James J. Heckman : comment l'Occident peut demeurer concurrentiel

Publié le 22/06/2010 à 13:45, mis à jour le 07/10/2013 à 14:45

James J. Heckman : comment l'Occident peut demeurer concurrentiel

Publié le 22/06/2010 à 13:45, mis à jour le 07/10/2013 à 14:45

Photo : University of Chicago

De plus en plus de jeunes quittent le secondaire sans diplôme ni formation. On obtient un meilleur rendement de l’investissement lorsqu’on intervient tôt dans leur vie, affirme le prix Nobel d’économie.

Nos sociétés se polarisent, constate le professeur d’économie de l’Université de Chicago, James J. Heckman. D’une part, le pourcentage de diplômés des collèges et des universités des États-Unis a grimpé au cours des 30 dernières années. D’autre part, le taux d’abandon scolaire au secondaire a suivi la même tendance, ce qui a donné naissance à un groupe de jeunes sans formation dont l’avenir est sombre. Un constat qui est le même au Québec.

Nous avons joint le récipiendaire du prix Nobel 2000 en économie alors qu’il était l’invité du dernier congrès de l’Association des économistes québécois, sur le thème « Le capital humain : défis pour un Québec prospère ».

Les Affaires – Cette polarité grandissante entre élèves éduqués et non éduqués dans le monde occidental survient au moment où il est essentiel d’avoir une main-d’œuvre qualifiée pour rester concurrentiel...

James J. Heckman – En effet, car la main-d’œuvre du monde entier développe de plus en plus ses compétences. C’est une évolution tout à fait normale : depuis les débuts de la révolution industrielle, il y a 250 ans, toute l’histoire occidentale montre un lien direct entre une société éduquée, une main-d’œuvre qualifiée, sa compétitivité et sa productivité. La richesse du monde est fondée sur le savoir-faire. Toute la force de la technologie moderne a été façonnée par les compétences et les habilités de sa main--d’œuvre. L’Occident n’a pas le choix d’investir en éducation : à mesure que le reste du monde, particulièrement l’Asie, qui compte la Chine, l’Inde, les Philippines et le Vietnam, s’intègre au marché global, la donne change. Des pays comme le Canada, les États-Unis ou l’Angleterre ne peuvent pas les concurrencer sur le terrain de la main-d’œuvre non qualifiée. Ils peuvent rester compétitifs, et même exceller, sur un front : celui du développement d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, qui produit des idées, qui est créative et productive. Elle doit aussi s’adapter au changement, un fait marquant du monde contemporain.

 L.A. –Quelle est l’importance de la formation générale dans le développement d’une main-d’oeuvre productive?

J.H. – Du temps des travaux d’Adam Smith, il était clair qu’une main-d’œuvre pas nécessairement éduquée mais très spécialisée pouvait faire des gains de productivité extraordinaires dans les manufactures, notamment. Elle pouvait produire de manière plus efficace. Mais aujourd’hui, plus votre main-d’œuvre a une solide éducation de base, et qu’elle se spécialise par la suite, plus elle sera efficace. Malcolm Gladwell a publié un livre dont la thèse stipule que tout athlète d’élite, tout pianiste virtuose, tout scientifique de calibre, tous ces gens ont pratiqué quelque 10 000 heures pour en arriver là. Je ne suis pas complètement d’accord avec cette thèse, mais ce que ça signifie, ultimement, c’est que la pratique vous rend meilleur. Mais encore faut-il savoir quoi pratiquer! D’où l’importance d’une bonne formation de base.

L.A. – Au Québec, et ce n’est pas unique en Occident, un tiers des jeunes ne terminent pas leur secondaire. Ceux-là n’ont ni éducation générale solide, ni la spécialisation qui leur permettra de gagner leur vie. Que peut-on faire pour les réchapper ?

J.H. – On doit tout faire pour les encourager à obtenir ce diplôme d’études secondaires. Sans celui-ci, ce sera difficile pour eux. Cependant, tout est dans le processus : les jeunes qui abandonnent en cours de route sont démotivés. Car l’école a axé son intervention auprès d’eux sur le plan scolaire – les mathématiques, les sciences, les langues – et très peu sur leur développement personnel. On a oublié cela en cours de route. Mais les interventions en ce sens doivent commencer tôt, bien avant le secondaire.

L.A. – Vos travaux montrent d’ailleurs l’importance de l’intervention précoce...

J.H. – Économiquement, cela a du sens d’investir davantage dans la petite enfance, particulièrement dans les milieux défavorisés. Il faut très tôt développer les habiletés socio-affectives des jeunes, leur persévérance, leur capacité d’attention, leur motivation et leur estime de soi. Tout cela aide à les former à titre d’élève, de citoyen et de travailleur. Ces interventions précoces permettent de réduire les inégalités sociales, et le rendement de l’investissement est bien plus important à ce moment-là que celui de toutes les interventions qu’on fera ultérieurement.

L.A. – L’école devrait-elle être obligatoire plus tôt ?

J.H. – L’école plus tôt, s’il s’agit de socialisation, de déve-loppement de l’estime, et de la persévérance, oui, mais surtout pas si l’on parle d’apprentissage scolaire. Je ne crois pas aux bébés Einstein, je ne crois pas qu’il faille apprendre à lire aux enfants dès trois ans. Et c’est malheureusement la tendance en ce moment, avec tous ces programmes très axés sur l’apprentissage scolaire.

L.A. – Quels pays font particulièrement bien dans la formation de leurs citoyens?

J.H. – Les pays scandinaves, la Suède, la Norvège ou le Danemark se démarquent. Ils ont des politiques efficaces de la petite enfance, d’excellents programmes de congés parentaux, des bas ratios dans les classes, des programmes publics de formation de leur main-d’oeuvre, de réorientation, etc. Ils font ce qu’il faut pour niveler le plus possible les inégalités sociales, ce sont des sociétés très égalitaires. Il n’y a pas une élite, puis des pauvres, voire des très pauvres, exclus des nouvelles technologies, avec tous les problèmes sociaux qui en découlent, la criminalité, l’exclusion, etc.

L.A. – Bien des parents ont de préjugés envers les formations techniques…

J.H. – Ces formations sont typiquement dévalorisées, souvent perçues comme un échec académique, et c’est une erreur. Tout le monde ne peut pas prendre le train de l’université. Certains jeunes ont peu d’habilités académiques, des difficultés en maths et dans d’autres matières, mais on peut leur apprendre un métier, on peut leur apprendre à être de bons citoyens. Il faut juste réaliser que chaque jeune est différent, que chacun apprend différemment.

 

 

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