Il ne faut pas oublier l'immigration temporaire


Édition du 14 Juin 2023

Il ne faut pas oublier l'immigration temporaire


Édition du 14 Juin 2023

La pénurie de main-d’œuvre nécessitera le recours à plus de 100 000 travailleurs temporaires dans plusieurs industries et surtout pour le travail dans les champs (70 % en 2019). (Photo: Tim mossholder Unsplash)

CHRONIQUE. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, dit un adage. Il aura toutefois fallu attendre presque une décennie et trois ministres de l’Immigration pour y parvenir. Mais attention! Tout n’est pas réglé.

Le gouvernement Legault fera une consultation sur deux hypothèses: 1. maintenir à 50 000 le nombre d’immigrants permanents au Québec, incluant les étudiants étrangers; 2. en accepter 54 000 en 2025, 57 000 en 2026 et à 60 000 en 2027. S’ajouteraient à ce nombre 8000 étudiants étrangers, ce qui porterait le total à 68 000. C’est l’option favorisée par le gouvernement. Bravo!

Les employeurs s’en réjouissent, mais sur les 60 000, seulement 42 000 seraient des immigrants économiques, qui seront choisis par le Québec en fonction des besoins du marché. Plus de 10 000 viendront de la réunification familiale et plus de 7000 seront des réfugiés, deux programmes qui sont du ressort du fédéral.

La pénurie de main-d’œuvre, qui restera très importante à cause du vieillissement rapide de la population, nécessitera le recours à plus de 100 000 travailleurs temporaires dans plusieurs industries et non plus surtout pour le travail dans les champs (70% en 2019).

C’est un gros virage pour François Legault, qui avait fait campagne en 2008 avec un objectif électoraliste de seulement 40 000 immigrants permanents. Il avait porté ce chiffre à 50 000 lors de la campagne de 2022, en reconnaissance de la frilosité de nombreux Québécois quant à l’immigration.

La réforme entreprise en 2020 par Simon Jolin-Barrette fut catastrophique. En plus de laisser de côté quelque 18 000 dossiers d’immigration, ce dernier a restreint le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) en allongeant les durées minimales de travail des travailleurs et des étudiants étrangers, ce qui a eu pour effet de réduire la possibilité pour ces derniers d’obtenir un emploi au Québec après leurs études.

Sa successeure, Nadine Girault, a réduit la durée minimale de travail de 36 à 24 mois pour les travailleurs temporaires dans certains domaines et à une fourchette de 12 à 18 mois pour les étudiants étrangers en fonction de leur formation pour demander un certificat de sélection, mais cette réformette s’est avérée une illusion.

Le fédéral n’a rien fait pour aider. Il a retardé la délivrance des permis de résidence permanente, ce qui a nui aux étudiants étrangers (72% de refus en 2021 pour les Africains) pour, semble-t-il, ne pas dépasser les plafonds décrétés par le Québec. C’était kafkaïen: alors qu’Ottawa disait craindre que les étudiants étrangers ne veuillent retourner dans leur pays d’origine, Québec se disait ouvert à en accepter davantage. Résultat de ce sabotage : seulement 1958 étudiants étrangers ont été admis au fameux PEQ en 2022, comparativement à 8068 en 2021. Le message a été entendu: on ne vous veut pas ici, retournez dans votre pays d’origine!

 

Et la lumière fut…

L’ouverture à l’endroit de l’immigration permettra au gouvernement de recruter plus d’enseignantes et d’infirmières à l’étranger, aux employeurs de combler des besoins de main-d’œuvre dans des secteurs précis et aux universités et cégeps d’admettre plus d’étudiants étrangers, qui peuvent devenir rapidement une excellente source de travailleurs qualifiés.

Une étude de l’Institut du Québec a prouvé que les immigrants économiques s’intègrent très bien au marché du travail. La crainte plutôt injustifiée de leur intégration culturelle peut être contournée en faisant passer de 88 % à 96 % la proportion d’immigrants économiques francophones et francotropes (issus d’une région ayant des affinités avec le français). Cela prouve qu’il existe un réel bassin de locuteurs francophones si l’on se donne la peine de leur ouvrir nos portes et que l’on peut gérer l’immigration de façon à protéger le français. Les 4 % restants seront des candidats ayant des expertises particulières pour nos entreprises et nos centres de recherche. C’est le message qu’il faut passer, au lieu de faire passer les immigrants comme des boucs émissaires du déclin au français.

Un autre avantage de l’ouverture à l’immigration est la protection du poids démographique du Québec au sein de la fédération, qui est actuellement de 23 %. À 68 000 immigrants permanents par année à compter de 2027, le Québec perdra néanmoins beaucoup d’influence politique si le fédéral en vient à accueillir jusqu’à 500 000 immigrants par année.

Malgré la qualification linguistique des immigrants, il reste que leur intégration continuera d’être un défi. Ceux-ci auront besoin de services publics (éducation, santé, etc.) et de logements abordables, un secteur en pénurie. Il existe de très beaux exemples de villes et d’entreprises qui ont créé des structures d’accueil pour faciliter l’intégration des familles immigrantes et plusieurs communautés devraient s’inspirer de ces initiatives. De même, il faut éviter que les nouveaux venus se regroupent dans des ghettos culturels ou même religieux, sous l’influence de certains militants, et en viennent à s’isoler.

Les travailleurs étrangers temporaires présentent aussi un défi particulier puisque plusieurs arrivent avec une méconnaissance du français et, souvent, avec l’intention de s’installer chez nous. Ils peuvent se révéler très stratégiques pour notre société, sans oublier leur désir d’améliorer leur sort. D’eux aussi, il faut prendre soin.

 

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J’aime

En nommant Michael Sabia à la tête d’Hydro-Québec, le gouvernement Legault a choisi un gestionnaire aguerri, capable d’attaquer de front les grands défis de la transition énergétique au Québec. Michael Sabia va exécuter le plan stratégique du gouvernement, qui inclut une optimisation de la production et de la consommation d’électricité et l’inévitable négociation d’une entente multipartite (Québec, Terre-Neuve-et-Labrador, Innus du Québec et ceux du Labrador) sur l’exploitation du potentiel hydroélectrique du fleuve Churchill. Cela veut dire: 1. renégocier l’entente Québec-Terre-Neuve-et-Labrador sur Churchill Falls, qui expire en 2041; 2. réparer les dégâts laissés par le projet terre-neuvien de Muskrat Falls; 3. réaliser le projet prometteur de Gull Island. Michael Sabia sera vu comme crédible par Terre-Neuve-et-Labrador. Il a l’expérience des grandes sociétés (CN, BCE, Caisse de dépôt), il connaît les marchés financiers, il ne manque pas de courage managérial et il est axé sur les résultats.

 

Je n’aime pas

Tout indique que l’on se dirige vers une crise dans le secteur du logement. Alors que les loyers explosent et que la pénurie de logements frappe durement, même en région, on prévoit une chute de 40% de la construction de logements locatifs en 2023, après une baisse de 13% en 2022. Alors que les taux d’intérêt sont très élevés et que l’endettement hypothécaire est à un sommet, les banques resserrent le crédit et les programmes d’aide à l’accès à la propriété se révèlent insuffisants. Résultat: la propriété résidentielle pourrait devenir l’un des grands facteurs d’enrichissement et de différenciation entre les soi-disant riches (les propriétaires) et les démunis (les condamnés à rester locataires).

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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