Sans une économie forte, la Bourse brésilienne s'essoufflera

Publié le 03/09/2016 à 09:55, mis à jour le 03/09/2016 à 13:58

Sans une économie forte, la Bourse brésilienne s'essoufflera

Publié le 03/09/2016 à 09:55, mis à jour le 03/09/2016 à 13:58

ANALYSE DU RISQUE–En Bourse, l'action d'une entreprise perdra un jour ou l'autre de la valeur si la société n'arrive pas à générer de la croissance à long terme. Le Brésil est sensiblement dans la même situation: l'envolée de la Bourse brésilienne depuis janvier risque de mourir dans l'oeuf si l'économie n'arrive pas à redécoller, alors que la démocratie est fragilisée par la destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff.

C'est confirmé: la récession s'est installée dans la plus grande économie d'Amérique latine. Au deuxième trimestre, le PIB a reculé de 0,6% par rapport au trimestre précédent, selon l'Institut brésilien de géographie et statistiques. Il s'agit du sixième recul consécutif du PIB brésilien. En fait, le Brésil vit une crise économique bien pire que lors de la récession mondiale de 2008-2009, qui avait relativement épargné le pays.

Bref, l'économie réelle est très mal en point.

C'est un tout autre portait du côté du marché boursier du Brésil, l'un des plus dynamiques dans le monde ces derniers mois. Depuis janvier, l'indice phare de la Bourse de Sao Paulo -le BOVESPA- a bondi de 37%.

À titre de comparaison, le S&P 500 aux États-Unis a progressé de 8% sur la même période.

Toutefois, sur le long terme, la probabilité que la Bourse américaine poursuivre sa lancée–elle affiche actuellement son second cycle haussier le plus long de l'histoire, après celui de 1987 à 2000– est beaucoup plus élevée qu'au Brésil.

Et la raison en fort simple: l'économie américaine est dynamique et en croissance, tandis que celle du Brésil est sclérosée et immobilisée.

Le PIB américain devrait croître de 2,2% cette année et de 2,5% en 2017, selon le Fonds monétaire international (FMI). Pour sa part, l'économie Brésil devrait se contracter de 3,3% cette année, pour augmenter d'un mince 0,5% en 2017.

Or, l'année prochaine, l'ensemble des pays émergents et en développement devraient afficher une croissance économique de 4,6%. C'est dire l'ampleur des problèmes économiques qui affligent le Brésil.

La grande question est à savoir si le pays pourra relancer son économie sur fond de crise politique sans précédent depuis la fin de la dictature militaire (de 1964 à 1985). Et cette crise pourrait être beaucoup plus profonde qu'il n'y paraît, disent certains analystes.

Le 31 août, le sénat brésilien a chassé Dilma Rousseff du pouvoir, pour la remplacer pas un nouveau président, le conservateur Michel Temer. Ce dernier assurait l'intérim depuis la suspension, le 12 mai, de la première femme élue à la tête du pays.

Dilma Rousseff a été reconnue coupable de «crime de responsabilité», mais pas de corruption.

On lui reproche d'avoir engagé des dépenses sans avoir l'autorisation du parlement et maquillé les comptes publics, et ce, pour cacher l'ampleur des déficits avant l'élection présidentielle d'octobre 2014, où elle été réélue pour un second mandat.

Coup d'État?

En Amérique du Nord, en Europe et au Brésil, la plupart des médias ayant couvert le processus de destitution de Dilma Rousseff ont fait allusion à un processus pour écarter du pouvoir une politicienne qui a mal agi.

Or, tous ne sont pas de cet avis.

Selon certains analystes et médias, Dilma Roussef aurait été victime–elle l'affirme elle-même– d'un «coup d'État constitutionnel» pour chasser la gauche du pouvoir.

Deux raisons seraient à l'origine de ce coup d'État, selon une analyse de la Fondation Lauro Campos, une organisation politique de gauche du Brésil.

D'une part, on aurait écarté Dilma Rousseff afin de prévenir l'approfondissement des enquêtes menées par la police fédérale et le ministère public contre les principaux politiciens du pays, incluant le nouveau président Michel Temer, dans le cadre de l'opération Lava Jato.

Cette enquête a révélé l'existence d'un «système de pots-de-vin pharaonique» –pour reprendre l'expression du quotidien Le Monde– qui implique la société d'État pétrolière Petrobras.

D'autre part, on aurait chassé du pouvoir Dilam Rousseff en raison des faibles perspectives de croissance économique du Brésil à moyen terme.

En 2015, le gouvernement brésilien a lancé un programme d'austérité budgétaire, ce qui n'a pas empêché l'économie de se contracter de 3,8%. Malgré tout, les principales associations patronales du pays soutenaient toujours la présidente Rousseff et s'opposaient même à sa destitution.

Mais le vent a tourné lorsqu'il est apparu que la reprise mondiale ne se manifesterait qu'à partir de 2017, voire plus tard.

Or, comme le Brésil est un grand pays producteur de ressources naturelles (incluant d'hydrocarbures), tout ralentissement économique a un impact désastreux sur plusieurs industries.

C'est à ce moment que la procédure de destitution de Dilma Rousseff a commencé à gagner des appuis dans les milieux économiques et financiers, selon la Fondation Lauro Campos.

Même le réputé magazine allemand Der Spiegel affirme que nous sommes en présence d'un «coup d'État froid». En France, Le Monde a par contre titré un éditorial «Ceci n'est pas un coup d'État».

Qui a raison? Difficile de trancher avec certitude.

Chose certaine, la destitution de Dilma Rousseff risque de créer de l'instabilité politique dans le pays, sans parler de la méfiance d'une bonne partie de la population à l'égard des institutions.

Reste à voir comment réagiront les Brésiliens aux réformes impopulaires que souhaite lancer le nouveau président Temer pour relancer l'économie -depuis son intérim, il a du reste déjà commencé à réduire les dépenses en santé et en éducation.

«C'est la fin du grand contrat social qui s'annonce», soutien le magazine brésilien CartaCapital. En 1988, au lendemain de la dictature militaire, les élites et le peuple avaient conclu un pacte qui avait inauguré la «sociale-démocratie tropicale» au Brésil.

Un pacte qu'avait renforcé le président de gauche Lula da Silva de 2003-2011 (il a été inculpé le 26 août de corruption passive et blanchiment d’argent dans le cadre du scandale Petrobras) et qui a sorti des millions de Brésiliens de la misère.

Le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) du nouveau président Michel Temer (lui-même éclaboussé par le scandale de Petrobras) n'est au bout de ses peines.

Car si le modèle de l'État-providence n'a pu empêcher le Brésil de sombrer dans la récession, rien ne garantit que le modèle néolibéral proposé par Michel Temer y arrive à son tour.

L'exemple de la Grèce devrait inciter les investisseurs à la prudence.

Car, malgré tout les mesures d'austérité, l'économie grecque est toujours officiellement en récession depuis 2008, à l'exception d'une brève reprise en 2014.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand