Seriez-vous fauchés si les taux d'intérêt regrimpaient?

Publié le 03/06/2016 à 08:28

Seriez-vous fauchés si les taux d'intérêt regrimpaient?

Publié le 03/06/2016 à 08:28

Certains n'auraient plus un sou en poche... Photo: DR

Les taux directeurs des banques centrales sont au plus bas depuis des années dans la plupart des pays occidentaux, il faudra bien qu'un jour ils finissent par regrimper, et avec eux, les taux d'intérêt. Bien entendu, personne ne s'attend à ce que cela survienne demain, mais bon, il arrivera bien un jour — peut-être après-demain — où cela se produira. Et là, que se passera-t-il?

Oui, que se passera-t-il pour vos finances personnelles? Réaliserez-vous tout-à-coup que vous vous êtes trop endetté, et qu'il vous devient impossible de payer vos dettes? Et en ce cas, vous faudra-t-il, par exemple, remettre les clés de votre maison à votre banquier? Ou bien, cela ne changera-t-il pas grand chose pour vous?

La bonne nouvelle du jour, c'est qu'il y a moyen de répondre à ces interrogations. Car Hélène Bégin, économiste principale chez Desjardins, a effectué une simulation de ce que provoquerait une hausse significative des taux d'intérêt au Québec. Regardons tout ça ensemble...

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Pour commencer, il convient de faire un état des lieux. Il se trouve que le taux d'endettement des ménages a fortement grimpé depuis quinze ans au Québec : il est aujourd'hui de 155% alors qu'il était de 90% en 2000. Cela est dû en grande partie à la montée en flèche du taux d'endettement hypothécaire, qui est passé de 64 à 122,5% sur la même période de temps. Et ce, en raison du fait que le prix moyen des résidences a alors bondi de 100.000 à 275.000 dollars!

Du coup, les Québécois sont devenus nettement plus sensibles aux variations des taux d'intérêt qu'auparavant. A fortiori parce que, histoire de profiter de la baisse drastique des taux directeurs de ces derniers temps, de plus en plus d'entre eux ont adopté des prêts à taux variable : si l'on considère l'ensemble des prêts accordés aux particuliers — hypothécaires et à la consommation —, la proportion à taux variable est aujourd'hui supérieure à 30% alors qu'elle avoisinait 10% il y a quinze ans.

Résultat? La Banque du Canada considère maintenant que les ménages dont le poids des dettes est «excessif» se caractérisent par un ratio dettes/revenus supérieur à 350%; ce qui est actuellement le cas d'environ 4% des ménages québécois. Autrement dit, il y a d'ores et déjà au Québec 4% des ménages qui n'arrivent pas à payer leurs dettes, soit quelque 100.000 ménages qui sont littéralement étranglés sur le plan financier, pour qui les fins de mois sont un cauchemar sans nom.

Qu'adviendrait-il dès lors si les taux d'intérêt se remettaient à grimper? L'économiste principale de Desjardins a imaginé deux scénarii en ce sens :

> Scénario 1. Le taux de fonds à un jour augmente à 2% d'ici 2019, alors qu'il se situe actuellement à 0,50%.

> Scénario 2. Le taux de fonds à un jour atteint 4% en l'espace de cinq années.

À noter que ces scénarii-là ne sont pas farfelus. D'une part, la Banque du Canada estime qu'un tel taux serait compatible avec «une économie ayant atteint son plein potentiel» s'il se situait dans une fourchette de 2,75 à 3,75%. D'autre part, il convient de rappeler que ce même taux atteignait 5,75% au tout début du millénaire et 4,25% à la fin de 2007.

Mme Bégin a ainsi mis au jour le fait que :

> Une légère aggravation de la situation. Dans le cas du premier scénario, la part des ménages pris à la gorge ne bougerait pratiquement pas : 4,5% d'entre eux seraient considérés comme «vulnérables» alors que cette proportion est de 4% aujourd'hui. «Les ménages québécois semblent donc en mesure d'absorber sans trop de dommage des majorations limitées du coût d'emprunt», note-t-elle.

> Un impact négatif considérable. Dans le cas du second scénario, plus de 25.000 ménages additionnels basculeraient dans la zone rouge. Il y aurait par conséquent quelque 125.000 ménages en proie à de graves difficultés financières, soit un peu plus que 5,5% des ménages du Québec. «L'impact négatif serait considérable si jamais le taux de fonds à un jour de la Banque du Canada grimpait graduellement à 4% en l'espace de cinq ans», indique-t-elle.

Ce n'est pas tout. L'économiste principale de Desjardins ajoute que «70% de l'ensemble des ménages, donc plus de 2 millions de foyers, seraient touchés à divers degrés». Autrement dit, personne, ou presque, ne serait épargné par une remontée graduelle des taux d'intérêt. Oui, j'ai précisé «ou presque» parce que certains Québécois s'en sortiraient indemnes, soit 30% d'entre eux.

Comment cela est-il possible? C'est pourtant simple : 30% des ménages québécois n'ont aucune dette, selon l'enquête Canadian Financial Monitor de la firme de sondage Ipsos Reid. Il s'agit de ceux qui n'ont aucun produit de crédit ou bien de ceux qui y ont recours, mais s'acquittent systématiquement de leur solde mensuel. Leur stricte discipline leur permet de n'afficher aucune vulnérabilité financière. Ces personnes-là sont, en général, assez avancées en âge, et lorsqu'elles sont propriétaires, elles ont alors complètement remboursé leur hypothèque, dégageant par le fait même une marge de manoeuvre financière conséquente.

Bref, une hausse rapide et significative des taux d'intérêt aurait de graves répercussions pour la vaste majorité des Québécois. Une plus grande part d'entre eux aurait du mal à rembourser leurs emprunts. Et ceux qui ont contracté des prêts à taux variable en subiraient les effets à chacune des hausses du taux directeur de la Banque du Canada, devenant dès lors de plus en plus vulnérables. À tel point que 125.000 ménages pourraient se retrouver, du jour au lendemain, pris à la gorge.

Que va donc faire la Banque du Canada? Personne ne peut le dire, néanmoins il est clair qu'elle est dans une impasse : «La capacité des ménages à résister à la remontée des taux d'intérêt suscite pour elle de sérieuses préoccupations. Car elle a conscience que le niveau élevé d'endettement des ménages présente un risque important à moyen terme», dit Hélène Bégin dans son étude. Et d'ajouter : «Vu que l'augmentation du taux directeur semble en veilleuse d'ici la fin de l'an prochain, les ménages doivent saisir l'occasion pour assainir leurs bilans».

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Un rendez-vous hebdomadaire sur Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

À propos de ce blogue

ESPRESSONOMIE est le blogue économique d'Olivier Schmouker. Sa mission : éclairer l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui. Ce blogue hebdomadaire présente la particularité d'être publié en alternance dans le journal Les affaires (papier/iPad) et sur Lesaffaires.com. Olivier Schmouker est chroniqueur pour Les affaires et conférencier.

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