Affaire Poëti : le prix à payer de l'aveuglement volontaire


Édition du 11 Juin 2016

Affaire Poëti : le prix à payer de l'aveuglement volontaire


Édition du 11 Juin 2016

C'est après avoir dit en commission parlementaire, le 18 mai dernier, qu'elle n'avait pas d'ordre à recevoir de son ministre sur le plan administratif que la sous-ministre des Transports du Québec (MTQ), Dominique Savoie, a perdu son poste.

Cette arrogance en a fait le bouc émissaire de la manoeuvre qui a permis au premier ministre Couillard de maintenir en poste son ministre des Transports, Jacques Daoust, après qu'il eut pris connaissance de la lettre dévastatrice d'Annie Trudel (enquêteuse recrutée par l'ancien ministre du MTQ, Robert Poëti, en juillet 2014) sur les graves entraves qui l'ont empêchée de faire son travail.

Cette lettre était, paraît-il, restée sur le bureau de Pierre Ouellet, alors chef de cabinet du ministre Daoust, de sorte que ce dernier n'en aurait pas été informé. Ce grave manque de jugement a amené le gouvernement à muter M. Ouellet également. On espérait montrer ainsi au peuple le leadership du premier ministre dans la gestion de cette crise. On nous annonçait de plus que la vérificatrice générale et l'Unité permanente anticorruption (UPAC) allaient enquêter sur le MTQ. Mme Savoie et M. Ouellet ont toutefois été replacés dans l'appareil politico-gouvernemental, preuve de la culture d'impunité existant dans ce milieu.

Grâce aux témoignages accablants, le 8 juin, d'Annie Trudel et de Louise Boily (cette dernière fut vérificatrice interne du MTQ jusqu'à sa rétrogradation injustifiée en octobre 2015 par la sous-ministre Savoie), on sait maintenant que la gestion du ministère était encore bien plus exécrable que ce que laissait croire la lettre qui a réveillé le bureau du premier ministre.

Annie Trudel, qui avait travaillé sous l'autorité de Jacques Duchesneau à l'Unité anticollusion du MTQ (maintenant intégrée à l'UPAC), avait pour mission de surveiller la mise en application des recommandations du rapport Duchesneau sur plusieurs lacunes observées dans la gestion du MTQ. Elle devait aussi vérifier si on avait mis en place de meilleures pratiques de gestion pour l'attribution et le suivi des contrats.

Or, Mme Trudel y fut accueillie comme un chien dans un jeu de quilles. La sous-ministre Savoie et ses acolytes ont tout fait pour l'empêcher de faire son travail et l'expulser du MTQ. Les irrégularités découvertes par Mme Trudel ont toutefois été remarquées par M. Poëti, qui en a fait part en vain à son successeur, Jacques Daoust, après le remaniement du 28 janvier dernier.

Il est plausible que M. Poëti, comme d'autres lanceurs d'alerte du MTQ, ait été évincé du conseil des ministres à cause de sa trop grande curiosité dans l'examen des pratiques de gestion douteuses de ce ministère. On ignore toutefois qui a eu sa tête.

Les dégâts de la bombe à retardement

Cette éviction a été une grave erreur. Au lieu de profiter des inquiétudes sérieuses de son ministre pour entreprendre le grand ménage qu'il nous promet maintenant, le premier ministre doit réparer les dégâts de la bombe à neutrons lancée par Annie Trudel et Louise Boily.

À l'instar d'Annie Trudel, Louise Boily a expliqué la façon dont, sans cesse, on l'a muselée, on a limité les enquêtes et on a nui à son travail de vérification. On lui a régulièrement demandé de modifier ses rapports. On a voulu en enlever des pages pour les présentations au comité d'audit externe. On l'a intimidée lorsque Dominique Savoie et ses acolytes ont su qu'elle avait transmis ses rapports d'audit à la commission Charbonneau.

Pire, Louise Boily a démontré que des rapports déposés à l'Assemblée nationale et à une commission parlementaire avaient été trafiqués de différentes façons, ce qui mérite une enquête et des sanctions. Pour sa part, Annie Trudel a précisé que la fameuse clé USB qu'elle avait remise à Pierre Ouellet et qui a été envoyée à l'UPAC avait aussi été trafiquée.

On est très loin ici des erreurs d'imprimante dont a déjà parlé le ministre Daoust. On s'aperçoit plutôt que le MTQ a été géré de façon hypocrite, cynique et malhonnête en vue de tromper les autorités politiques et la population. Il fallait à tout prix bien faire paraître le MTQ et protéger l'image de la petite clique qui le dirige.

Pour justifier son inaction, M. Couillard explique les déboires du MTQ par la culture en place. Il avait pourtant eu l'occasion de remédier à ce cancer lorsque l'ancien ministre Poëti a exprimé ses inquiétudes. Malheureusement, il a préféré tirer sur le messager. Il faudra bien plus qu'une autre enquête de la vérificatrice générale et de l'UPAC. Il faudra surtout un nouveau leadership à la haute direction du MTQ.

Ce que cette crise démontre aussi, c'est l'aveuglement volontaire inquiétant ou l'incompétence de la garde rapprochée du premier ministre. Une autre crise semble se préparer dans le secteur de la santé et des services sociaux. Il est grand temps que le premier ministre reprenne en main le gouvernail de son paquebot s'il veut limiter les dommages que pourraient causer les prochaines tempêtes.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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