«Nous avons besoin de mètres cubes, pas de kilomètres carrés!»

Publié le 29/09/2023 à 14:51

«Nous avons besoin de mètres cubes, pas de kilomètres carrés!»

Publié le 29/09/2023 à 14:51

La gestion active accroît la productivité de la forêt par hectare, ce qui permet de faire plus avec moins. (Photo: 123RF)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. En finance, si vous utilisez une gestion active rigoureuse, la probabilité que votre portefeuille affiche un meilleur rendement est plus élevée que si vous misez sur une gestion passive (ou indicielle). Eh bien, c’est à peu près la même chose avec la gestion de la forêt: son rendement est plus élevé si on la gère de manière active, en la cultivant et en l’entretenant.

C’est le message que le Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ) veut porter sur la place publique, alors que les besoins en bois sont grandissants pour construire des unités d’habitation en Amérique du Nord (notamment pour décarboner la société), tout en protégeant davantage la biodiversité avec des aires protégées.

«Au Québec, les scieurs ont besoin de mètres cubes de bois, pas de kilomètres carrés de forêts!», lance en entrevue à Les Affaires Jean-François Samray, PDG du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ), la principale organisation qui représente les entreprises de sciage résineux et feuillus, de déroulage, de pâtes et papiers, de cartons et de panneaux, ainsi que les fabricants de bois d'ingénierie.

La gestion active accroît la productivité de la forêt par hectare, ce qui permet de produire plus de bois avec la même superficie de territoire, souligne-t-il.

Par conséquent, cela réduit la nécessité d’ouvrir de nouvelles aires d’exploitation commerciales de la forêt, facilitant ainsi la protection de la biodiversité ou de territoires dans des forêts dites patrimoniales – pour les peuples autochtones, par exemple.

La sortie du PDG du CIFQ survient alors que le Québec sort de l’une des pires saisons des incendies de forêt dans son histoire récente, qui ont brûlé des pans du territoire québécois.

Le 29 septembre, six incendies étaient encore en activité au Québec, pour un total de 549 feux à ce jour en 2023 (la moyenne est de 410 par année sur 10 ans), selon la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU).

Pas moins de 1 459 954,7 hectares ont été affectés par ces incendies, alors que la moyenne annuelle sur 10 ans s’élève à 15 802,4 hectares.

 

La forêt publique laissée à elle-même

Au Québec, la forêt publique – la majorité de la forêt commerciale non protégée – est largement gérée par une approche passive, même si on effectue des traitements sylvicoles (coupe progressive régulière, préparation de terrain, plantation, élagage, etc.), selon Jean-François Samray.

Grosso modo, cela signifie qu’on laisse la nature suivre son cours, sans intervention massive de l’humain, afin que la forêt grandisse et prenne de l’expansion.

En revanche, la forêt privée au Québec, située dans le sud de la province, est gérée systématiquement avec une gestion active, car le propriétaire veut maximiser le rendement de son capital naturel, en plus de préserver ce dernier à long terme.

Et cette approche donne des résultats concrets, selon le CIFQ.

Actuellement, avec une approche de gestion avant tout passive, la forêt publique affiche un rendement de 1 mètre cube de bois par hectare par année (m3/ha/an), et ce, pour toutes les essences confondues – on peut insérer 2,47 terrains de football dans un hectare.

Or, le rendement de la forêt privée au Québec – gérée de manière active – affiche un rendement de 2,25 m3/ha/an, soit plus du double, d’après les données du CIFQ.

«Dans le cas de la forêt privée au Nouveau-Brunswick, le rendement est presque cinq fois supérieur à celui du rendement de la forêt publique au Québec», fait remarquer Jean-François Samray.

Le rendement de la forêt est encore plus élevé dans les pays du nord de l’Europe, car l’industrie forestière y pratique aussi depuis longtemps une gestion active.

 

Des rendements de 2 à 11 m3/ha/an en Suède

Par exemple, en Suède, le rendement oscille de 2 à 11 m3/ha/an (forêts publiques et privées confondues) en fonction de l’endroit où les entreprises récoltent les arbres, selon une analyse du Swedish Wood, l’organisation qui représente l’industrie suédoise.

C’est dans le Skåne, une région située dans le sud pays, près du Danemark, que le rendement peut atteindre 11 m3/ha/an. En revanche, dans le Norrland, une région située à l’extrême nord de la Suède, le rendement n’est que de 2 m3/ha/an.

La Finlande affiche aussi des rendements beaucoup plus élevés qu’au Québec, souligne un reportage du magazine québécois spécialisé Opérations forestières et de scierie (OF), publié en novembre 2018.

Ainsi, à l’époque, la forêt commerciale finlandaise (de propriété privée et publique confondue) affichait un rendement de 6 m3/ha/an comparativement 1,51 m3/ha/an au Québec (forêts privée et publique confondues).

Le débat que soulève le CIFQ est fort intéressant.

Certes, le Québec a un territoire immense, où les forêts commerciales semblent, à tort, sans fin.

Les feux de forêt de cet été ont toutefois démontré à quel point cette ressource peut être vulnérable. Il faut donc en prendre davantage soin, et cela inclut son exploitation commerciale.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes: il n’y aucune raison rationnelle pour que le rendement de la forêt publique québécoise – et du reste de la forêt privée – soit si faible par rapport à des pays comme la Suède et la Finlande.

Nous pouvons mieux gérer nos forêts, et c’est une stratégie gagnante sur toute la ligne, pour toutes les parties prenantes.

On pourra produire plus de bois avec le même nombre d'hectares.

On pourra mieux protéger la biodiversité dans les forêts.

Les Autochtones qui le souhaitent pourront plus facilement jouir de leur mode de vie traditionnel.

Enfin, on préserva mieux des puits de carbone qui sont inestimables dans notre lutte aux changements climatiques.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Dans la mire, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Canada, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle ainsi que la gestion de l’énergie et des ressources naturelles. Journaliste à «Les Affaires» depuis 2000 (il était au «Devoir» auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières, et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke.

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