Au risque d'innover

Publié le 21/09/2011 à 09:25, mis à jour le 20/09/2011 à 09:26

Au risque d'innover

Publié le 21/09/2011 à 09:25, mis à jour le 20/09/2011 à 09:26

Par Premium

« Quiconque n’a jamais commis d’erreurs n’a jamais tenté d’innover » disait Albert Einstein. Mais cela n’empêche pas les pionniers et les fervents défenseurs de l’innovation de vouloir minimiser les risques.

Auteurs : Karan Girotra et Serguei Netessine, Havard Business Review

En 2007, quatre entrepreneurs français ont lancé MyFab, un site Web de vente en ligne de meubles qui a donné lieu au plus grand bouleversement dans l’industrie du meuble depuis la création du géant IKEA. Ainsi, contrairement à ses concurrents, qui disposent d’énormes stocks de meubles, MyFab propose à ses clients de voter pour les meubles les plus intéressants parmi les modèles diffusés en ligne, après quoi les plus populaires sont mis en production, puis livrés directement aux acheteurs. Pas de point de vente ni de réseau de distribution complexe ni de système logistique.

Si l’approche originale de MyFab a beaucoup attiré l’attention, ce sont surtout les prix qui ont séduit les consommateurs. En simplifiant la chaîne d’approvisionnement et en ne produisant que les meubles qui seront à coup sûr vendus, MyFab parvient à offrir des prix défiant toute concurrence. À preuve, en seulement deux ans, l’entreprise a embauché plus de 100 employés ; et elle vend maintenant des meubles et des articles de décoration intérieure sur quatre grands marchés, dont les États-Unis.

MyFab n’a pas découvert de nouveaux segments de marché ni conçu de nouveaux produits grâce à des technologies de pointe. En fait, ses produits sont semblables — parfois même identiques — à ceux de ses concurrents. À l’instar de Dell, de Zara et de Zipcar, MyFab a connu la réussite grâce à un modèle d’entreprise novateur — c’est-à-dire en offrant, à l’aide de moyens existants, des produits déjà disponibles ailleurs sur le marché et qui répondent aux besoins réels des clients.

Toutefois, transformer un modèle d’entreprise ne se fait pas sans problème. Les chefs d’entreprise trouvent souvent plus difficile de déterminer les changements profitables qu’ils pourraient apporter à leur modèle que d’établir si un nouveau produit ou service sera populaire auprès des consommateurs. Alors, quel est le secret ? Comment les entreprises peuvent-elles actualiser leur modèle d’entreprise sans prendre trop de risques ? Des ouvrages tâchent de donner des réponses à ces interrogations, mais la plupart omettent de traiter d’un élément essentiel : où exactement, dans la chaîne de valeur, se situent ces risques.###

En élaborant leur chaîne de valeur, les entreprises se concentrent en général sur trois éléments : les revenus (le prix, la taille du marché et les ventes connexes), la structure de coûts (les coûts directs et indirects, les économies d’échelle et la portée du projet) et la vélocité des ressources (le rythme de création de la valeur à partir des ressources utilisées, souvent mesuré en fonction des délais d’approvisionnement, du flux de production, du roulement des stocks et de l’utilisation des actifs). Les dirigeants maîtrisent bien ces facteurs, et quantité d’ouvrages de management portent sur des façons d’en tirer encore plus profit. Mais le hic, c’est que ces éléments générateurs de valeur — et tout particulièrement l’approvisionnement et la demande — sont soumis à d’importants changements. En d’autres termes, quand on songe à modifier un modèle d’entreprise, il est essentiel de se pencher sur les principaux risques liés à celui que l’on veut adopter, et sur la manière de les prévenir ou d’en réduire les effets.

En abordant la question de cette façon, les dirigeants d’entreprise peuvent transformer leur modèle en atténuant les risques qu’entraîne l’opération. Mieux, des possibilités insoupçonnées au départ peuvent se présenter à eux, puisque encourir un risque peut contribuer à créer de la valeur, du moins pour les entreprises capables de le gérer.

L’art de réduire les risques

Dans bien des cas, les entreprises qui ont réduit les risques associés à leur modèle d’entreprise y sont parvenues en empruntant l’une des voies suivantes : retarder l’étape de la production, transférer le risque à d’autres et avoir recours à une meilleure information.

1. Retarder l’étape de la production. Pour réussir à rapprocher le plus possible l’étape de la production de l’étape des ventes — et réduire ainsi l’incertitude quant à la demande —, il faut bien sûr accélérer ou écourter le processus de production. Cela signifie souvent produire dans des installations où les coûts sont plus élevés, ce qui va à l’encontre des règles habituelles. Pourtant, il arrive que les gains réalisés grâce à une meilleure adéquation de l’offre et de la demande dépassent ces coûts additionnels. L’entreprise espagnole de vêtements Zara est un bel exemple de réussite sur ce plan.

Traditionnellement, les détaillants de vêtements s’efforcent de gérer leurs coûts au plus serré, en organisant au mieux l’approvisionnement, la production et la distribution. Du coup, il leur faut de 12 à 18 mois pour concevoir, produire et mettre sur le marché une nouvelle gamme de vêtements. En d’autres mots, elles doivent sans cesse parier sur les goûts futurs des consommateurs, un risque qui peut avoir de lourdes conséquences sur la marge de profit, à cause des pertes de stock (si les vêtements ne se vendent pas) ou des ruptures de stock (si les clients en achètent plus que ce qui a été produit).

Zara a plutôt misé sur un processus de production et de livraison super-rapide, qui lui permet de lancer une nouvelle gamme de vêtements en deux à quatre semaines — en suivant de bien plus près les humeurs changeantes de sa clientèle. Bien entendu, cette stratégie a un prix : l’entreprise fabrique la plupart de ses vêtements dans le sud de l’Europe, alors qu’elle pourrait le faire à un meilleur coût ailleurs ; elle doit aussi augmenter la fréquence des livraisons à ses magasins (chaque semaine) et utiliser un mode de transport coûteux (l’avion). Mais le prix à payer en vaut la peine, vu le succès planétaire de la chaîne.

En écourtant leur cycle de production, certaines entreprises réussissent à éliminer tous les risques associés à l’incertitude quant à la demande. Dell, par exemple, n’a pas besoin d’assembler un seul ordinateur avant d’en recevoir la commande, parce qu’elle peut réaliser l’opération en un temps record. Cela implique (comme dans le cas de Zara) des coûts plus élevés, puisque ses installations de production doivent se situer près de là où se trouvent ses clients, c’est-à-dire aux États-Unis, plutôt que dans des endroits où les coûts sont plus faibles, du moins pour ses principaux produits. Idem, Timbuk2, un fabricant de sacs très populaires, parvient à livrer à chacun de ses clients la marchandise qu’il a commandée (donc des commandes très diverses) en seulement deux ou trois jours. Comment ? En fabriquant ses sacs à San Francisco, et non en Chine.

2. Revoir ses contrats. Une autre façon de gérer le risque consiste à le transférer à d’autres : par exemple, en modifiant les contrats établis avec ses partenaires que sont les employés, les fournisseurs ou les clients.

Le cas de LiveOps, un fournisseur de services de contact avec la clientèle, est intéressant sur ce plan. Les fournisseurs traditionnels de tels services emploient des agents de service à la clientèle qui travaillent dans un centre d’appels. La quantité de demandes de services variant considérablement, le personnel est parfois sous-utilisé, mais à d’autres moments, les clients doivent attendre durant de longues minutes avant d’être servis, parce que le nombre d’appels dépasse la capacité des employés. La solution habituelle consiste à délocaliser le centre d’appels, en Inde par exemple.

LiveOps a repensé le problème. Au lieu d’engager et de former un grand nombre de personnes, l’entreprise a misé sur un bassin de travailleurs autonomes ; ce sont souvent des parents qui restent à la maison, parce qu’ils ne souhaitent pas occuper un emploi à heures fixes, et qui sont donc disponibles à différents moments tout au long de la journée. Quand ils ont du temps, ils se connectent au système informatique de LiveOps, et celui-ci leur achemine aussitôt des appels. Plus important encore, LiveOps ne paie ses agents que pour le temps qu’ils passent à répondre aux appels ; autrement dit, ce sont les employés eux-mêmes qui assument le risque d’être sous-utilisés. Ils acceptent cet état de fait en contrepartie de l’avantage de choisir leurs propres heures de travail et de travailler depuis leur domicile.

3. Profiter d’une meilleure information. Parfois, il est impossible d’écourter le processus de production ou de modifier ses relations avec ses partenaires. En pareil cas, on peut améliorer la qualité de l’information dont on dispose, pour s’engager avec moins de risques dans une nouvelle voie.

C’est exactement ce que le système de vote des clients de MyFab rend possible : le temps que l’entreprise gagne ainsi lui permet de fabriquer et de livrer ses meubles plus rapidement, si bien que l’endroit où se fait la production a beaucoup moins d’importance, parce que cela ne représente plus un avantage concurrentiel déterminant. Les données obtenues par MyFab grâce aux votes de sa clientèle lui permettent de prédire la demande avec précision — ou, en tout cas, mieux que ne peuvent le faire ses concurrents.

Oser prendre plus de risques

Nombreux sont ceux qui considèrent que le risque est quelque chose à éviter ou à éliminer — c’est-à-dire un effet secondaire indésirable de la gestion des ressources nécessaires pour produire et vendre un produit ou un service. Pourtant, comme l’économiste Robert Merton l’a maintes fois souligné, on peut au contraire affirmer que les entreprises qui parviennent à mieux gérer les risques que leurs concurrents créent ainsi de la valeur. Il en découle que, si une entreprise gère mieux que les autres un risque particulier, elle devrait l’intégrer davantage à ses activités.

L’histoire montre que bon nombre d’entre¬prises ont prospéré en innovant, donc en prenant plus de risques — souvent en modifiant les modalités des contrats établis avec leurs fournisseurs ou leurs clients. Dans les années 1970, la division de fabrication de moteurs d’avion de Rolls-Royce a compris que l’entretien des moteurs d’avion est associé à un risque majeur pour les transporteurs aériens. Le bris d’un moteur peut en effet entraîner des réparations coûteuses et clouer un appareil au sol pendant des semaines. Or, les compagnies aériennes, surtout les plus petites, n’ont pas toujours les ressources nécessaires pour faire face à ce type d’imprévus.

Rolls-Royce a alors lancé un tout nouveau contrat de services, intitulé « Power by the hour » (De la puissance à l’heure) : les transporteurs payaient à Rolls-Royce une certaine somme par heure de vol pour un moteur, plutôt que les pièces et le temps nécessaires à une éventuelle réparation. Bien sûr, une bonne partie de cette réduction du risque pour les compagnies aériennes s’est traduite par un coût plus élevé. Mais l’effet le plus important de ce transfert du risque a surtout été d’amener Rolls-Royce à améliorer son service à la clientèle, puisque, moins il y avait de problèmes et plus les réparations se faisaient rapidement, meilleurs étaient ses revenus. L’astuce a inspiré d’autres entreprises. Bombardier Transport, par exemple, facture en fonction des kilomètres que ses clients parcourent sur les voies ferrées ; et Caterpillar en fonction de la quantité de terre déplacée par les entreprises de construction.

Parfois, on accroît les risques en tentant de les éviter : il peut donc être plus facile de les gérer si l’on décide plutôt d’en assumer une grande partie. Pensons au secteur de la location de voitures, où le principal risque consiste à sous-utiliser les actifs, soit les véhicules. Les entreprises de location traditionnelles louent leurs voitures à la journée, si bien que les clients doivent payer pour une journée complète, même s’ils n’ont besoin du véhicule que pendant quelques heures ; c’est donc aux consommateurs d’assumer le risque de sous-utilisation du véhicule.

En 2000, Zipcar a changé la donne : les dirigeants de l’entreprise ont compris qu’en offrant la possibilité de louer une voiture à l’heure, ils attireraient des clients qui optaient jusque-là pour le taxi ou un service de limousine. Zipcar répondait de la sorte à un besoin, et pouvait donc se permettre de demander un prix de location horaire plus élevé, en comparaison avec l’équivalent chez ses concurrents. Aujourd’hui, les revenus annuels de Zipcar avoisinent les 200 millions de dollars américains.

Des avantages indéniables

Oser prendre des risques pour innover comporte un grand avantage : le coût de l’opération est peu élevé. Très souvent, pour innover, il faut générer un grand nombre d’idées, puis passer de longues réunions à les évaluer pour ne garder que les plus prometteuses. Ensuite, il faut construire des prototypes ou tester diverses versions, recueillir les réactions des clients ou des consommateurs et refaire des essais pour arriver au résultat final. La R & D implique souvent des coûts importants.

L’innovation qui s’appuie d’abord sur le risque ne requiert, quant à elle, que peu de dépenses, étant donné qu’il est relativement facile d’évaluer le risque à prendre pour atteindre l’objectif visé. Par exemple, Suzanne de Treville, professeure aux HEC Lausanne, et Lenos Trigeorgis, professeur à l’Université de Chypre, ont récemment décrit dans un article comment quantifier, en dollars, le coût d’une opération qui consiste à produire un bien ou un service dans un lieu plus rapproché mais à un prix plus élevé, plutôt que dans un lieu plus éloigné mais à un prix inférieur.

De plus, comme on l’a vu avec l’exemple de Zipcar (qui a repris grosso modo l’approche de Rolls-Royce) et celui de Zara (dont la stratégie s’apparente à celle de Dell), cette façon d’innover n’exige pas de longues expérimentations. Une entreprise en démarrage en Israël est d’ailleurs en train d’emprunter les idées de Zipcar et de Rolls-Royce pour lancer un véhicule électrique à grande échelle.

Certains croient qu’innover selon ce modèle ne procure pas un avantage concurrentiel du¬rable ; mais l’expérience prouve le contraire. Par exemple, au début de l’industrie automobile, Ford avait atteint un degré d’efficacité inégalé en produisant ses véhicules en série ; or, il a fallu des décennies aux autres constructeurs pour arriver à faire la même chose. Et, même si le système de production de Toyota a été décortiqué dans quantité d’ouvrages, les Américains ont encore bien du mal à l’implanter dans leurs usines.

Bref, si vous souhaitez vraiment gagner du terrain par rapport à vos concurrents, concentrez-vous un peu moins sur les efforts à faire pour améliorer vos produits et services, et réfléchissez plutôt à la manière dont vous, vos fournisseurs et vos clients pourriez mieux gérer, ensemble, les risques que posent les activités d’affaires qui vous rassemblent.

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