Un ressort insoupçonné

Publié le 29/11/2010 à 12:14, mis à jour le 29/11/2010 à 12:18

Un ressort insoupçonné

Publié le 29/11/2010 à 12:14, mis à jour le 29/11/2010 à 12:18

Par Premium

Personne ne travaille de façon optimale, ne serait-ce que parce qu’on n’est pas des robots, constants et infaillibles. C’est là que réside justement l’un des problèmes caractéristiques de notre époque : les entreprises visent en permanence un fonctionnement idéal, et les employés ne peuvent être à la hauteur de telles espérances. Du coup, les gens finissent par lâcher prise face à des objectifs toujours plus difficiles à atteindre… et leur productivité décroît irrémédiablement. Une récente étude de Towers Perrin menée à l’échelle mondiale montre d’ailleurs que seulement 21 % des personnes interrogées se sentent « très engagées » envers leur employeur, alors que 40 % se disent « désabusées » ou « désengagées ».

Auteur : Tony Schwartz, Harvard Business Review

Une telle négativité a un impact direct sur les profits. Ainsi, Towers Perrin a constaté que les entreprises dont les employés n’étaient globalement que très peu engagés ont connu en 2007 une chute de 33 % de leurs revenus et de 11 % de leur bénéfice net. À l’opposé, les entreprises ayant des employés fortement engagés ont obtenu une augmentation de 19 % de leurs revenus et de 28 % de leur bénéfice net.

Comment remotiver ses employés et, par suite, devenir une entreprise plus productive ? Une façon d’y parvenir consiste à voir le problème sous l’angle de l’énergie humaine. Il y a une décennie, j’ai lancé mon entreprise, The Energy Project, pour m’attaquer notamment au phénomène du burn-out. L’idée était d’apprendre aux employés et à leurs gestionnaires à gérer leur énergie plutôt que leur temps. Après tout, le temps nous est compté, alors que nous pouvons augmenter notre niveau d’énergie personnelle et la renouveler de façon régulière.

Quand on comprend que l’énergie dont on dispose varie selon les choix qu’on fait, il devient possible de changer ses habitudes pour réduire ses efforts et ainsi améliorer sa productivité. Un employé peut déterminer à quel moment précis il doit accomplir certaines tâches et à quels moments il ne le doit pas, en fonction de l’énergie dont il dispose. Il peut alors acquérir de bons automatismes, qui pourront au fil du temps se transformer en rituels. Cela peut consister à fermer sa boîte de courriels pendant une heure donnée afin de pouvoir se concentrer sur une tâche complexe, ou bien à aller tous les jours à 13 h marcher dehors un quart d’heure, histoire de se changer les idées.

Apprendre à dire non

Modifier ses habitudes en supprimant les mauvaises pour en adopter de meilleures n’est, curieusement, pas chose facile. Cela peut déranger des collègues — ceux qui sont réticents à la nouveauté —, et par conséquent bouleverser la routine d’une équipe. Pourtant, cela en vaut la peine, comme le montre l’exemple éclairant de Sony Pictures Entertainment.###

La direction de Sony a été invitée par mes collègues et moi-même à modifier en profondeur deux éléments clés de sa façon de gérer le personnel.

Tout d’abord, elle ne devait plus s’attendre à ce que ses employés fonctionnent comme des robots, capables de tourner continuellement à toute vitesse, voire en s’adonnant au multitâche ; elle devait comprendre que, contrairement aux machines, l’être humain travaille mieux quand des périodes d’intense concentration alternent avec d’autres de relâchement mental.

Ensuite, Sony devait cesser d’en exiger toujours plus de ses employés, et leur permettre de combler leurs quatre besoins vitaux, à savoir :

-la santé physique (une alimentation saine, un sommeil suffisant, des périodes quotidiennes de ressourcement et d’exercice) ;

-le bien-être émotif (qui croît à mesure qu’on se sent apprécié et estimé) ;

-la clarté mentale (la capacité de se concentrer, d’établir des priorités et de penser de façon créative) ;

-l’éveil spirituel (qui provient du sentiment qu’on remplit une mission, et non pas qu’on génère un profit).

Michael Lynton et Amy Pascal, les coprésidents de Sony Pictures Entertainment, ont été les catalyseurs du changement. ls souhaitaient obtenir, de la part de leurs employés, un engagement plus solide ainsi qu’un niveau de performance accru. Aussi, ils ont eu l’intelligence de commencer par analyser leur propre comportement, en particulier en quoi celui-ci pouvait saper l’énergie de leur personnel. Ils nous ont autorisés à interroger leurs subalternes et quelques-uns de leurs proches collègues. Nous avons aussi parlé à leurs amis, et même aux membres de leur famille.

Ce processus à permis à Michael Lynton, d’un naturel introverti et réservé, d’apprendre qu’il ne laissait rien paraître de ses émotions ni de son appréciation à son entourage. Il a alors instauré un nouveau rituel, qui consiste à téléphoner ou à écrire à ceux dont les réalisations méritent d’être soulignées. Résultat : une amélioration du bien-être émotif de ses proches comme de ses collègues.

Quant à Amy Pascal, les commentaires qui l’ont le plus touchée concernaient sa profonde aversion des conflits, tant à l’interne qu’à l’externe. En évitant toute confrontation, elle laissait planer un climat d’incertitude dans son entourage, ce qui minait l’énergie du groupe. Par conséquent, elle a adopté comme rituel de se poser une question toute simple chaque fois qu’elle est face à une difficulté : « Quelle est la bonne chose à faire dans l’intérêt de Sony Pictures ? » Cette méthode lui a permis de commencer à dire non aux personnes qu’elle aime et respecte même si son réflexe premier est de ne pas les froisser. Par exemple, elle a dû prendre une décision particulièrement déchirante quand elle a tiré un trait sur le projet Moneyball, un film qui s’inspirait du livre de Michael Lewis et qui devait être réalisé par Steven Soderbergh, qu’elle admire. « Je travaillerais avec Steven n’importe quand. Mais, en ce qui concerne ce projet, il voyait le film d’une façon qui n’était pas celle de Sony », a-t-elle dit à l’époque. Toutefois, elle constate que cette nouvelle attitude est appréciée des autres, car ils ont enfin l’heure juste avec elle.

Colère et frustration

L’étape suivante consistait à convaincre les dirigeants de chacun des services de Sony Pictures Entertainment. Michael Lynton, Amy Pascal et leurs 15 cadres supérieurs ont participé à notre formation, qui mettait l’accent sur les façons de gérer son énergie pour augmenter son efficacité et son leadership. Chacun a cherché à comprendre en quelles occasions ses besoins en énergie n’étaient pas comblés, puis a créé une série de rituels personnels pour remédier à la situation.

Par exemple, Jeff Blake, le directeur du marketing et de la distribution, voulait être davantage à l’écoute de ses émotions. Après la formation, il a compris que la colère et la frustration sapaient souvent son énergie, et avaient un effet très négatif sur ses collègues. Pour mieux gérer ses émotions, il a développé le réflexe de prendre du recul chaque fois qu’il sent la moutarde lui monter au nez, par exemple en allant marcher dehors quelques minutes. Il peut ainsi clarifier ses idées et mieux réagir aux événements irritants.

Keith LeGoy, le directeur de la distribution internationale des émissions télévisées, faisait face au même type de problème. Sa solution à lui ? Prendre de grandes respirations avant de réagir. Une fois calmé, il se demande systématiquement : « Comment puis-je approcher cette personne autrement pour obtenir ce que je veux ? »

De son côté, Gary Martin, le directeur de l’exploitation du studio de tournage, avait du mal à se concentrer sur les tâches ardues ; il a maintenant pour rituel de fermer sa boîte de courriels à certains moments de la journée.

Enfin, David Bishop, le directeur du divertissement maison, s’est quant à lui engagé à ignorer ses courriels quand il est au téléphone avec quelqu’un et à consacrer, à tout moment, toute son attention à ce qu’il est en train de faire.

Le « code »

Chaque réunion hebdomadaire de la direction était l’occasion d’assister à une rencontre cordiale et sympathique, du moins en surface… En réalité, les uns gardaient pour eux des informations précieuses, les autres ne disaient pas ce qu’ils pensaient vraiment, d’autres encore s’abstenaient d’émettre un commentaire concernant d’autres secteurs que le leur, etc. Bref, il y avait en permanence une tension contre-productive.

À l’invitation de Michael Lynton et d’Amy Pascal, un rituel visant à favoriser le dialogue et la confiance mutuelle a été institué. Il a été convenu d’établir à l’avance un ordre du jour précis pour chacune des réunions hebdomadaires et de se concentrer sur les principales questions stratégiques. Tous ont promis de participer activement aux discussions, d’y aller de leurs suggestions et de s’en tenir aux décisions prises au cours de ces réunions. Les membres de l’équipe de direction se sont aussi engagés à prendre les décisions qui serviraient le mieux les intérêts de l’entreprise dans son ensemble plutôt que de privilégier leurs intérêts personnels.

Pour que tout cela ne soit pas seulement des vœux pieux, ils ont créé le « code ». Ainsi, il suffit de prononcer ce mot clé pour qu’un autre membre de l’équipe sache qu’il peut parler de ce qu’il ressent ou exprime franchement ses préoccupations sans qu’on ne l’attaque ou le dénigre. Comme Amy Pascal l’explique, le code est devenu l’abréviation de « Je veux vraiment savoir comment tu te sens, alors sois franc avec moi ».

« Imaginons que je demande à Michael de participer à une réunion de marketing que j’ai organisée, mais qu’il s’en absente à la dernière minute à cause d’une urgence, illustre-t-elle. Parce que chacun de nous veut accommoder l’autre, il me dirait : “Vas-y sans moi”, et je lui répondrais : “O.K., pas de souci.” Mais, par la suite, je me demanderais si les décisions prises sans lui posent problème. Pour ne pas susciter de controverse, nous éviterions alors d’aborder ce point. Mais grâce au “ code ”, nous pouvons nous en parler sans détour. »

Un autre rythme de travail

Il fallait ensuite présenter ces idées et ces pratiques aux quelque 125 cadres supérieurs relevant directement de l’équipe de direction. Une rencontre trimestrielle a été organisée avec eux afin d’assurer un suivi. À l’occasion de l’une d’elles, plusieurs participants ont abordé la question des courriels. Il était courant d’interdire la consultation de ses courriels durant les réunions. Le hic ? On attendait de chacun qu’il rattrape le retard, quitte à le faire le soir et les fins de semaine. Au final, tous se sentaient sans cesse sous pression et étaient irrités de ne jamais pouvoir complètement se libérer de leur travail. Une énergie considérable était ainsi mal dépensée par les cadres supérieurs.

Une nouvelle règle est alors entrée en vigueur : on n’espère une réponse d’un collègue qu’entre 8 h et 20 h durant la semaine. En dehors de ces heures-là, chacun est libre de répondre ou non aux courriels. L’entente prévoit aussi que si quelqu’un doit absolument joindre un collègue pour des raisons urgentes, il lui téléphonera, tout simplement. « Cette décision a fait diminuer considérablement les attentes, dit David Hendler, le directeur financier de Sony Pictures Entertainment. Quant à moi, je ne suis plus accro à mon BlackBerry. Quand je suis avec ma femme et mes enfants, je suis vraiment avec eux, et ils l’apprécient. Maintenant, je dépense mieux mon énergie quand je suis au boulot. »

Un langage commun

La dernière étape consistait à répandre les changements dans l’ensemble de l’organisation. Par exemple, un studio de sonorisation a été transformé à la fois en salle de classe pouvant accueillir 25 personnes et en espace de ressourcement où l’on peut consulter des nutritionnistes et des entraîneurs, suivre des cours de yoga ou recevoir des massages théapeutiques. Un nouveau restaurant a été inauguré, proposant des menus santé, un comptoir à salades et même les services d’une diététicienne. Un gymnase moderne a été aménagé, ainsi qu’une confortable salle de détente et de rencontre.

Peu à peu, le langage du personnel s’est modifié. De nouveaux termes comme « pause de ressourcement », « rituels » et « déclencheurs » sont apparus dans les discussions quotidiennes. De nouvelles phrases ont même vu le jour, comme « Ce que tu me dis là, ce sont des faits ou une version des faits ? ».

Désormais, les employés sont plus attentifs à leur niveau d’énergie et à son impact sur leur efficacité au travail. Il arrive que certains demandent à un collègue : « Dans quelle zone d’énergie es-tu ? » Et chacun se sent plus à l’aise de prendre une pause, de ne pas consulter continuellement ses courriels ou d’aller s’entraîner au gymnase.

« Nous avons maintenant un langage commun et nous partageons certaines valeurs. C’est clair, nous avons une toute nouvelle culture d’entreprise », dit Amy Pascal en soulignant que « tout cela nous a aidés à rester solides dans un climat économique très difficile ».

Un sondage interne indique que 88 % des employés qui ont suivi la formation d’Energy Project — soit la moitié des 6 300 personnes qui travaillent, dans le monde, pour Sony Pictures Entertainment — disent qu’ils sont plus productifs qu’auparavant. Aussi, 90 % d’entre eux trouvent qu’ils ont plus d’énergie au travail, et 84 % qu’ils sont maintenant en mesure de répondre aux attentes liées à leur poste.

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