Le Québec n'est pas à l'abri d'une marée noire

Publié le 15/05/2010 à 00:00

Le Québec n'est pas à l'abri d'une marée noire

Publié le 15/05/2010 à 00:00

Les regards sont rivés sur le Golfe du Mexique. Le pétrole commence à atteindre les côtes de la Louisiane. À 80 kilomètres au large, le puits de BP perd près de 4 700 barils de pétrole par jour. Une catastrophe écologique sans précédent aux États-Unis.

Le Québec n'est pas à l'abri d'un désastre pétrolier. La province ne compte aucune plateforme de forage, mais un superpétrolier accoste juste en amont de l'Île-d'Orléans, à Saint-Romuald, cinq à sept fois par mois. Dans les cales de ces bateaux, au moins un million de barils d'or noir de la Mer du Nord ou du Vénézuela viennent alimenter la raffinerie d'Ultramar, à Saint-Romuald, en face de Québec. Autant de brut qui pourrait se retrouver dans les herbiers du Bas-Saint-Laurent en cas d'accident.

En 1989, l'Exxon Valdez a perdu 280 000 barils de pétrole, au large de l'Alaska, causant des milliards de dollars de dommages. Les cales des bateaux qui viennent livrer le pétrole brut d'Ultramar en contiennent sept fois plus.

" Le pire scénario, c'est le naufrage d'un de ces navires devant Saint-Romuald à marée basse ", dit Émilien Pelletier, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicologie marine de l'Université du Québec à Rimouski. Si une quantité de pétrole importante fuit dans ces circonstances, la nappe sera poussée par le courant du fleuve à une vitesse de sept noeuds, soit 13 km/h. " Aucune estacade flottante ne pourrait l'arrêter, dit M. Pelletier. La nappe descendrait très rapidement le fleuve et atteindrait les îles de Montmagny en quelques heures. "

À cause de ce courant, la nappe serait encore plus difficile à nettoyer qu'en mer, selon lui. Dans sa progression vers l'est, elle souillerait les côtes de Lévis et Québec et engluerait la grève de l'Île-d'Orléans, de la Grosse-Île et de l'Isle-aux-Grues. Les dégâts écologiques seraient considérables, surtout au printemps, période de nidification des nombreux oiseaux marins qui fréquentent cet archipel.

" Ensuite, elle s'étendrait du côté sud, au moins jusqu'à Rivière-du-Loup, dit M. Pelletier. À partir de Rimouski, la progression serait beaucoup plus lente. "

La nappe aurait aussi des conséquences économiques majeures. Elle risquerait, par exemple, de détruire les larves de crabes qui flottent à la surface en cette saison.

Réduire les risques

Ce scénario est possible, mais " très apocalyptique ", dit Michel Martin, directeur des affaires publiques et gouvernementales d'Ultramar. " Pour que la nappe se rende jusqu'à Rivière-du-Loup, cela prendrait les pires conditions ", dit Michel Martin.

En compagnie de la Garde côtière et des autorités compétentes, Ultramar et son armateur Euronav procèdent régulièrement à des exercices d'urgence. Le dernier a eu lieu en mai 2009.

" Il y aurait des dégâts en cas de déversement pétrolier important, mais tous les plans sont en place pour intervenir très rapidement et les limiter ", dit Natalie Letendre, porte-parole de Pêches et Océans Canada, le ministère responsable de la Garde côtière.

Si un déversement survenait en hiver, par contre, le nettoyage serait encore plus ardu. Les estacades flottantes seraient difficilement déployables au milieu des glaces.

" Dans ces circonstances, les méthodes traditionnelles d'intervention sont moins efficaces ", convient Mme Letendre. Les autorités devraient pourtant agir vite, avant que le pétrole ne s'infiltre sous la couche solide et qu'il ne devienne irrécupérable.

Pour y parvenir, la Garde côtière a fait l'essai en 2008 d'une technique qui consiste à saupoudrer de l'argile sur la nappe. Le pétrole s'agglutine aux grains et les agrégats formés se dispersent au gré des vagues.

Quoi qu'il en soit, Ultramar est consciente des risques et dit tout mettre en oeuvre pour éviter de causer une marée noire, insiste M. Martin. " Mais je ne peux pas vous garantir qu'on récupérerait tout, dans toutes les situations. "

UN FLEUVE CAPRICIEUX

À la pétrolière Ultramar comme à la Garde côtière, tout le monde convient que le fleuve est une des voies navigables les plus difficiles en raison des glaces, des hauts-fonds et des courants. C'est pourquoi le gouvernement exige que des pilotes spécialisés prennent la barre de tous les navires de plus de 100 pieds de long à partir des Escoumins, sur la Côte-Nord.

Émilien Pelletier, de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicologie marine de l'Université du Québec à Rimouski, signale que certaines entreprises remettent cette règle en question.

Pas Ultramar, ni son armateur, Euronav, assure Michel Martin, directeur, affaires publiques et gouvernementales de la pétrolière. " Même si le recours aux pilotes n'était plus requis par la loi, nous l'exigerions ", dit-il. Pour les livraisons de la raffinerie de Saint-Romuald, M. Martin ajoute qu'Euronav utilise toujours les deux mêmes navires, construits pendant les années 2000.

2 000 barils déversés

En mai 1988, un accident " mineur " a néanmoins donné un avant-goût de ce qui pourrait se produire au quai d'Ultramar. Après une erreur de navigation, un navire a déchiré sa coque sur le quai, et a perdu 300 tonnes de brut, soit plus de 2 000 barils. La majeure partie de ce pétrole a cependant été récupéré. À l'époque, l'armateur n'avait pas recours aux pilotes et les navires étaient équipés d'une coque simple. Aujourd'hui, les doubles coques minimisent les risques de déversement.

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Responsabilité financière maximale, en millions de dollars, qu'un armateur peut avoir à payer en cas de déversement de pétrole brut, pour les plus grands navires, en vertu des accords internationaux. Le reste des coûts serait défrayé par divers fonds internationaux et canadiens capitalisés à cet effet. Le déversement de l'Exxon Valdez, en 1989, a coûté 3,5 milliards de dollars américains en frais de nettoyage seulement.

hugo.joncas@transcontinental.ca

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