Défense d'aller chez le concurrent

Publié le 01/10/2009 à 00:00

Défense d'aller chez le concurrent

Publié le 01/10/2009 à 00:00

Les contrats d'embauche contiennent de plus en plus de clauses de non-courrence. Certaines vont trop loin.

Quitter la direction d'Ubisoft Divertissements, à Montréal, pour devenir onze jours plus tard président du géant du jeu vidéo Vivendi Games, en Californie. C'est ce qu'a tenté de faire, le PDG Martin Tremblay en 2006, avant de se retrouver... devant les tribunaux. Le Montréalais avait signé une clause de non-concurrence.

Ubisoft a gagné sa cause devant la Cour supérieure du Québec. Cependant, les deux géants du jeu vidéo ont réglé l'affaire à l'amiable. Et Martin Tremblay a enfin pu entrer en poste chez Vivendi. Il dirige maintenant Warner Bros Interactive Entertainment.

Les clauses de non-concurrence ne concernent pas que les hauts dirigeants. Beaucoup d'employeurs en intègrent une dans les contrats de travail de cadres ou de professionnels qui oeuvrent dans des domaines concurrentiels ou spécialisés comme la vente, le marketing et la R-D. Certains employeurs en font même signer une à tous leurs employés !

Cette pratique est abusive, selon Jacques Bourque, avocat et associé au cabinet De Grandpré Chait. Les employeurs ont le droit de protéger leurs intérêts. "Mais ils ne peuvent pas empêcher un individu de gagner sa vie", dit le spécialiste en droit des affaires. Surtout si celui-ci n'occupe pas un poste névralgique au sein de l'entreprise. Un ouvrier dans une usine, par exemple, ne détient pas d'informations stratégiques ou sensibles.

Une clause de non-concurrence constitue "un grand frein à la mobilité d'emploi", selon Jacques Bourque. La contester ou la violer peut coûter cher. "Un employeur ne voudra pas nécessairement attendre huit à douze semaines pour savoir si un nouvel employé pourra travailler chez lui", remarque-t-il.

Dans la limite du raisonnable

Avant de signer une clause de non-concurrence, il faut donc la lire attentivement. Pour être valide, elle doit être écrite (et non verbale) et limitée quant à la durée, à l'étendue du territoire et au genre d'activités - par exemple, interdiction de travailler pendant trois mois comme représentant des ventes dans une station de radio de langue française dans un rayon de 80 km des anciens studios.

"Si la durée est trop longue, le territoire trop vaste ou le secteur d'activité trop restreignant, le juge considérera la clause déraisonnable et donc illégale", explique Magali Cournoyer-Proulx, avocate spécialisée en droit du travail et associée chez Heenan Blaikie.

Les tribunaux, qui sont sensibles aux libertés de travail et de commerce, annulent les clauses ambiguës et trop larges. Un employeur ne peut interdire à un ancien employé de travailler dans toute une industrie, comme celle de l'alimentation. "Il doit préciser le domaine exact (distribution, production ou conception des aliments) ainsi que le type de produits visés (mets préparés, boissons, etc.), indique Magali Proulx-Cournoyer. Idéalement, il dressera même la liste de ses concurrents."

Que faire si la clause est déraisonnable ? Demander à son futur employeur de la modifier ? "Oui", répond Jacques Bourque. L'avocat suggère de la remplacer par une clause de non-sollicitation. Cette dernière interdit à un ex-employé de solliciter les clients ou le personnel de son ancien employeur, sans pour autant l'empêcher de travailler dans le même domaine.

Négocier une clause de non-concurrence à l'embauche n'est pas facile, d'après Richard Joly, président de Leaders & Cie, une firme de recrutement de dirigeants et de membres de conseil d'administration. "Le candidat est en position de faiblesse, pense-t-il. Il veut obtenir l'emploi." Selon lui, il vaut mieux négocier les modalités d'application de sa clause à la fin de l'emploi, comme le font souvent les comptables qui oeuvent au sein de cabinets de services professionnels. "Ils déterminent avec l'employeur quels seront les clients avec lesquels ils pourront continuer de faire affaire", dit Richard Joly. L'employé peut aussi demander une indemnité pour la durée de la clause.

Et si on fait fi de la clause ? L'employeur peut demander une injonction en cour pour qu'on cesse de travailler chez un concurrent. S'il gagne, il pourrait obtenir des dommages et intérêts. Mais encore faut-il qu'il sache qu'on viole la clause...

Selon Alain Émond, président de Sextant, une firme de recrutement de cadres, les organisations appliquent les clauses de non-concurrence dans le cas de dirigeants, comme un vice-président marketing. "Mais pas nécessairement pour des employés moins "stratégiques", comme un représentant des ventes ou un directeur de compte, précise-t-il. À moins qu'on ne craigne que celui-ci parte chez le concurrent avec la liste des clients."

Marc A. Gareau, 49 ans, a signé une dizaine de clauses de non-concurrence au cours de sa carrière. Le directeur de bureaux de projets informatiques les a toujours respectées. Et il n'a jamais eu de mal à trouver un emploi. Selon lui, le principal frein à la mobilité d'emploi n'est pas tant la clause elle-même que les limites que se fixe l'employé.

"Certains gestionnaires de projets imaginent difficilement changer d'industrie, dit Marc A. Gareau, un ancien employé de Rogers Communications maintenant expert-consultant, qui contribue à l'implantation d'un progiciel à l'Université de Montréal. Selon moi, la gestion de projets est une expertise éminemment transférable."

Les clauses de non-concurrence peuvent être un tremplin. Cesser de travailler pendant six mois ou un an permet de voyager, de prendre du recul, de faire un bilan de carrière et, pourquoi pas, de se lancer en affaires. "On peut profiter de cette période pour rédiger un plan d'affaires et préparer le site Web de sa future entreprise", dit Richard Joly. Et une fois la clause échue, on est alors fin prêt à concurrencer son ancien employeur !

aplus@transcontinental.ca

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