La ville intelligente, ça commence par une mairie intelligente

Publié le 16/08/2016 à 12:12

La ville intelligente, ça commence par une mairie intelligente

Publié le 16/08/2016 à 12:12

(Photo: 123rf.com)

Parfois, ça ne prend pas grand chose pour passer de cancre des villes intelligentes à ville phare du numérique et des données ouvertes. Prenez Montréal, par exemple.

Ceci est une anecdote. Elle apparaît au fil d'une conversation entre un gestionnaire de fonds d'amorçage d'expérience, et un journaliste qui a tâté des technologies émergentes depuis assez longtemps pour faire le lien entre deux secteurs qui, au premier coup d'œil, ont peu à voir entre eux.

Ça se passe au bureau de Jacques Bernier, associé principal de Teralys Capital, le «fonds de fonds» québécois qui gère quelque 1,6 milliard de dollars de capital-risque, somme qui est en réalité répartie parmi d'autres fonds d'amorçage axés sur les nouvelles technologies et les sciences de la vie.

Teralys est le plus gros investisseur en son genre au Canada. Sa première ronde d'investissement date de 2009. À l'époque, la firme avait sous la main 800 millions $, somme qui est passée à 1,3 milliard $ une fois que le Caisse de dépôt et placement du Québec et le Fonds de solidarité de la FTQ lui ont cédé leurs propres capitaux d'investissement dans les technologies. Une autre ronde de 375 millions $ est venue s'ajouter à son portefeuille à l'été 2015.

1,6 milliard, c'est une somme importante pour un fonds québécois, même si c'est modeste si on la compare à celles des fameux «VC» de la Silicon Valley. Et en donnant un solide coup de pouce à Shopify (NY., SHOP), le site ontarien offrant des outils aux marchands désirant vendre en ligne sans avoir à supporter leur propre site transactionnel, Teralys s'est assurée d'un rendement positif hâtif, au printemps 2015, quand Shopify s'est inscrite à la Bourse de New York à 28 $ l'action, une somme 60% plus élevée que les 17$ espérés.

Ce matin, Shopify a une valeur boursière légèrement supérieure à 3 milliards de dollars.

Ville intelligente ou «ville de marketing»?

En juin, le maire de Montréal, Denis Coderre, a annoncé la création du fonds Capital intelligent Mtl. Une enveloppe de 100 millions de dollars destinée au développement de technologies «intelligentes», comme dans «ville intelligente» (le fameux concept de Smart City popularisé par Cisco et IBM il y a presque 10 ans).

C'est un domaine vaste: ça va des rénovations domiciliaires aux ponts illuminés, et à tout ce qu'on peut imaginer qui cadre entre ces deux extrêmes de «technologie urbaine».

Contrairement à ce que son nom indique, Capital intelligent Mtl ne cible pas exclusivement Montréal. «Une entreprise d'Oslo pourrait en profiter», explique Christian Perron, qui dirige l'organisme. «Nous avons une somme de 100 millions prête à être investie, et Montréal, c'est un partenaire, un client potentiel déjà associé au projet, mais non exclusif. C'est une opportunité pour les entrepreneurs, pas un frein.»

La politique municipale, par grands bouts, ça ressemble pas mal plus à du marketing qu'autre chose. Montréal, nommée ville intelligente? Ça fait jaser. Mais on attend toujours une manifestation quotidienne concrète de ce que ça signifie pour le Montréalais moyen.

Un exemple est cité: Montréal promet depuis 2004 des feux de circulation synchronisés qui élimineraient l'heure de pointe, priorisant la circulation qui fait entrer les autos sur l'île le matin, et qui les fait sortir rapidement en fin d'après-midi. On les attend toujours.

Projet «Better Place»

En 2005, au Forum économique de Davos, une question a été posée: «Comment faire du monde un meilleur endroit en 2020?». Shai Agassi, un dirigeant de SAP, en Californie, a entendu la question en anglais, et a répondu en allant chercher 800 millions $ et en fondant Better Place, une société officiellement établie à Palo Alto (Californie), mais qui opérait surtout à partir d'Israël.

Le projet était ambitieux: vendre des voitures électriques «par abonnement», ce qui permettait d'amortir leur prix de détail élevé. Comme un téléphone cellulaire, dont le prix était amorti par des mensualités incluant des minutes et des mégaoctets de temps d'antenne, les voitures Better Place se vendraient 5000 $ et le reste serait amorti par des mensualités incluant un nombre de kilomètres «gratuits» à parcourir au volant de la voiture.

Surtout, Better Place voulait standardiser les batteries de tous les véhicules électriques, et proposait de créer un réseau de stations où il serait possible, rapidement et efficacement, de changer la batterie de son véhicule, l'affaire de quelques minutes, pour en prolonger l'autonomie.

C'était bien avant Tesla (Nasdaq, TSLA). Better Place, à l'époque, faisait jaser tant dans la Silicon Valley que dans l'industrie automobile. L'Australie, le Danemark, Israël, et même l'Ontario ont joint le programme.

D'une mairie à l'autre

En 2006, Better Place a approché la ville de Montréal pour y implanter son projet. On ne le réalise pas tout à fait, mais le Québec est un des leaders de la voiture électrique. C'est le plus important marché au Canada, et plusieurs entreprises y jouent un rôle-clé: AddÉnergie, Bathium, TM4, et d'autres encore.

Jacques Bernier raconte: «le maire de Montréal, à l'époque, nous a demandés 'qu'est-ce qu'il y a dans ce projet [Better Place] pour moi?', et on a fermé le dossier. Disons qu'aujourd'hui, la mairie est beaucoup plus ouverte…»

Peut-être que cette ouverture n'aurait rien changé. Better Place a fait faillite en 2013, faute de pouvoir déployer son modèle au-dela des 1000 premiers prototypes (800 millions $ pour 1000 voitures, ça revient cher l'unité…).

Mais ça n'aurait pas coûté grand chose à Montréal pour se targuer de partager cette vision du transport urbain de prochaine génération avec la Californie, Israël (dont le secteur technologique florissait à l'époque), et le Danemark (où la voiture la plus vendue au pays au début 2016 était… une Tesla). D'offrir des occasions d'affaires à des jeunes pousses prometteuses d'ici dans un secteur de pointe.

Peut-être même de permettre la naissance d'un «Shopify» montréalais du transport électrique, ou à tout le moins, du transport intelligent (en supposant que le projet de feux synchronisés aurait également vu le jour…)?

Bref, Montréal aurait pu être une ville «intelligente», dix ans plus tôt.

C'est tout bête, mais en fin de compte, une ville intelligente, ça commence par une mairie intelligente. Si seulement ça pouvait se traduire par des heures de pointe moins congestionnées…

À propos de ce blogue

Autrefois, on appelait ça de l'électronique mais de nos jours, les nouvelles technologies vont bien au-delà des transistors et des circuits imprimés. Des transactions bancaires à l'écoute en rafale d'émissions de télé les plus populaires, la technologie est omniprésente. Et elle comporte son lot de questionnements. Journaliste spécialiste des technologies depuis bien avant l'avénement du premier téléphone intelligent, Alain McKenna a observé cette évolution sous tous ses angles et livre ici ses impressions sur le sujet.

Alain McKenna
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