ALÉNA: Donald Trump bluffe encore

Publié le 26/08/2017 à 09:28

ALÉNA: Donald Trump bluffe encore

Publié le 26/08/2017 à 09:28

Le président américain Donald Trump (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Donald Trump a fait monter cette semaine d’un cran l’incertitude à propos de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), en affirmant qu’il finirait «probablement» par résilier l’entente «à un certain moment». Ottawa et Mexico sont restés de marbre, car il s’agit avant tout d’une stratégie de négociation. Bref, c’est du bluff. Encore une fois.

À la fin avril, certains médias américains, dont Politico et CNBC, avaient rapporté que l’administration Trump était en train de préparer un décret afin de retirer les États-Unis de l’ALÉNA. Or, cette démarche n’a jamais abouti, et le processus de renégociation de l’accord a poursuivi son cours.

C’est donc la deuxième fois en quatre mois que Donald Trump évoque la fin du libre-échange nord-américain, sans parler des menaces qu’il a brandies durant l’élection présidentielle en 2016.

Par conséquent, aussi imprévisible soit-il, le président américain devient paradoxalement prévisible dans ses sorties publiques pour casser du sucre sur le dos de l’ALÉNA.

Il crie au loup afin de faire peur au Canada et au Mexique. Son objectif? Obtenir les meilleures concessions possibles pour les travailleurs et les ouvriers américains, sa base électorale.

C’est de bonne guerre.

Mais arrêtons de notre côté, surtout dans les milieux d’affaires, de trembler chaque fois que Donald Trump secoue cet épouvantail. Car la fin de l’ALÉNA est peu probable, et celle du libre-échange canado-américain est encore plus improbable.

Trump ne peut pas sortir à lui seul les États-Unis de l'ALÉNA

Regardons tout d’abord cette question d’un strict point de vue juridique.

Les États-Unis ne peuvent pas se retirer unilatéralement de l'ALÉNA sans l'approbation du Congrès américain, selon un avis du cabinet Dentons Canada.

Pourquoi? Parce que l'ALÉNA est un accord «congrès-exécutif» créé par la loi, et non par traité. Par conséquent, le président des États-Unis ne peut donc le résilier -ou même le renégocier- sans l’aval du Congrès.

Et il est hautement improbable qu’une majorité de représentants et sénateurs votent un jour en faveur d’un retrait pur et simple des États-Unis de l'ALÉNA.

Mais bon, imaginons que le Congrès appuie Donald Trump dans cette démarche.

Eh bien, le Canada a une police d'assurance: l'Accord de libre-échange (ALÉ), entré en vigueur en 1989, mais qui a été remplacé par l'ALÉNA en 1994.

Dans un récent entretien à Les Affaires, Gordon Ritchie, l'un des architectes de l'ALÉ, aujourd'hui conseiller chez Hill+Knowlton Stratégies à Ottawa, affirmait que cet accord pourrait être réactivé si jamais les États-Unis quittaient l'ALÉNA.

Imaginons un scénario encore plus improbable: les États-Unis ont quitté l’ALÉNA, et tentent par la suite de saborder le libre-échange canado-américain.

Là aussi, on voit très mal comment le Congrès pourrait appuyer pareil scénario. America Inc. monterait à coup sûr aux barricades et probablement certains syndicats américains.

Les économies sont trop intégrées pour supprimer le libre-échange

Car, loin d’être parfait, le libre-échange entre le Canada et les États-Unis a été globalement bénéfique pour les deux pays, affirment la plupart des économistes des deux côtés de la frontière.

Les entreprises américaines peuvent investir et exporter plus facilement au Canada. Les importations sont plus fluides et moins dispendieuses, même si le taux de change peut parfois changer la donne.

De plus, au fil des décennies, nos deux économies sont aussi devenues de plus en plus intégrées, notamment dans les secteurs de l’automobile et de l’aluminium.

Les échanges de biens et de services entre le Canada et les États-Unis totalisent 2,4 milliards de dollars canadiens par jour.

C’est considérable.

Aussi, rétablir des tarifs douaniers entre l'État de New York et le Québec serait aussi irrationnel que d'en imposer entre cet État et la Pennsylvanie ou entre le New Hampshire et le Massachusetts.

Le géant américain IBM a une usine à Bromont, au Québec, et à Essex Junction, au Vermont. Or, les deux usines fonctionnent en juste à temps sur une base quotidienne malgré la frontière.

Vous imaginez la paperasse si IBM devait payer des tarifs douaniers ?

Des exemples comme IBM, on en compte des milliers en Amérique du Nord, car c’est dans l'intérêt des entreprises canadiennes et américaines, qui se complètent très bien dans les chaînes d’approvisionnement.

Cela dit, renégocier l'ALÉNA n'est pas une mauvaise chose.

Comme le traité a eu 23 ans en janvier, il a donc besoin d'une mise à jour, car il est devenu un peu poussiéreux. Nous n’avons qu’à penser aux technologies de l'information. Elles étaient à leurs premiers pas quand le traité a été négocié au début des années 1990…

Mais nul besoin de retirer les États-Unis de l’ALÉNA. Si une maison à des défauts, on ne la brûle pas; on la rénove avec de nouveaux matériaux, de nouvelles idées.

Saborder l’ALÉNA, voire l’ALÉ, n'a pas de sens ni pour le Canada ni pour les États-Unis, et encore moins pour les entreprises, les travailleurs et les consommateurs américains.

Et cela, Donald Trump le sait certainement.

Car, au-delà de sa stratégie politique partisane, c’est un homme d’affaires.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand