Comment les inégalités créent les guerres commerciales

Publié le 26/10/2019 à 09:00

Comment les inégalités créent les guerres commerciales

Publié le 26/10/2019 à 09:00

Le président américain Donald Trump et le président chinois Xi Jinping (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Ceux qui misent sur l’élection d’un démocrate à la Maison-Blanche en 2020 pour enterrer la hache de guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine devront déchanter. Les causes profondes des tensions commerciales dans le monde ont beaucoup plus à voir avec la stagnation du pouvoir d'achat et la montée des inégalités qu’avec la personnalité du président Donald Trump.

C’est du moins la théorie soutenue par Michael Pettis, fellow senior au Carnegie-Tsinghua Center for Global Policy et professeur de finance à l’Université Peking, dans une tribune publiée dans Foreign Policy (Why Trade Wars Are Inevitable).

Il est aussi coauteur avec Matthew C. Klein d'un nouvel essai qui s’intitule Trade Wars Are Class Wars : how rising inequality distorts the global economy and threatens international peace.

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Pour la plupart des analystes, Donald Trump est le grand responsable du déclenchement de la guerre commerciale avec la Chine, qui bouleverse le commerce international et qui crée beaucoup d’incertitude auprès des entreprises et des investisseurs.

Il est vrai que c’est le président qui a lancé la première salve en imposant des tarifs sur des importations chinoises aux États-Unis, salve à laquelle les Chinois ont répliqué en imposant leurs propres tarifs sur des importations américaines en Chine.

Donald Trump veut réduire le déficit commercial croissant des États-Unis avec la Chine, qui s’est élevé à 420 milliards de dollars américains en 2018, selon le United States Census Bureau.

Il veut aussi protéger la propriété intellectuelle des industries américaines, en plus de limiter la nouvelle concurrence chinoise mise de l’avant par la politique du Made in China 2025 dans des secteurs de pointe comme l’aérospatiale, les nouveaux matériaux ou la biopharmaceutique.

Michael Pettis ne nie pas ces faits.

En revanche, il affirme qu’il faut aller plus loin dans l’analyse afin de comprendre comment se créent les surplus commerciaux dans le monde.

Les mythes qui faussent l’analyse

Et il commence en s’attaquant aux idées reçues.

«Les excédents commerciaux d’aujourd’hui ne résultent pas d’une efficacité de fabrication exceptionnelle ou d’une main-d’œuvre très travaillante ou d’un taux d’épargne très élevé», écrit-il, en donnant l’exemple du Japon.

Ce pays affiche le deuxième plus grand surplus commercial dans le monde (après l’Allemagne), alors que son taux d’épargne est pratiquement nul depuis 15 ans.

En fait, la principale cause d'un surplus commercial dans un pays réside plutôt dans l’incapacité des consommateurs d’acheter à grande échelle la production locale de biens et de services en raison de la faiblesse de leur pouvoir d’achat et des inégalités économiques.

Michael Pettis donne l’exemple de la Chine.

«Au cours des deux dernières décennies, la part des revenus en Chine gagnés par les ménages chinois a été la plus basse de tous les pays de l’histoire moderne. Cela signifie que les travailleurs chinois ne peuvent consommer qu'une petite partie de ce qu'ils produisent», écrit l’intellectuel.

Certes, depuis les réformes économiques lancées par le leader Deng Xiaoping à la fin des années 1970 et l’ouverture du pays au commerce international, la Chine a réussi à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté.

Actuellement, quelque 400 millions de Chinois font partie de la classe moyenne, selon diverses analyses, dont celle de la firme d’intelligence d’affaires China Briefing.

Or, même si la classe moyenne chinoise surpasse la population des États-Unis (327 millions d’habitants), elle ne représente que 29% de l’ensemble des 1,4 milliard d’habitants en Chine.

Malgré une croissance économique fulgurante depuis 30 ans, d'importantes inégalités économiques persistent en Chine. (Photo: Getty Images)

Une situation qui représente un déséquilibre important, souligne Michael Pettis.

La Chine n’est pas un cas unique.

L’Allemagne, qui affiche le plus important surplus commercial au monde, se retrouve dans la même situation, fait remarquer Michael Pettis.

Les salaires y stagnent depuis la réforme économique du début des années 2000. Comme les consommateurs ne peuvent acheter qu'une partie de la hausse de la production nationale depuis une vingtaine d'années, les entreprises allemandes doivent exporter de plus en plus pour vendre leurs biens et leurs services.

Dans ce contexte, quel est le pays qui peut absorber les surplus de production dans le monde?

Vous l'avez deviné, ce sont les États-Unis.

Les États-Unis ne peuvent plus absorber les surplus commerciaux

Après la Deuxième Guerre mondiale, l’économie américaine a plus que jamais joué ce rôle, quand l’Allemagne et le Japon ont reconstruit leur économie pour exporter une partie de leur surplus de production aux États-Unis.

La renaissance économique de la Chine depuis 40 ans a aussi accentué la pression sur l’économie américaine, avec une hausse constante des exportations chinoises chez nos voisins américains.

Actuellement, les États-Unis représentent 23,6 % du PIB mondial, selon le Fonds monétaire international (FMI). Ils sont suivis par la Chine (15,5%), le Japon (5,7%) et l’Allemagne (4,6%). 

En 1945, l'économie américaine représentait pratiquement 50% du PIB mondial.

Selon Michael Pettis, c’est purement mathématique : les États-Unis peuvent de moins en moins jouer le rôle de récepteur des surplus commerciaux des principales économies de la planète.

C'est pourquoi il affirme que la politique commerciale de Donald Trump n’est en fait que la conséquence logique de ce déséquilibre dans les échanges internationaux.

Bref, un jour ou l’autre, un président américain aurait adopté des politiques pour rétablir l’équilibre avec des tarifs douaniers et des négociations pour ouvrir davantage les marchés étrangers.

Par contre, à long terme, Michael Pettis affirme qu’il n’y a qu’une véritable solution pour rétablir l’équilibre et diminuer les risques de futures guerres commerciales : il faut réduire les inégalités dans le monde et à l’intérieur des pays afin d’augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs, notamment Chine, mais aussi au Japon et en Allemagne.

Cet enjeu est crucial pour les entreprises et les investisseurs.

Si les gouvernements n’y arrivent pas, les guerres commerciales risquent de devenir inévitables et fréquentes dans les prochaines décennies.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand