Fake data

Publié le 12/05/2018 à 06:06

Fake data

Publié le 12/05/2018 à 06:06

Bon. J'ai une confession à vous faire : il m'arrive de mentir. Mais exclusivement en ligne. Un exemple frappant : je mens systématiquement lorsque je suis obligé de remplir un questionnaire bourré de champs obligatoires pour pouvoir accéder à un document précieux à mes yeux ; je me transforme alors en Jean-Baptiste Poquelin (le vrai nom de Molière), et je fournis des informations farfelues.

Pourquoi est-ce que j'agis ainsi ? À la vérité, je ne le sais pas trop. Peut-être parce que je ne veux pas que quelqu'un, quelque part, ait en sa possession de précieuses informations sur moi.

Je dois vous avouer que ces mensonges à répétition me mettent mal à l'aise : je n'aime pas être faux. Mais voilà, j'estime que j'y suis contraint malgré moi, par la force des choses.

Ce qui me rassure, c'est que je ne suis pas le seul à mentir en ligne. Loin de là. Je l'ai découvert -avec soulagement - lors du CHI 2018, un événement qui a réuni en avril, à Montréal, plus de 3 300 chercheurs et entrepreneurs intéressés par l'interaction entre les êtres humains et la technologie. Shruti Sannon et deux autres chercheurs de l'Université Cornell, à Ithaca, aux États-Unis, se sont penchés l'an dernier sur ce phénomène et ont notamment procédé à un sondage qui leur a permis d'apprendre que - tenez-vous bien ! - 77 % des gens ont déjà menti en ligne à propos d'informations personnelles.

Pourquoi autant d'entre nous donnent de fausses données en ligne ? Les trois chercheurs ont creusé la question, et découvert quatre explications :

> La requête dérange. Nous mentons lorsque nous considérons la demande de données « inutile » ou « inappropriée ».

> Le demandeur est douteux. Nous mentons quand nous jugeons que celui qui fait la demande de données - un système informatique comme une personne - ne nous est « pas familier » ou ne nous inspire « pas confiance ».

> On vise un gain. Nous mentons pour accéder à un document ou à une information utile pour nous.

> Par évitement. Nous mentons pour « éviter d'éventuels problèmes », par exemple lorsque nous donnons un faux numéro de téléphone afin de ne pas être bombardé par la suite d'appels publicitaires.

« Les gens sont tout simplement méfiants, a dit Mme Sannon. Ils s'inquiètent de l'usage qui va être fait de leurs données personnelles et des répercussions négatives que cela pourra avoir sur eux. »

Le mensonge est donc une forme de protection. Le hic ? C'est que ceux qui ont besoin de données pour offrir un meilleur service ou produit croulent sous le « fake data », et sont bien souvent incapables de séparer le bon grain de l'ivraie.

« Si l'on veut avoir enfin du data fiable et exploitable, il est impératif de nouer un véritable lien de confiance avec les gens », a lancé au CHI 2018 Tsai-Wei Chen, designer d'expérience-utilisateur chez Optum, un fournisseur américain de technologies pour les régimes de soins de santé, avant d'expliciter sa propre trouvaille en ce sens.

La chercheuse a invité 302 personnes à se servir du prototype d'une toute nouvelle application, GreenByMe, qui permet d'être écolo au quotidien (ex. : où acheter des produits bio à proximité). Il allait de soi que plus l'app disposait de données personnelles, meilleurs seraient ses services. D'où son idée d'expérimenter différentes manières d'obtenir celles-ci - d'emblée, comme cela se fait classiquement ; en contexte, c'est-à-dire au moment où l'utilisateur cherche justement une information précise (ex. : quand il demande à l'app où trouver du tofu bio, celle-ci lui répond et lui demande dans la foulée s'il est végétarien) ; etc. -, puis d'analyser les réactions de chacun.

Partager plutôt que donner

Résultat ? « Les gens détestent donner leurs données personnelles, mais sont en revanche disposés à les partager », a-t-elle dit. Ce partage peut se faire à partir du moment où les utilisateurs comprennent la « pertinence » de l'information confiée pour les services rendus et où ils gardent le « plein contrôle » des données en question (ex. : l'application leur explique comment les modifier ou les supprimer du système à tout moment). « D'où l'importance pour le demandeur de données de faire preuve d'une totale transparence dans l'utilisation des informations récoltées », a-t-elle souligné.

Ce que confirme une autre étude, menée par Primal Wijesekera avec l'aide d'autres chercheurs de l'Université de Californie : « Quand on exige une information de manière opaque, on se bute à un taux de données erronées d'au moins 20 %, mais lorsqu'on présente adéquatement la demande, celui-ci chute comme par magie à 9,7 % », a-t-il dévoilé.

Adéquatement ? « Ça signifie que la récolte de données doit être empreinte de bienveillance », a-t-il dit, en précisant que cela pouvait notamment se faire « en ne récoltant à l'avenir que les données vraiment pertinentes pour le service rendu à utilisateur, et donc en arrêtant de glaner toutes sortes d'informations dans l'optique de les revendre à une tierce partie ». La pertinence des données récoltées est d'ailleurs une exigence de la General Data Protection Regulation (GDPR), qui entrera en vigueur le 25 mai dans l'Union européenne.

Voilà. Le jour où un entrepreneur aura saisi qu'il lui faut agir avec transparence et bienveillance avec nos données personnelles, peut-être changerons-nous d'attitude. Promis, je donnerai alors l'exemple !

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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