L'ambition de la Chine mènera-t-elle à une guerre avec les États-Unis?

Publié le 26/08/2016 à 18:36

L'ambition de la Chine mènera-t-elle à une guerre avec les États-Unis?

Publié le 26/08/2016 à 18:36

source: Bloomberg

ANALYSE DU RISQUE - Dans le secteur privé, tout nouveau concurrent qui menace la position dominante du leader rencontrera de la résistance, le premier voulant gagner des parts de marché, le second les garder. Une résistance qui conduit souvent à la «guerre». Or, la dynamique est la même en géopolitique. Voilà pourquoi un conflit armé entre la Chine et les États-Unis représente un risque réel et croissant pour les investisseurs.

Toutefois, selon la plupart des spécialistes, le risque que la Chine et les États-Unis se fassent la guerre à court terme est relativement mince, malgré les tensions vives entre Pékin et Washington dans la mer de Chine méridionale, où les Chinois affirment de plus en plus leur souveraineté sur des îlots de cette zone stratégique.

Pourquoi?

D'une part, parce que Washington est toujours - et de loin - la puissance dominante dans la région Asie-Pacifique, une situation qui lui permet encore de contenir les ambitions géopolitiques de la Chine, sans parler de ses alliés comme le Japon.

D'autre part, parce le gouvernement chinois sait fort bien que son armée ne peut pas encore rivaliser avec celle des États-Unis -et la Chine n'a pas d'alliance militaire formelle avec aucun pays.

Bref, les deux pays ne veulent pas vraiment se faire la guerre, du moins pour l'instant.

Dans ce contexte, deux questions sont incontournables pour tenter d'évaluer un risque d'une collision à terme entre les deux géants du Pacifique:

- Pendant combien de temps encore les États-Unis pourront-ils contenir la Chine?

- Comment Washington réagira-t-il le jour où l'armée chinoise aura des capacités militaires et, surtout, une organisation et des capacités opérationnelles similaires à celles de l'armée américaine?

Gérard Chaliand, spécialiste des conflits internationaux et auteurs d'une vingtaine d'études géopolitiques, et Michel Jan, sinologue et auteur de nombreux livres sur l'Asie orientale, abordent ces enjeux dans l'essai Vers un nouvel ordre du monde, publié en 2013.

Mais avant d'aller plus loin, une mise au point s'impose: oubliez ce que vous lisez dans la presse généraliste; nous n'assistons pas à l'émergence de la Chine, mais à sa renaissance ou à sa réémergence économique, politique et militaire.

C'est essentiel pour voir la forêt, et pas seulement les arbres.

Quand la Chine était la puissance dominante

On l'oublie trop souvent, mais au 18e siècle, la Chine était la première puissance économique de la planète, un empire du Milieu qui avait une influence politique et culturelle considérable en Asie.

Les travaux de l'historien de l'économie Paul Bairoch (1930-1999) sont incontournables à ce sujet.

Ainsi, selon ses calculs (publiés notamment dans The Journal of Europeans Economic History, vol. II, no1, 1982), la Chine était la première économie mondiale en 1750. Elle abritait alors 32,8% de la production manufacturière, bien devant l'ensemble de l'Europe à 23,2%.

À l'époque, les États-Unis en abritaient seulement 0,1%.

Aujourd'hui, la Chine veut reprendre tout simplement sa place historique au sommet. C'est l'obsession de tous les dirigeants chinois depuis Mao Zedong: faire à nouveau de la Chine une grande puissance mondiale.

Selon Gérard Chaliand et Michel Jan, le projet des élites chinoises s'appuie sur plusieurs stratégies:

- Continuer les réformes économiques afin d'assurer une croissance économique équilibrée.

- Introduire des réformes politiques pour mieux asseoir la légitimité du parti communiste chinois.

- Mettre en place de conditions favorables à une réunification pacifique avec Taïwan, comme sur le modèle de Hong Kong, en 1997.

- Poursuivre les efforts entrepris pour établir un ordre international plus conforme aux intérêts et à la puissance de la Chine.

- Réaffirmer la détermination de Pékin à défendre ses intérêts grandissants.

Et selon les deux spécialistes, la Chine poursuivra inexorablement sa montée en puissance militaire pour atteindre ses objectifs.

Une montée en puissance qui fait en sorte que la Chine et les États-Unis sont entrés dans une sorte de course à l'armement qui n'est pas sans rappeler celle entre les Américains et les Russes pendant la guerre froide, soulignent des analystes.

Pourquoi les leçons de l'histoire sont rassurantes et inquiétantes

Or, c'est justement cette situation qui peut représenter un cocktail explosif, insiste Michel Jan dans le chapitre intitulé «Ce que veulent les dirigeants chinois».

«Si, dans le domaine de la défense et de la sécurité, l'avenir pouvait être projeté d'une manière linéaire, et en tenant compte dans ce cas de l'augmentation du budget de la défense, des déclarations et des ambitions proclamées par les chefs militaires, de la modernisation des forces, des progrès de l'industrie de la défense, des doctrines d'emploi, des revendications territoriales, de l'évolution des relations sino-américaines, la trajectoire mènerait assurément à un conflit avec certains pays voisins de la Chine, et finalement avec les États-Unis.»

Cela dit, il est possible que les deux puissances réussissent à cohabiter pacifiquement à long terme.

Pendant la guerre froide, les États-Unis et l'ex-URSS ont après tout pu éviter de s'affronter directement malgré leur rivalité. Cela dit, les deux pays sont quand même passés à deux doigts de l'apocalypse nucléaire lors de la crise des missiles à Cuba, en 1962.

L'histoire nous donne donc des raisons d'être optimistes, mais aussi d'être pessimistes...

Car, historiquement, la montée d'une nouvelle puissance a provoqué la plupart du temps des conflits armés. Pourquoi? Parce que l'arrivée d'un nouveau joueur sur l'échiquier mondial provoque une résistance des puissances dominatrices.

C'est exactement ce qui s'est produit au 20e siècle (l'un des plus sanglants), avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale (1914-1918), mais surtout de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), rappellent les historiens.

Dans la première moitié de ce siècle, deux puissances montantes, l'Allemagne et le Japon, ont provoqué un affrontement direct avec les puissances dominantes d'alors qu'étaient le Royaume-Uni, la France et les États-Unis.

La rare exception demeure justement les États-Unis, lors de leur propre montée en puissance économique, politique et militaire au 19e siècle et au début du 20e siècle.

Les Européens l'ont acceptée, car les États-Unis appartenaient à la même civilisation qu'eux (la civilisation occidentale) et que ce pays était une démocratie. Or, les spécialistes en relations internationales vous le diront: les démocraties se font rarement la guerre.

Le contexte est fort différent aujourd'hui avec la Chine et les États-Unis. Les pays puissances du Pacifique appartiennent à deux civilisations différentes, sans parler du fait que la Chine a un régime autoritaire et que les États-Unis sont une démocratie.

Une guerre sino-américaine est-elle inévitable? Oui, elle peut être évitée, mais ce risque est bel et bien réel.

Méfiez-vous de ceux et celles qui vous diront qu'une guerre est impossible en raison des relations économiques étroites entre la Chine et les États-Unis.

En 1914, le Royaume-Uni était le plus important partenaire économique de l'Allemagne. Et on connaît malheureusement la suite...

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand