«Le statu quo est l'ennemi principal» - Jean-François Bouchard, pdg de Sid Lee

Publié le 19/05/2012 à 00:00

«Le statu quo est l'ennemi principal» - Jean-François Bouchard, pdg de Sid Lee

Publié le 19/05/2012 à 00:00

Par Marie-Claude Morin

Design, architecture, publicité, événements : l'agence montréalaise Sid Lee fait voler en éclats les limites de la créativité. Saluant l'obtention d'un contrat avec Dell, qui s'ajoute à des mandats auprès d'Adidas, de Red Bull et d'IMAX, le magazine américain Forbes la fait figurer au quatrième rang des agences les plus efficaces de l'Amérique du Nord. Que signifie la créativité pour Jean-François Bouchard, son pdg ? Les Affaires l'a rencontré à son bureau du Vieux-Montréal.

Les Affaires - Qu'est-ce que la créativité pour vous ?

Jean-François Bouchard - C'est le fait de proposer des solutions innovantes à des problèmes d'affaires. Évidemment, il y a beaucoup d'autres manières d'être créatif, avec un caractère plus artistique, mais le lien entre commerce et créativité est très étroit pour nous. On pense parfois aux gens de création comme étant des artistes, des personnes un peu déconnectées. Pour nous, ce sont plutôt des gens très au fait de ce qui se passe, tout à fait aptes à trouver des solutions. Il fut un temps où la créativité était un geste solitaire, porté par un individu travaillant parfois même en autarcie complète. Tout change tellement vite aujourd'hui qu'on encourage notre personnel à travailler en collaboration et dans un état constant d'interactions avec le reste du monde.

L.A. - Innée ou acquise, la création ?

J.-F.B. - Pour la plupart des gens, ce n'est pas noir ou blanc, mais cela relève plutôt d'un spectre. Il y a des gens qui semblent clairement être tombés dedans quand ils étaient petits, alors que d'autres n'ont pas d'intérêt ou de capacité à penser de façon imaginative. Ces deux extrêmes sont connus. La vraie question est la suivante : celui qui se trouve entre les deux peut-il évoluer en adoptant une démarche de créativité et d'innovation ? Je suis profondément convaincu que oui, et je pense que ça dépend beaucoup de l'environnement dans lequel il se trouve. Il y a des gens chez Sid Lee qui, placés dans un autre contexte, n'exprimeraient pas leur créativité. Inversement, il y a probablement des gens ailleurs qui l'exprimeraient plus aisément s'ils étaient placés dans un contexte comme le nôtre.

L.A. - Quels éléments, justement, permettent de faire preuve de créativité ?

J.-F.B. - Le plus important est que ce soit une priorité de l'entreprise et, surtout, que ce ne soit pas enfermé dans un groupe précis de l'organisation. Il ne faut pas envoyer le message que la créativité appartient à l'équipe de R-D. Innover est la fonction première de toute organisation occidentale. Évidemment, ça s'exprime différemment selon qu'il s'agisse d'une compagnie d'assurance ou d'un cabinet d'architectes, mais dans tous les cas la notion d'innovation est ce qui assurera la pérennité de l'entreprise à long terme. Malheureusement, il y a beaucoup d'organisations qui tuent les idées avant qu'elles n'arrivent à grandir.

L.A. - Qu'est-ce qui empêche les entreprises d'innover ? Quelles erreurs font-elles ?

J.-F.B. - Les entreprises s'imaginent que leur fonction première est de protéger les acquis. Cette posture mentale fait qu'à moyen ou long terme, t'es cuit. Si tu tentes de protéger le passé plutôt que de te projeter dans l'avenir, il y aura nécessairement un problème, puisque les marchés et les consommateurs évoluent. Le statu quo est l'ennemi principal des organisations : on ne doit pas chercher à le préserver, mais à le briser.

L.A. - Comment une entreprise traditionnelle peut-elle devenir plus créative ?

J.-F.B. - Ça n'existe pas des entreprises traditionnelles. Je ne comprends même pas pourquoi cette expression existe. Ce sont les individus qui sont conservateurs, pas les industries. Il y a une contradiction dans les termes : une industrie, par définition, ce n'est pas traditionnel, c'est quelque chose qui évolue tout le temps. Dans tous les secteurs, on trouve des organisations qui ont innové et qui sont en train de gagner du terrain sur leurs concurrents. Si les organisations n'évoluent pas, elles sont «faites à l'os». Ce n'est qu'une question de temps.

L.A. - Quels éléments de la gestion chez Sid Lee pourraient facilement être importés dans d'autres organisations ?

J.-F.B. - La gestion d'une boîte devrait toujours être relativement unique, tout comme ses locaux d'ailleurs. Ce n'est pas normal que les bureaux d'une maison d'édition soient en tous points semblables à ceux d'un bureau de comptables ou d'une banque. Ce sont des organisations ayant chacune une personnalité différente, mais qui cherchent pourtant à appliquer exactement les mêmes règles de gestion, les mêmes lieux. Il ne faut pas chercher à mettre en pratique ce que fait Sid Lee, mais déterminer ce qu'une entreprise peut faire qui ne peut l'être que chez elle, parce qu'elle est unique, a un point de vue différent et vise un objectif précis. Il y a, par exemple, beaucoup de pratiques que je trouve très intéressantes chez Google, mais qui ne marcheraient pas ici. Nous sommes Sid Lee, pas Google.

L.A. - Que peut-on faire comme individu pour accroître sa créativité ?

J.-F.B. - Nous avons tous, comme humain, une tendance naturelle à partir d'horizons hyper-larges lorsque nous sommes jeunes, puis à les rétrécir au fur et à mesure que nous avançons dans la vie. Certaines personnes se retrouvent même avec un schème de référence (musique, art, politique, etc.) totalement lié au passé. La toute première chose à faire est de se demander : est-ce que j'essaie de nouvelles choses ? suis-je connecté à l'époque dans laquelle je vis ou suis-je tourné vers le passé ? L'ouverture aux nouvelles expériences est fondamentale. C'est bien difficile d'être créatif sans embrasser le changement.

L.A. - Les membres de votre équipe sont jeunes, souvent au début de la vingtaine. Comment gère-t-on ces jeunes créatifs ?

J.-F.B. - Beaucoup de choses ont été dites sur la difficulté de gérer cette génération (les Y). Je trouve que c'est faux. Je suis tout mêlé dans les lettres, mais je ne vois aucune différence. Ces gens sont tous prêts à se démener si on leur donne un défi et un environnement stimulants. Peut-être sont-ils effectivement plus exigeants à certains égards, mais ils apportent autre chose, une nouvelle énergie. Avec eux, il faut un cadre convivial, puisque la hiérarchie au sens classique du terme ne passe pas très bien. C'est ce qu'on vit chez Sid Lee.

«Ça me fascine toujours de voir que les gens oublient que tous les grands succès d'affaires de l'humanité sont toujours liés à une idée. Je n'ai jamais compris pourquoi les gens respectaient si peu les idées. Heureusement, je sens un réel progrès. Les gens ont plus de respect pour la créativité qu'ils n'en avaient il y a 10 ans.»

- Jean-François Bouchard, pdg, Sid Lee

marie-claude.morin@tc.tc

À la une

Logistique: sale temps pour les entreprises

03/05/2024 | François Normand

ANALYSE. Depuis 2020, les crises se multiplient, et les travailleurs du CN et du CPKC pourraient bientôt être en grève.

Les travailleurs du CN et du CPKC se donnent un mandat de grève

Un arrêt de travail au CN et au CPKC simultanément pourrait perturber les chaînes d’approvisionnement.

Bourse: Wall Street salue l’accalmie de l’emploi américain

Mis à jour le 03/05/2024 | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. La Bourse de Toronto prenait plus de 100 points à la fermeture.