Le truc ultrasimple de Jean Liu pour voler de succès en succès

Publié le 29/05/2018 à 06:06

Le truc ultrasimple de Jean Liu pour voler de succès en succès

Publié le 29/05/2018 à 06:06

Jean Liu est la PDG de DiDi Chuxing... Photo: DR

Jean Liu. Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de cette femme d’affaires chinoise de 40 ans, pourtant elle est aujourd’hui l’une des personnes les plus influentes de la planète. Ni plus ni moins.

Il se trouve que Jean Liu est la PDG de DiDi Chuxing (Bip Bip Mobilité, en français), la plus grande plateforme de transport par application de Chine (450 millions de clients dans quelque 400 villes) – et donc, du monde – depuis qu’elle a fait l’acquisition en 2016 d’Uber Chine à la suite d’un intense bras de fer commercial entre les deux rivaux. Ce fait de guerre lui vaut d’être à présent régulièrement présentée par les médias américains – Fast Company, Time, Fortune,… – comme une dirigeante d’entreprise qui est en train de changer le monde.

Pourquoi vous parler de Jean Liu aujourd’hui ? Parce qu’elle a une approche des affaires – et même du travail – à nulle autre pareille. Et c’est justement cette approche-là qui, je pense, lui permet de voler de succès en succès de façon exceptionnelle. Je m’explique...

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Au siège social de DiDi Chuxing à Beijing, Jean Liu occupe un tout petit bureau. Celui-ci pourrait ressembler à n’importe lequel des autres, sauf qu’une toile blanche rehaussée d’un proverbe bouddhiste trône sur le mur en arrière. Le message est le suivant : «Il convient de toujours rester humble et de toujours garder en tête le but qu’on s’est fixé».

Mine de rien, ce petit détail est fondamental. Car il ne s’agit pas d’une posture, mais bel et bien d’une philosophie d’affaires, pour ne pas dire de vie, née d’un drame personnel survenu en 2016, deux années seulement après avoir pris la tête de DiDi Chuxing. Un beau matin, tous les employés de la start-up technologique chinoise ont reçu un courriel de leur boss les avisant qu’elle avait… le cancer du sein ! Dans la foulée, elle leur promettait de revenir au travail d’ici deux mois, le temps de guérir (une promesse qu’elle est parvenue à tenir).

«Ces deux mois ont été une véritable torture pour moi, a confié la mère de trois enfants au magazine Wired. Je passais mon temps étendue sur un lit d’hôpital de Beijing, et les idées ne cessaient de tourner en rond sous mon crâne. Sur ce lit, j’ai fini par réaliser que si je devais mourir, je ne regretterais qu’une seule sorte de choses, à savoir toutes les choses dans lesquelles j’avais investi mon cœur. Rien d’autre.»

Et d’ajouter dans un même souffle : «J’ai compris que la pire erreur à faire, en affaires comme dans la vie privée, c’est de laisser le champ libre à notre ego, a-t-elle dit. En vérité, l’important dans ce qu’on fait n’est pas d’enregistrer une victoire ou une défaite. Mais plutôt d’afficher en permanence un bon état d’esprit.»

Qu’est-ce à dire, au juste ? Voici ce qu’elle a expliqué à ce sujet au magazine web Quartz : «L’univers technologique – et, à bien y regarder, l’humanité entière – pénètre de plus en plus loin en terra incognita, a expliqué Jean Liu. En conséquence, chaque avancée enregistrée par une entreprise a un impact de plus en plus important sur la vie des gens. Voilà pourquoi je considère que les entreprises et leurs dirigeants se doivent de faire preuve d’empathie. Il leur faut impérativement recourir à leur intelligence émotionnelle pour comprendre les vrais besoins des consommateurs et pour y répondre au mieux. Car le véritable enjeu n’est pas de créer une fracture, mais au contraire de nouer de nouveaux liens socioéconomiques grâce à la technologie.»

Concrètement, Jean Liu ne se perçoit plus en compétition avec quiconque, mais plutôt en situation plus ou moins propice de collaboration. La nuance est de taille. C’est ainsi qu’elle a rempli «Mission : Impossible» sur «Mission : Impossible» :

- La paix, pas la guerre. En août 2016, cela faisait deux années qu’Uber et DiDi Chuxing se livraient à une impitoyable guerre des prix pour conquérir le marché chinois des applications de transport. Une guerre si terrible que les deux menaçaient de disparaître. La PDG chinoise a alors eu une idée de génie : offrir la paix. Comment ? L’abandon de toutes les activités d’Uber en Chine en échange de 18% des actions de DiDi Chuxing. Deal.

- Un monde meilleur. En mai 2016, DiDi Chuxing a révélé qu’il venait de décrocher une manne de 4,5 G$ US, histoire de financer sa guerre frontale contre Uber. Parmi les investisseurs figuraient Apple (à hauteur de 1 G$ US), Alibaba et Tencent. Tim Cook, le PDG d’Apple, est tombé sous le charme non seulement de la PDG, mais aussi de sa façon d’innover, comme il l’a expliqué dans Time lorsque le magazine lui a demandé de rédiger le portrait de cette jeune entrepreneure atypique : «Jean Liu change le monde, et pas seulement avec ses efforts ambitieux pour améliorer la façon dont les Chinois vont au travail, voyagent et même se connectent physiquement entre eux, a-t-il noté. C’est qu’elle œuvre à rendre la vie plus facile et plus flexible pour des dizaines de millions de personnes. Elle et son équipe parviennent avec brio à atténuer la congestion des villes chinoises ; et ce, en recourant de manière innovante au big data, un peu comme les océanographes s’y prennent pour anticiper les marées plus hautes que la normale, voire les tsunamis.»

- Une idée séduisante. En février 2015, Jean Liu a été nommée PDG de DiDi Chuxing, un an après être entrée dans la start-up ; et en même temps a été officialisée l’acquisition de sa rivale chinoise Kuaidi Dache, sur laquelle elle avait travaillé d’arrache-pied. Au départ, personne ne croyait à une telle opération de fusion-acquisition. Elle est pourtant survenue en un clin d’œil, paraît-il grâce au fait que la jeune entrepreneure a tenu à ce qu’elle ne comporte ni fusion ni acquisition à proprement parler, mais plutôt une fission. En physique, on parle de fission lorsqu’on divise le noyau d’un atome lourd pour en dégager une énergie phénoménale ; ici, l’idée était à peu près la même, à savoir de casser et de reconfigurer au plus simple les noyaux des deux entités, histoire de procurer une toute nouvelle énergie à l’ensemble de la nouvelle entreprise. Une idée originale qui a visiblement séduit tout le monde.

Ce n’est pas tout. Jean Liu brille également par d’autres initiatives, qu’elle aborde toujours de manière consensuelle. Par exemple, elle tient à ce que les femmes aient une présence de plus en plus importante au sein des entreprises chinoises, à commencer au sein de DiDi Chuxing : 37% des postes technologiques y sont occupés par des femmes, ce qui est exceptionnel en Chine (et ailleurs dans le monde aussi, je pense) ; dans la même veine, elle a créé le DiDi Women’s Network, dont le but vise à aider les femmes de l’entreprise à combiner harmonieusement travail et vie privée. «Je ne veux plus qu’on dise que la famille est un «handicap» ou un «défi» pour la carrière d’une femme, a-t-elle dit. Au contraire, l’un doit être un levier de la performance de l’autre, pourvu qu’on mette en place des politiques internes en ce sens, des politiques que, tous ensemble, nous devons déterminer et soutenir jour après jour.»

Impressionnant, n’est-ce pas ? Je vous l’avais bien dit, Jean Liu est vraiment quelqu’un d’inspirant…

«Jeune, mon père m’avait donnée un conseil qui m’a marqué à vie, a-t-elle confié à Quartz. «Il n’y en aura pas de facile», m’avait-il dit. C’est tout, mais quand tu façonnes ta manière de voir les choses à partir de cette pensée, plus rien ne te paraît insurmontable. Tu sais que, quoi que tu entreprennes, ce sera dur, ce sera difficle, mais aussi que ce sera tripant : tu auras, chaque fois qu’une difficulté surviendra, une occasion en or de mettre en œuvre le meilleur de toi-même, voire de t’amuser, d’avoir du fun dans ce que tu fais !»

Une précision : Jean Liu est fille unique, et pas de n’importe qui ; son père est en effet Liu Chuanzhi, nul autre que le PDG et cofondateur de Lenovo…

Cette recette, Jean Liu l’applique au quotidien. Son nouveau «rêve» – elle ne parle pas de «défi», ni de «difficulté» – consiste ainsi à exporter les activités de DiDi Chuxing à l’étranger : la PDG a d’ores et déjà noué des liens d’affaires avec Lyft aux Etats-Unis, Ola en Inde et Grab à Singapour ; et ce n’est sûrement qu’un début.

«Très tôt dans la vie, j’ai réalisé qu’il était absurde de nous mettre des limites à nous-mêmes parce qu’on est une femme, une programmatrice ou une banquière, a-t-elle dit. Qu’il fallait saisir toutes les occasions qui se présentaient à nous – mieux encore, les provoquer – afin de devenir de meilleurs leaders, de meilleurs employés, bref de meilleures personnes. Sois curieuse, sois ouverte à la nouveauté et n’arrête jamais de grandir. Voilà ce que je me suis dit, voilà ma façon d’évoluer sans discontinuer, en harmonie avec mon écosystème.»

Bon. Que retenir de tout cela, à présent ? Ceci, à mon avis :

> Qui entend voler de succès en succès au travail se doit de faire preuve d’humilité et d’empathie. À l’image de Jean Liu, il lui faut arrêter de penser compétition pour penser collaboration. Il doit jeter son ego aux oubliettes pour se mettre au service d’autrui, que ce soit les besoins de la clientèle ou encore les talents de ses employés. Et ce faisant, ne pas hésiter à innover, pourvu que cela favorise la création de nouveaux liens entre les acteurs d’un même écosystème (tout comme l’a fait, par exemple, la PDG de Chuxing et refusant d’effectuer une opération de fusion-acquisition pour, à la place, entreprendre une opération de fission).

En passant, le peintre néerlandais Piet Mondrian aimait à dire : «La situation de l’artiste est humble ; il est essentiellement un canal».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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