Les fiscalistes, comme des chiens qui se mordent la queue

Publié le 02/03/2018 à 07:00

Les fiscalistes, comme des chiens qui se mordent la queue

Publié le 02/03/2018 à 07:00

Depuis le dévoilement du budget fédéral, mardi, les fiscalistes peuvent s’interroger sur les intentions du ministre des Finances Bill Morneau et de sa réforme fiscale des PME. Cherchaient-ils l’équité fiscale? Ou à les pousser vers la dépression?

Je ne doute pas que la réforme soit motivée par un idéal de justice. Pour la mise en oeuvre cependant, je soupçonne le ministre d’avoir préféré les moyens les plus frustrants pour les champions de l’optimisation fiscale.

Bill Morneau distille depuis huit mois les amendements à son projet dont l’objectif, rappelons-le, est de restreindre l’accès à certains avantages fiscaux qui profitaient aux entrepreneurs et aux professionnels incorporés. Évidemment, cela a mobilisé leurs conseillers, qui ont multiplié les représentations auprès du ministre des Finances pour qu’il renonce à son projet.

Je ne veux pas pleurer ici sur le sort des membres de la confrérie fiscale qui, au final, ont su grandement limiter les pertes de leurs clients. Le plan original d’Ottawa présenté en juillet augurait bien pire, le lobby comptable a réussi à sauver les meubles, et plus encore. L’incorporation restera rentable, je vous rassure.

J’aimerais seulement relever un fait cocasse qui illustre les relations entre les chantres de l’optimisation et le ministère des Finances. On dirait qu’ils jouent à la cachette. C’est aussi l’occasion de vous raconter un peu comment se passe une journée cloîtré  à Ottawa pour la présentation d’un budget.

C’est mardi donc, il fait beau, mais nous n’en profiterons pas. Nous sommes des dizaines de journalistes accompagnés d’experts enfermés dès 9h30 pour décortiquer le contenu du document budgétaire intitulé Équité + croissance/classe moyenne forte. On a déjà en main le discours que Bill Morneau prononcera à la fin de la journée à la Chambre des communes. Le matin, une ambiance studieuse règne dans la salle où nous sommes réunis, on se croirait aux examens du ministère, au temps du secondaire. Alimentée par des conversations techniques, les directives de fonctionnaires et la conférence de presse de Bill Morneau, une cacophonie s’empare de la salle en après-midi. La tension monte à mesure qu’on s’approche de la levée du huis clos.

Comme de nombreux fiscalistes, j’étais impatient de connaître la conclusion de l’interminable saga de la réforme fiscale, le budget promettait de mettre le point final sur la controversée question des revenus de placements passifs à l’intérieur des sociétés.

Évidemment, les experts en fiscalité sur les lieux comprennent avant moi la teneur du budget sur ce sujet. À travers le bourdonnement, l’un d’eux s’écrie à un de mes collègues:

«Il n’y pas de granpérisation!»

«Es-tu certain?»

«Je te le dis!»

Ah bon?

Au mois d’octobre, Bill Morneau avait promis d’épargner des effets de sa réforme les revenus passifs générés par des placements déjà accumulés à l’intérieur d’une société. En accordant une clause grand-père à ceux qui détenaient déjà d’importants actifs financiers dans une compagnie, la réforme ne serait pas rétroactive.

Le ministre des Finances s’est libéré de cette promesse de façon habile, il faut le dire. Nous apprenons qu’il n’imposera pas davantage aucun des revenus de placements à l’intérieur des entreprises (promesse tenue), mais qu’il augmenterait l’impôt des sociétés dans lesquelles les revenus de placement dépassent 50 000 dollars, qu’importe qu’ils soient générés par des nouveaux ou des anciens actifs financiers. En d’autres mots, plutôt que de toucher à l’impôt sur les revenus de placements, Ottawa augmentera l’impôt sur les revenus générés par les activités de l’entreprise.

Lire Fiscalité des PME: Ottawa sort le (petit) bâton

Je comprends que des fiscalistes, dont certains sont dans la salle, devront rendre des comptes à leurs clients. Le plan qu’ils ont élaboré pour eux des semaines plus tôt tombe à l’eau. Comment leur dire qu’ils se sont plantés?

C’est que, convaincus que les revenus passifs sur des actifs déjà accumulés dans les entreprises allaient être dispensés d’un impôt supplémentaire, des conseillers astucieux ont incité leurs clients à en mettre le plus possible à l’abri avant l’entrée en vigueur de la réforme. Des entrepreneurs et des professionnels se sont fait conseiller d’emprunter pour bourrer le portefeuille de placements de leur société, question de maximiser la clause «grand-père».

Et maintenant quoi? Plutôt que leur faire sauver de l’argent, ça pourrait leur en coûter. À cause de ces manoeuvres, des entrepreneurs se retrouvent peut-être avec suffisamment de revenus de placements passifs pour voir leur entreprise frappée d’un impôt plus élevé.

Que faire dans ce cas? Eh bien, il faudra démonter toute l’affaire, vendre les placements, rembourser le prêt et sans doute payer la facture du conseiller.

Que retenir de cette anecdote? Que les champions de l’optimisation sont dressés pour renifler les failles d’un système dont ils cherchent à tester sans cesse les limites. Jusqu’à ce qu’une réforme fiscale leur tombe dessus!

Comme des chiens qui se mordent la queue.

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.