Rona : l'enjeu de la langue

Publié le 17/11/2012 à 00:00

Rona : l'enjeu de la langue

Publié le 17/11/2012 à 00:00

Par Marie-Eve Fournier

La destinée de Rona, fleuron de l'économie québécoise, sera-t-elle prise en charge par un anglophone pour la première fois depuis sa création en 1939 ?

«Ça m'apparaît clair que le prochain président sera un anglophone. L'establishment de Toronto va vouloir ça. Dans le reste du Canada, c'est systématique, on se demande quand Rona sera vraiment une entreprise canadienne avec un président anglophone. J'entends ça 15 ou 20 fois par année», a affirmé à Les Affaires une source de l'industrie qui a requis l'anonymat.

Dans ces circonstances, les chances qu'un Québécois «pure laine» succède à Robert Dutton - qui ne parlait pas anglais lors de sa nomination en 1992, mais qui l'a très bien appris par la suite - sont nulles, dit-il.

Sans être aussi catégorique, le directeur exécutif de la School of Retailing de l'Université de l'Alberta, Paul McElhone, croit aussi qu'un anglophone prendra la relève «étant donné la taille et la portée de Rona». À son avis, la firme de recrutement ne cherchera pas seulement à pourvoir le poste au Canada. «Je ne serais pas surpris qu'ils regardent du côté des États-Unis, où les gestionnaires qui dirigent des sociétés aussi grandes et plus grandes que Rona sont nombreux. Cela amènerait une nouvelle expertise dans le contexte où les détaillants américains sont nombreux au Canada.»

Un ex-employé de haut niveau de Rona confirme que le quincaillier a toujours été perçu comme «très francophone dans le marché de Toronto» et que «ça dérange un peu le marché... surtout quand les résultats ne sont pas là». Le gestionnaire des Fonds ABC (3 % de Rona) Irwin Michael, de même que l'analyste Mark Petrie, de CIBC Marchés mondiaux, affirment tous deux n'avoir jamais rien entendu de tel.

Différences culturelles

Mais Michael McLarney, directeur de la North American Retail Hardware Association et éditeur de la revue spécialisée Hardlines, admet (et déplore) que certains fournisseurs de Rona ont «de la difficulté à composer avec les différences culturelles évidentes entre le Québec et le reste du Canada».

Qu'est-ce qui les irrite, concrètement ? «C'est la même chose que le beau-frère avec qui tu ne t'entends pas au souper de Noël sans trop savoir pourquoi.»

Dans un monde idéal, le prochain président de Rona serait «un Européen qui parle plusieurs langues et qui est sensible aux différences culturelles, estime Michael McLarney. Un Canadien anglais, ce n'est pas la bonne réponse».

Pour David Soberman, professeur de marketing à la Rotman School of Management de l'Université de Toronto, il est «farfelu», voire «xénophobe» de croire qu'un francophone ne pourrait pas être choisi. «Au Québec, c'est une grande force de parler français dans ses relations avec les parties prenantes. Cela dit, une personne qui gère une entreprise comme Rona doit être bilingue.»

À la Caisse de dépôt et placement du Québec, on ne veut pas dire si l'on accepterait la nomination d'un unilingue anglophone à la tête de l'entreprise de Boucherville. «C'est un processus [le recrutement] qui relève du CA», écrit dans un courriel le porte-parole Maxime Chagnon.

La recherche d'un nouveau pdg a été confiée à Korn/Ferry International, une firme de recrutement de Los Angeles qui possède notamment un bureau à Montréal. Sa directrice, Brigitte Simard, n'était pas disponible pour nous accorder une entrevue.

2,5 M$

L'offre non contraignante et non sollicitée d'acquisition de Rona par l'américaine Lowe's a coûté 2,5 M$ au quincaillier de Boucherville en frais de toutes sortes. De plus, les rumeurs d'acquisition ont «grandement affecté le recrutement de marchands depuis 12 ou 18 mois». Plusieurs propriétaires de petites quincailleries avec qui des discussions avaient été entamées «n'étaient pas prêts à mettre en péril leurs opérations dans un tel climat d'incertitude, a confié le premier vice-président et chef de la direction financière, Dominique Boies, en entrevue avec Les Affaires. Si on compare à notre moyenne des 3 ou 4 dernières années, le nombre de magasins recrutés a diminué de moitié», passant de 10 à 5.

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