Le confort du sommet

Publié le 30/05/2013 à 13:56

Le confort du sommet

Publié le 30/05/2013 à 13:56

Par Premium

Des études avancent que les leaders les plus haut placés ressentent moins de stress. Est-ce parce qu’ils contrôlent tout ? Ou est-ce parce qu’ils sont tout simplement moins vulnérables au stress ?

Par Glenn Rifkin, Briefings on Talent & Leadership

Lorsque le célèbre neuroscientifique de l’Université Stanford, Robert Sapolsky, commença à mesurer l’impact du stress sur des sociétés de babouins du continent africain — une étude qui s’étend sur plus de trente ans —, il fit une découverte surprenante. Les babouins, qui vivent au sein de grands groupes sociaux où les individus sont étroitement liés, manifestaient des comportements hiérarchiques évidents. Les mâles dominants se trouvaient au sommet de la hiérarchie et ceux qui étaient inférieurs dans l’organisation sociale étaient constamment harcelés et maltraités par leurs supérieurs. Or, après avoir mesuré le niveau de cortisol (ou hormone du stress) chez les membres du groupe, Robert Sapolsky a observé que le niveau de stress diminuait au fur et à mesure que l’on gravissait l’échelle sociale du groupe. La vie au sommet, semble-t-il, était bien douce pour les babouins alpha.###

Tout cela est bien beau si l’on vit dans la savane et qu’on consacre le plus clair de son temps à cueillir des fruits, à avoir des relations sexuelles avec des femelles consentantes et à somnoler tandis que notre compagne retire patiemment les poux de notre fourrure. Mais comment établir un lien avec les niveaux de stress observés chez les êtres humains ?

Au tout début de la recherche sur le comportement organisationnel, on présumait que les dirigeants les plus haut placés — chefs de la direction, généraux et leaders politiques — subissaient un stress beaucoup plus élevé. C’était le prix à payer pour l’exercice du pouvoir. Les exigences augmentaient à mesure que l’on gravissait les échelons d’une organisation, apportant leur lot d’ulcères et d’insomnies. C’est du moins ce qu’on croyait. Toutefois, une étude récente publiée conjointement par des chercheurs de Harvard, de Stanford et de la University of California at San Diego a révélé que les hauts dirigeants ont un taux de stress inférieur à celui des employés ordinaires. L’étude, menée à la Kennedy School of Government de Harvard, portait sur des officiers militaires et des responsables gouvernementaux. Les tests ont montré que le taux de cortisol de ces hauts dirigeants, à l’instar de celui des babouins alpha, diminuait à mesure qu’ils gravissaient les échelons.

Ces résultats ont incité à mener une seconde étude portant sur 100 autres dirigeants afin de quantifier les paramètres. Après tout, les dirigeants sont différents et l’on s’attendait donc à ce que les niveaux de stress varient entre le cadre qui n’a sous ses ordres qu’un seul employé et celui qui en a 1 000.

Or, en dépit de paramètres aussi variés, le niveau de stress dépendait avant tout d’un élément crucial : l’impression de contrôle ou de maîtrise. « Nous avons constaté que plus le degré de responsabilité est élevé, plus les moyens de contrôle augmentent et plus les niveaux de stress diminuent », dit l’un des auteurs de l’étude et professeur de psychologie à Stanford, James Gross.

Tenant compte du fait que la propagation de l’incertitude politique et économique dans le monde hausse les niveaux de stress de chacun, les chercheurs ont posé la question suivante : « Le fait d’être un dirigeant en ces temps d’incertitude vous rend-il plus stressé que les autres personnes ? » La réponse est non, car ces dirigeants sont en mesure d’exercer davantage de contrôle sur leur environnement et disposent de ressources supplémentaires pour faire face aux difficultés.

L’étude affirme que le fait d’« d’être à la tête d’un grand nombre d’employés et d’avoir sur eux une réelle autorité sont deux aspects du leadership qui permettent de bénéficier de tels avantages. Il n’est pas surprenant que ces postes augmentent le sentiment de contrôler la situation, puisqu’ils sont susceptibles d’apporter du prestige ainsi que du pouvoir et de l’influence ».

Ce degré de contrôle social, ce sentiment de pouvoir personnel et cette capacité de faire en sorte que les gens écoutent ce qu’on dit sont plus susceptibles de réduire le stress, plus qu’une rémunération élevée. Certes, le chef de la direction qui gagne 30 millions de dollars par an en salaire, bonus et options sur titres voyagera en jet privé, ce qui réduira le stress lié aux voyages en avion. Toutefois, « l’ingrédient essentiel, le type de contrôle qui semble agir sur le stress, affirme James Gross, est le contrôle social. Voilà de bonnes nouvelles pour les futurs leaders. Tandis qu’ils développent progressivement leurs compétences en matière de leadership et acceptent davantage de responsabilités, ils peuvent chercher les occasions d’élargir les liens sociaux avec les membres de leur organisation. Ce sentiment de pouvoir personnel a un effet inhibiteur sur le stress. S’ils parviennent à développer cette intelligence sociale au fur et à mesure qu’ils gravissent les échelons, non seulement leur carrière en bénéficiera, mais aussi leur santé. »

L’étude Whitehall

En fait, l’étude Harvard-Stanford-San Diego n’est peut-être pas si révolutionnaire. Ce n’est pas, par exemple, la première étude de ce genre. La célèbre étude Whitehall, qui a débuté en Grande-Bretagne en 1967, évaluait l’impact des échelons organisationnels sur les problèmes de santé. Elle ne portait pas spécifiquement sur le stress. Cependant, les paramètres utilisés étaient similaires, et ses conclusions, étonnamment semblables à celles de l’étude présentée plus haut.

L’étude Whitehall, divisée en deux parties, a permis de suivre plus de 28 000 fonctionnaires britanniques de tout rang, du sommet au bas de la pyramide organisationnelle, et ce, sur une période de plusieurs décennies. En dépit des idées reçues et contrairement aux attentes du directeur de l’étude, Sir Michael Marmot, les travailleurs les plus haut placés ne présentaient pas un risque plus élevé de maladies découlant du stress. En effet, les travaux de Michael Marmot ont montré qu’entre l’âge de 40 et 64 ans, le taux de mortalité des fonctionnaires qui se trouvaient au bas de l’échelle était quatre fois plus élevé que celui des fonctionnaires au sommet.

Dans une interview donnée à la University of California at Berkeley, Michael Marmot déclarait : « La découverte remarquable qui allait à l’encontre de mes attentes de l’époque et de celles de la plupart des gens, je crois, concernait premièrement les maladies cardiaques : les gens dont l’emploi était plus stressant ne présentaient pas un risque plus élevé de maladie cardiaque. C’était tout le contraire : les personnes au bas de l’échelle étaient celles qui avaient un risque plus élevé de crise cardiaque.

Deuxièmement, nous avions affaire à un gradient social. Plus on se trouvait au bas de la hiérarchie, plus le risque était grand. Il ne s’agissait donc pas de haut et de bas de l’échelle, mais d’une variation selon les échelons. Troisièmement, ces gradients sociaux s’appliquaient à toutes les principales causes de décès. »

Au lieu d’examiner des facteurs spécifiques comme le taux de cholestérol, la tension artérielle, l’obésité ou le diabète, l’étude mettait en évidence toutes les principales causes de décès, notamment les maladies cardiaques, gastro-intestinales ou rénales, les accidents vasculaires cérébraux, les cancers non liés au tabagisme, ainsi que les homicides ou les décès par accident.

Ce qui distingue l’étude Whitehall, c’est que ses entrevues avec des fonctionnaires pendant des années aboutissent aux mêmes résultats que la recherche de Robert Sapolsky sur les babouins et que la récente étude de James Gross sur le stress. Il n’est pas question ici seulement du degré de stress ressenti, mais surtout de manque de contrôle perçu ou réel des employés affectés à des postes de niveau inférieur. Le magazine Wired citait cette déclaration de Michael Marmot : « Les chercheurs appellent cela “le modèle exigences-contrôle du stress”, selon lequel les dommages causés par le stress chronique dépendent non seulement des exigences liées à l’emploi, mais aussi du degré d’autonomie réel pour satisfaire ces exigences. Autrement dit, si un individu a un niveau élevé d’autonomie élevé, son emploi sera moins stressant et aura moins d’impact sur sa santé. »

Des répercussions importantes

Cependant, avant de se détendre dans leur fauteuil, les pieds sur le bureau, les leaders d’aujourd’hui doivent être conscients des généralisations et des invraisemblances que peuvent engendrer de telles études.

Qui, de l’œuf ou de la poule, était là le premier ? Telle est la question qui vient à l’esprit de bien des dirigeants pour qui la théorie semble contredire la réalité. Ainsi, Rick Goings, PDG de Tupperware depuis 1992 et ancien officier de la US Navy, exprime son scepticisme face à l’étude Harvard-Stanford-San Diego. « Je me demande si c’est l’exercice du leadership qui réduit le stress, ou si c’est plutôt que les individus les moins vulnérables au stress deviennent de meilleurs leaders ? »

Si vous croyez que les dirigeants s’auto-sélectionnent et que ceux qui réussissent à atteindre le sommet y parviennent parce qu’ils gèrent le stress mieux que d’autres, cette étude ne fera rien de plus que de confirmer une prophétie auto-réalisatrice, selon Rick Goings.

Bouddhiste et adepte de la méditation transcendantale depuis 35 ans, Rick Goings ne pense pas qu’un leader puisse exercer suffisamment de contrôle sur son environnement pour éliminer les défis qui sont à l’origine du stress. « C’est ce que j’essaie d’enseigner à mes subordonnés directs, dit-il. Je ne peux pas contrôler l’ensemble des circonstances économiques. Je ne peux pas contrôler ce que fait Hugo Chavez en Amérique du Sud ou ce qui se passe en Égypte. Mais je peux contrôler ma façon de réagir à ces événements. Je ne dis pas qu’il ne m’arrive jamais de passer en mode survie, mais ce n’est pas un état permanent chez moi. »

Pour Rick Goings, l’absence de contrôle est une situation familière, mais il ne la considère pas nécessairement comme une expérience négative. « Je réfute cette théorie, affirme-t-il. Ici, les employés réussissent en établissant des relations de confiance. En faisant cela, on n’a pas besoin de contrôle. Je crois qu’une entreprise n’est en fait qu’un ensemble de personnes, et que celle qui saura recruter, former, responsabiliser et récompenser les meilleurs éléments gagnera la partie. »

La théorie de Rick Goings trouve également un écho favorable chez les propriétaires de petites entreprises. Tom Tremblay, propriétaire et président de Guardair, une entreprise de Chicopee, au Massachusetts, qui fabrique des outils à air comprimé destinés au nettoyage industriel et à la maintenance, est convaincu que le stress qu’il ressent dépend plus des marges bénéficiaires de son entreprise que de son propre sentiment de contrôle.

« Je crois que le degré de stress est inversement proportionnel au talent de l’équipe de direction, affirme-t-il. Si vos marges sont suffisamment élevées, vous pourrez embaucher les meilleurs talents, et le stress diminuera. Je dors bien parce que j’ai une bonne équipe de gestion. »

Le consultant en leadership de Minneapolis Steven Snyder est d’accord. Dans son récent livre, Leadership and the Art of the Struggle, il reconnaît qu’en raison de la rapidité des progrès technologiques et des résultats instantanés des gestes posés par les leaders, la lutte au sommet des organisations semble s’être intensifiée.

Cependant, cette perception est atténuée par la dynamique organisationnelle. « Que savons-nous des cadres qui gravissent les échelons d’une organisation ? demande Steven Snyder. D’abord, il y a le processus de sélection. La sélection des personnes qui gravissent les échelons se fait en fonction d’un ensemble d’éléments, notamment leur capacité à s’adapter à cette lutte. Ceux qui canalisent leur énergie en s’adaptant sont en mesure de mieux faire face que les autres à des situations difficiles. Par conséquent, ils ont plus d’occasions de passer à des niveaux hiérarchiques supérieurs. »

Pour Steven Snyder, l’une des mesures d’adaptation décisives est la « capacité de se concentrer, de se calmer et d’éviter les réactions émotives. » C’est pourquoi il exhorte ceux qui souhaitent être leaders à pratiquer des activités qui favorisent la concentration, comme la méditation et l’exercice physique.

La recherche a prouvé de façon convaincante que les cadres supérieurs qui font plus d’exercice et adoptent de meilleures habitudes alimentaires non seulement réduisent leur stress, mais aussi améliorent leurs performances en tant que leader. Des études indiquent que les cadres qui font régulièrement de l’exercice sont mieux notés par leurs pairs. On observe également chez eux des niveaux d’énergie plus élevés, une productivité accrue et une meilleure motivation. Ceux qui n’en font pas, ou qui n’en font que de manière sporadique, ont obtenu des résultats beaucoup plus faibles. En outre, l’excès de poids, devenu un enjeu de santé mondial, réduit la capacité d’un individu à faire face au stress. Le fait d’être en forme et en bonne santé atténue les effets négatifs liés au stress.

Nina Godiwalla, fondatrice et présidente de Mindworks, est convaincue que le degré de stress varie en fonction des individus. Sa société-conseil établie à Houston offre des formations en gestion du stress, en leadership et en diversité à des entreprises privées et à des organisations sans but lucratif. Selon Nina Godiwalla, « le degré de stress dépend plus de l’individu que du poste qu’il occupe ». Elle ajoute : « Le degré de stress de deux personnes qui ont des rôles similaires dépend de leur réaction aux situations et de leur manière de les gérer. Apprendre à gérer son propre stress est quelque chose que l’on peut contrôler, mais la plupart des gens ne voient pas les choses de cette façon. Ce serait généraliser que de dire que tous ceux qui occupent une position de leadership sont moins stressés. J’ai observé que les attentes de performance augmentent à mesure que l’on gravit les échelons et que le stress augmente aussi. Même si vous êtes chef de la direction, vous devez répondre à un conseil d’administration ; il y a toujours quelqu’un à qui il faut rendre des comptes ».

Partisan de l’apprentissage du leadership, Warren Bennis considère que l’étude Harvard-Stanford-San Diego contient des éléments de vérité. Cependant, il pense aussi qu’elle est basée sur des fondements et des privilèges liés au rang.

« Ceux qui parviennent au sommet ont déjà connu la réussite au cours de leur vie. En cours de route, ils ont développé des groupes de soutien, ont traversé bien des difficultés et connu de nombreuses situations stressantes plus tôt durant leur carrière. Nombreux sont ceux qui ont été renvoyés, avaient un enfant malade, ou ont divorcé. Cela leur a permis de développer leur résilience, de devenir plus forts et ils ont appris de leurs expériences. Le fait d’avoir surmonté l’adversité mène ces leaders au sommet. »

De plus, souligne Warren Bennis, tous ces dirigeants profitent des avantages de la réussite : le soutien, le prestige, et même l’admiration de leurs subordonnés. Tout cela les aide à minimiser le stress que tant d’autres ressentent à des degrés inférieurs de l’organisation.

En ce sens, ce qu’il importe de savoir au sujet du stress n’est peut-être pas nécessairement le degré de stress ressenti par un leader, mais le degré de stress qu’il impose aux échelons inférieurs de son organisation. Kevin Cashman, associé principal chez Korn/Ferry International, a beaucoup écrit au sujet du stress chez les leaders. Selon lui, il existe deux types de stress : un stress positif (appelé « eustress ») et un stress négatif (qui provoque de la détresse). Un stress positif peut être extrêmement efficace et se révéler un catalyseur de comportements productifs.

« Tout leader conscient de lui-même et de son influence se pose la question suivante : ‘Faut-il atténuer ou réduire le stress de mes employés en favorisant l’ouverture, la collaboration, l’écoute et l’empathie, ou bien faut-il augmenter la pression devant l’urgence et l’importance de la situation ?’ Un leader moins perspicace transmet sans réfléchir son stress aux autres, ignorant que son comportement prive ses employés de l’énergie nécessaire pour effectuer leurs tâches convenablement et augmente la tendance naturelle de repousser le stress toujours plus bas vers les échelons inférieurs. »

Trouver la sérénité

Pour Rick Goings, de Tupperware, l’organisation performante est celle où « le stress est sporadique, mais où de grands leaders mûrissent et commencent à ressentir le calme qui prévaut à un poste élevé. Une fois qu’on a ressenti ce calme, on devient un meilleur leader. On peut progresser au sein d’organisations de valeur. »

Selon lui, « les dirigeants sont jugés en fonction de quatre critères fondamentaux : 1. Quel genre d’entrepreneurs sont-ils ? Savent-ils écrire, gérer les finances, développer les compétences de base pour faire leur travail ? 2. Ont-ils les aptitudes nécessaires pour devenir des leaders inspirants ? Il ne s’agit pas ici de monter sur scène et d’amuser la foule, poursuit Rick Goings, mais d’amener les gens à avoir vraiment confiance en vous et d’être très habile. 3. Ont-ils de la curiosité intellectuelle ? 4. Ont-ils acquis suffisamment de maturité ? Les leaders efficaces mûrissent au fil du temps et des expériences. »

« En Amérique, poursuit-il, ceux qui sortent d’une école de commerce se pensent prêts à être PDG. Je crois, pour ma part, qu’un grand leader se forme. Avec le temps, il apprend qu’il est essentiel d’apprendre à gérer son propre stress si l’on veut réussir au sein d’une grande organisation. Je scinde le mot “responsabilités” en deux — réponse et habileté —, et c’est ce que nous tentons d’enseigner. »

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