Votre équipe souffre-t-elle de stupidité fonctionnelle?

Publié le 01/06/2016 à 08:55

Votre équipe souffre-t-elle de stupidité fonctionnelle?

Publié le 01/06/2016 à 08:55

Plus une bévue est énorme, moins on s'en rend compte. Photo: DR

Parfois, il nous arrive de faire quelque chose de stupide au travail. De carrément stupide. Comme de ne pas porter les protections nécessaires sur un chantier. Comme de dépasser la limite de vitesse sur l'autoroute pour livrer la marchandise à l'heure. Ou encore, comme de crier ses quatre vérités à notre boss.

La question est dès lors la suivante : pourquoi avons-nous fait preuve d'une telle stupidité? Est-ce dû à notre bêtise crasse qui a fini par s'exprimer au grand jour? Ou bien, est-ce plutôt dû à la bêtise inhérente aux conditions de travail que nous connaissons, par exemple au fait que l'équipe dans laquelle on évolue souffre de dysfonctionnements tels que l'un ou l'autre finira toujours, un beau jour, par commettre une bévue monumentale? Autrement dit, est-ce dû à la bêtise de l'individu ou à celle du groupe?

Difficile de répondre, pensez-vous sûrement. Car on ne peut regarder ça qu'au cas par cas. Eh bien, je vous aurais donné raison si je n'étais pas tombé hier sur un livre formidable, à savoir Faisons simplexe de A à Z (puf, 2016) d'Angela Minzoni et Éléonore Mounoud, toutes deux professeures de management à CentraleSupélec. C'est que ce livre - vraiment formidable, je me permets de le souligner - permet de trancher. Explication.

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Comme son titre l'indique, Faisons simplexe de A à Z est un dictionnaire dont chaque mot tourne autour d'un thème, celui de la 'simplexité'. La simplexité? Il s'agit d'un concept aussi génial que révolutionnaire, tant il ouvre de nouvelles fenêtres sur la réalité de notre quotidien, tant au travail que dans la vie privée. Un concept inventé par Alain Berthoz, un ingénieur et neurophysiologiste français qui enseigne au Collège de France.

De quoi s'agit-il? «La simplexité, telle que je l'entends, est l'ensemble des solutions trouvées par les organismes vivants pour que, malgré la complexité des processus naturels, le cerveau puisse préparer l'acte et en projeter les conséquences», dit M. Berthoz dans son livre Simplexité.

Et d'ajouter : «La simplexité revient ainsi à découper en parties et à mettre en lumière ce qui nous paraît a priori complexe. Ce ne sont ni des raccourcis ni des résumés. Ce sont de nouvelles façons de poser les problèmes rencontrés, dans l'optique d'en arriver à des actions plus rapides, plus efficaces, plus raffinées. À l'image du vivant qui trouve des solutions élégantes pour résoudre des problèmes complexes».

L'air de rien, ce concept né en 2009 est en train de bouleverser nombre de domaines, dont le management. L'idée est, dans le cas présent, de s'inspirer du vivant, naturellement harmonieux, pour s'attaquer aux problèmes ardus que les entreprises et les équipes doivent résoudre jour après jour. D'où l'intérêt du livre Faisons simplexe de A à Z, qui fait le tour de nombre de problèmes organisationnels, mot après mot. Prenons un exemple...

> Stupidité fonctionnelle

«Dans une étude publiée en 2012, André Spicer, de l'École de commerce Cass de Londres (Grande-Bretagne), et Mats Alvesson, de l'Université de Lund (Suède), soulignent que de nombreuses entreprises, loin d'encourager leurs employés, même sur-diplômés, à utiliser toutes leurs capacités intellectuelles, les poussent plutôt à ne pas trop réfléchir et à simplement faire leur travail. (...)

«La stupidité fonctionnelle s'installe lorsque des personnes recrutées pour leur intelligence arrêtent de s'en servir parce que leur organisation les pousse à ne pas poser de questions difficiles. Réfléchir trop longuement à des difficultés et poser des questions gênantes deviennent des attitudes systématiquement découragées, les managers supprimant ou marginalisant tout doute. L'absence de réflexion critique permet ainsi de créer un état de consensus qui fait que les employés d'une organisation évitent de questionner les décisions et les stratégies.

«Paradoxalement, cela permet parfois d'augmenter la productivité. Quand les employés posent peu de questions, ils ont tendance à mieux s'entendre et à travailler plus efficacement, du moins en apparence, car ils effectuent le travail sans se poser de questions. Cette absence de critique suscite également une forme de reconnaissance (on est cordial, on ne crée pas de problèmes), ce qui peut même aider à gravir les échelons d'une entreprise.

«La stupidité fonctionnelle sert en fait à maintenir et à renforcer l'ordre ainsi qu'à créer de bons rapports entre salariés en période de croissance. Elle a dès lors, en un sens, un effet positif. En revanche, en cas de crise, cette 'lobotomisation' empêche les salariés de sortir des sentiers battus. C'est qu'en évitant toute forme de confrontation constructive les organisations se privent de ce qui fait l'essence même de l'échange des savoirs entre salariés.»

Dans leur étude intitulée A stupidity-based theory of organizations, MM. Spicer et Alvesson considèrent que la stupidité fonctionnelle est caractérisée par l'incapacité, délibérée ou pas, à mobiliser au moins l'un des trois aspects de la puissance cognitive d'une organisation. Et donc, par :

> Le manque de réflexivité. Dès lors que les employés se contentent de leur routine et ne remettent nullement en cause les valeurs et les pratiques en vigueur au sein de l'entreprise, il y a manque de réflexivité. L'absence de critique constructive empêche à ce moment-là la direction de bénéficier d'un feedback constructif de la part des salariés.

> Le manque de justification. Dès lors que la direction n'apporte aucune explication à chacune de ses décisions importantes, il y a manque de justification. L'absence d'argumentation empêche d'éviter que de mauvaises décisions - pour ne pas dire dramatiques - ne soient prises.

> Le manque de raisonnement approfondi. Dès lors que la direction se met à réfléchir en vase clos, il y a manque de raisonnement approfondi. L'absence de réflexion commune entraîne une certaine forme de myopie décisionnelle.

«Le manque de réflexivité, de justification ou de raisonnement approfondi mène droit à la stupidité fonctionnelle, notent MM. Spicer et Alvesson. De tels manques peuvent se repérer à certains signes :

- Le fait que les bons coups ne cessent d'être soulignés et que les mauvais coups, eux, sont systématiquement tus;

- Le fait que les doutes émis par certains salariés relativement à certaines décisions de la direction prises soient toujours écartés du revers de la main;

- Le fait que ceux qui posent trop de questions dérangeantes, mais pertinentes, soient automatiquement marginalisés;

- Etc.

«Ces manques-là trahissent la volonté, consciente ou pas, de la haute-direcion de manipuler ses troupes afin de les mener dans une seule et même direction. Ils montrent bien que les dirigeants entendent alors contrer toute action divergente, en anesthésiant toute velléité de sortir de la voie tracée. Ils instaurent, dans le fond, un climat de peur où intelligence et action sont toutes deux tétanisées.»

Voilà qui est dit. La stupidité fonctionnelle est par conséquent désarmante. Redoutablement désarmante. Et c'est ce qui fait toute sa force.

Alors, votre équipe, voire votre entreprise, souffre-t-elle de stupidité fonctionnelle? Y ressentez-vous au moins l'un des trois manques caractéristiques de ce véritable fléau? Si tel est le cas, eh bien, la première bonne nouvelle du jour, c'est que vous bénéficiez désormais d'une meilleure compréhension de l'origine des bévues lourdes de conséquences qui sont commises ici et là, à la stupeur générale. Et la seconde bonne nouvelle du jour, c'est que vous savez à présent sur quel levier jouer pour y remédier. Ce qui est pas mal, n'est-ce pas?

En passant, le philosophe français Michel de Montaigne a dit dans ses Essais : «L'affirmation et l'opiniâtreté sont signes exprès de bêtise».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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