre Beijing et Tokyo, la Chine avait complètement suspendu ses exportations de terres rares vers le Japon, ce qui avait affecté les secteurs de l’électronique et de l’automobile dans l’archipel nippon.

Revenons en 2023.

En août et en septembre, la Chine a aussi imposé à ses entreprises des restrictions pour exporter des produits à base de gallium et de germanium destinés à la fabrication de puces électroniques, rapportait à la mi-octobre l’agence de presse Reuters.

Selon l’association industrielle européenne Critical Raw Materials Alliance (CRMA), la Chine produit environ 60% du germanium dans le monde, le reste provenant du Canada, de la Finlande, de la Russie et des États-Unis.

À l’étranger, la Chine s’active aussi pour contrôler la production de minerais critiques.

Par exemple, les entreprises chinoises ont conclu plusieurs nouveaux partenariats en Amérique latine et en Afrique pour des minéraux comme le lithium – le Québec produit cet intrant stratégique.

 

Une machine d'extraction de lithium déplace un sous-produit de sel à la mine du désert d'Atacama à Salar de Atacama, au Chili. (Photo: Getty Images)

Au premier semestre de 2023, les investissements chinois dans les métaux et le secteur minier ont atteint 10 milliards de dollars américains (13,7G$CA), rapporte le magazine spécialisé Mining Technology.

Actuellement, le Chine possède plus de 50% de la capacité mondiale de traitement du lithium, du nickel, du graphite et du cobalt —le Québec les produit tous, sauf le cobalt.

 

Beijing zyeute les terres rares au Canada

La Chine s’intéresse aussi aux terres rares au Canada.

En octobre, le producteur de terres rares Shenghe Resources a accru sa participation minoritaire dans le capital de la minière australienne Vital Metals, permettant à celle-ci de continuer à développer son projet Nechalacho, dans les Territoires du Nord-Ouest.

À bien y penser, la réaction de la Chine aux initiatives des Occidentaux ces dernières années pour réduire leur dépendance à son égard n’est pas surprenante.

Après tout, aucun État n’apprécie de devoir céder du terrain dans un marché où il est le joueur dominant.

Toutefois, en même temps, la contrattaque de la Chine pour préserver ce contrôle, voire l’accroître, ne fera que convaincre les gouvernements en Amérique du Nord, en Europe et en Asie-Pacifique (pensons au Japon, à la Corée du Sud ou à l’Australie, par exemple) de la nécessité de réduire cette dépendance.

En revanche, ce processus pourrait être plus compliqué que prévu.

Beaucoup plus compliqué.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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